Voici un texte ayant pour vocation de livrer une analyse plus complète que ce qui a été fait jusque là sur les émeutes de Londres. Surtout, le but est de laver les émeutiers d’Angleterre des insultes infamantes dont ils ont été recouverts depuis que la répression s’est déchaînée.
Nous espérons que les lecteurs nous pardonnerons les maladresses d’un travail fait dans la hâte.
Ode au pillage. Hommage aux pillards
En ces temps de répression féroce, les émeutiers britanniques ont besoin d’un soutien vigoureux et inconditionnel. Leurs persécuteurs doivent savoir qu’ils paieront tôt ou tard leur ignominie. Le torchon The Sun ne sera pas la seule merdasse à rester longtemps dans nos mémoires comme exemple de l’abaissement terrible de notre époque, de la pourriture informationnelle qu’ils appellent journalisme.
Si vous ne voulez pas être pris d’une nausée incoercible, nous vous conseillons vivement de ne pas allumer votre poste de télévision fraîchement acquis lors du gros potlatch des 8 et 9 août derniers.
On dit des émeutes qu’elles sont dépourvues de sens alors qu’il s’agit d’un des rares événements significatifs de l’histoire récente du Royaume britannique.
On dit qu’elles ne sont pas politiques, car elles s’attaquent à la propriété. Elles sont bien sûr furieusement politiques, et même révolutionnaires, pour cette raison justement.
Pendant que les gros porcs qui gouvernent, administrent, répriment, rentabilisent, continuent leurs opérations aléatoires et destructrices, on accuse les émeutiers d’avidité et de consumérisme. « Ces fainéants privilégiés n’ont pas assez de leurs royales allocations chômage, il leur faut d’autres moyens de se vautrer dans la débauche ! Preuve suprême de leur dépravation : certains auraient même volé quelques bouteilles d’alcool… »
Scandale ! « Pendant que les bons citoyens travaillent sans cesse, recueillant avec gratitude les miettes qui leur sont parcimonieusement distribuées, certains ont décidé de se servir eux-mêmes ! »
Chaque marchandise achetée ne fait qu’apaiser temporairement la frustration d’être privé du fruit de son activité, de tout moyen d’influer sur la production matérielle de la vie, la reconduisant sans cesse. Plus les marchandises sont distribuées parcimonieusement, plus la frustration croît. Ceux qui ont le moins de marchandises ont essayé de les avoir toutes à la fois, histoire de voir si ces lambeaux de travail mort, une fois recollés, n’ouvriraient pas enfin les portes de la richesse.
Et ils ont été fastueusement riches, pendant quelques jours, ces émeutiers. Ils ont offert leurs nouvelles richesses aux flammes, seul usage authentique d’objets habituellement si tristement consommés. Ce fut une belle fête en l’honneur du défunt Marc Duggan, fort peu appréciée par ceux qui cèdent à la privation, au silence et à la soumission.
Rentrer en meutes dans les magasins, se servir inconsidérément, c’est la tentation secrète de tous les captifs du monde de la marchandise, ce rêve qui mis en pratique, foutrait immanquablement ce monde en l’air. Ceux qui veulent rester civilisés, c’est-à-dire soumis, exploités, enfermés, doivent réprimer furieusement ce rêve, chez eux comme chez les autres. C’est la matérialisation de la contradiction interne à la dynamique de la marchandise.
On taxe la manifestation brute du désir de bestiale, et elle est effectivement bestiale, car nous sommes des animaux. Des animaux que l’on a habitués à ne désirer que des abstractions, à se nier au point de devenir des monstres, des hommes machines. Ceux qui au nom d’une révolte plus noble se montrent dégoûtés par les images de jeunes personnes jouant et se faisant plaisir sont les mêmes marchands d’abstraction que ceux qu’ils prétendent combattre. Le pillage nie toute autorité et toute hiérarchie, et c’est pour cela que ceux qui aimeraient bien vendre une camelote alternative (un État socialiste, de la décroissance…) l’envisagent avec autant de méfiance. Certains même opposent l’affrontement pur avec les flics, certes très beau et très noble, mais qui peut se faire au nom de l’instauration d’un nouvel ordre, ne portant pas en lui même de critique très définie des conditions existantes.
Contrairement à d’autres formes d’action révolutionnaires, le pillage n’a pas vocation à se généraliser. En consumant de manière fulgurante l’objet de ses attaques, le pillage, comme l’incendie, est d’autant plus bref qu’il est efficace. Comme l’affrontement avec la police, il peut se démultiplier, se répandre, se répéter, se poursuivre même quand des moyens de remise en cause des rapports sociaux plus efficaces sont employés. Sa force est de pouvoir éclater n’importe quand, de n’être pas forcément général pour être déstabilisateur.
L’affrontement avec la police, corollaire indispensable du pillage, ne peut connaître un développement satisfaisant que si l’action de pillage se métamorphose. Les pillards mettent spontanément leurs acquisitions à l’abri, et c’est leur plus grave erreur. Ce faisant, ils perdent leur dynamique d’action, et se font aisément refouler. Une fois retournés chez eux, le pouvoir se déchaîne contre eux, traquant tout ce que les émeutiers pensaient lui avoir arraché.
Les objets remis en circulation, offerts à tout usage possible, ne confèrent que peu de puissance. (Reconsidérer l’existence de ces marchandises et leur production devrait être au programme de toutes les organisations politiques en décomposition et de tous les programmes scolaires. Envisager la destruction de nombreuses d’entre elles, l’acte nécessaire.)
Seule la destruction pure et simple, ou l’usage immédiat, le détournement (d’essence, de déguisements, d’alcool) sont stratégiquement valables. Le pillage n’est ni cessation de l’activité productrice, ni réappropriation de quelque chose de réel. Simple dissipation d’un cauchemar, exorcisme. Le pillage défait momentanément la circulation marchande de la production et surtout la circulation des corps et des affects qu’elle configure comme une part d’elle-même.
Un pillage permanent serait incompatible avec la reproduction du capital. Un pillage ponctuel, aussi violent soit-il, permet tout juste au capital d’écouler un surplus de production. La production de centrales nucléaires, d’automobiles, de matraques, n’est pendant ce temps aucunement entravée.
Une fois ses possibilités épuisées, le pillage ne doit plus trouver sa raison d’être en lui-même. Il doit être mis au service de ce qu’il a nécessité au départ, le contrôle de la rue. Quand une action aussi grave est enclenchée, il faut aller le plus loin possible dans la destruction de l’adversaire. Ceux qui ont tenté d’incendier des commissariats étaient sur la bonne voie.
La puissance réelle réside dans les moyens de production, et dans les armes et les idées qui les protègent. Elle réside dans les hommes qui les produisent, qui doivent apprendre à les détruire.
Le pillage ne doit pas être considéré comme un acte définitivement défini, clos sur lui-même. Son apparente monotonie, son exclusion du champ de la stratégie révolutionnaire, sont les conséquences de sa répression systématique, et les confirmer revient à s’associer à cette répression. Que ce soit par des raccourcis sociologiques (n’est pas une révolte, mais une pratique caractéristique d’une catégorie sociale, comme d’autres font grève trois jours par an), par des critiques de révoltés professionnels masquant mal un mépris de classe, ou par sa sacralisation. Le pillage doit être traité comme une stratégie révolutionnaire, et pratiqué et critiqué en tant que tel.
De telles révoltes paraissent folles parce qu’elles semblent condamnées à échouer. Mais une vraie révolte ne se pense qu’à la mesure de ses objectifs les plus hauts. Il est absurde de l’attaquer sur sa démesure, sur son irrationalité. Se révolter est un choix bien souvent irréversible. Ceux qui ne font aucun choix jugent très facilement ceux qui se lancent dans l’inconnu. Ceux qui pensent que les pauvres feraient mieux de ne rien faire et d’attendre le salut des misérables « mouvements étudiants » et autres plaisanteries syndicales méritent qu’on leur frappe la gueule à coup de clé anglaise. Il y a beaucoup plus de stratégie dans l’émeute que dans ces mouvements soit-disant réfléchis (dont la « construction » fastidieuse, n’est en fin de compte que l’agencement des formes effectives et conséquentes de la contestation, l’inoculation d’une impuissance propre à la « démocratie »).
De telles révoltes n’échouent qu’en raison de la pauvreté de l’imagination de ceux qui ne se révoltent pas.
Ce que cette situation a d’exceptionnel, c’est qu’elle n’a rien de nouveau. Où le retour d’une vérité éclatante, côtoie époque après époque sa propre conjuration. L’amoncellement sans fin de mensonges grossiers et de nouvelles pacotilles n’a rien changé, n’a rien fait oublier. À la même colère correspondent les mêmes moyens, les mêmes endroits : Brixton, Tottenham, Manchester, Hackney, noms qui nous rappellent que la misère est ce que notre société a bâti de plus durable.
Une seule nouveauté manque : la possibilité pour ces explosions de rages de laisser des traces, de fortifier le camp révolutionnaire, de ne pas, comme celles qui éclatèrent dans les années 1980, laisser la place à une société endormie.
Les peuples s’agitent, le capitalisme donne encore une fois l’impression de vouloir s’effondrer. Ceux de Londres n’ignoraient pas les révoltes arabes, et ont agi simultanément au nouveau krach boursier.
De telles révoltes laissent entrevoir des possibilités réelles de soulèvements révolutionnaires, mais nous ne devons pas oublier que de nombreuses fois, des évènements du même type sont survenus, et le retour à la normale s’est fait rapidement.
Aujourd’hui, les prisons anglaises sont pleines, Bill Bratton, le super flic qui a tué toute vie à New York, est arrivé en renfort à Londres pour faire la même chose, et nous grillerons bientôt tous dans le même enfer.
D’où l’importance du soutien à apporter à ce qui existe de plus radical. Et l’insistance sur la seule issue satisfaisante d’une révolte : l’insurrection armée. (Il est clair maintenant que l’insurrection armée, le contrôle de la rue, la négation du monopole étatique de la violence, et la reconsidération de la production des conditions de vie, sont à peu près les seules questions dignes d’être posées et mûries.)
Quelque part dans les confins septentrionaux de l’Empire, des hommes ont fait l’expérience de la destruction, du feu, de la fête. C’est une bonne nouvelle. Sur les photos placardées dans les journaux qui appellent à les dénoncer, leur plaisir est visible. Ils savent bien que ça ne fait que commencer.
Sur les morts
Nous ne savons pas grand chose sur les circonstances des morts en questions. Le but, en en les évoquant, n’est pas d’en livrer le récit le plus exact, mais de démontrer qu’il s’agit de l’aboutissement logique du comportement réactionnaire et imbécile de la petite bourgeoisie anglaise.
Un homme, retraité, est mort suite aux coups qu’il aurait reçu en cherchant à empêcher l’incendie d’une poubelle. Trois autres, dans une autre ville, se sont fait écraser alors qu’ils barraient le passage à des émeutiers.
À certains moments, des hommes se sont sacrifiés pour Dieu, ou pour la Patrie. Les fameux « héros » de l’Angleterre ploutocratique se sont sacrifiés pour la marchandise, et en ont tiré la récompense réservée à ce genre de héros : l’hommage hypocrite des maîtres qu’ils ont défendu, et une stèle dans un cimetière. Les premiers responsables de leur mort, ce sont les foules imbéciles de petits commerçants et citoyens organisées en milices.
Si ces personnages n’avaient agi que pour protéger leurs biens, ils n’auraient sans doute pas été tués. Mais ils ont en réalité participé à une forme de répression très dure, qui a vu des milliers de citoyens anglais protéger les marchandises, dénoncer leurs voisins émeutiers. Volontairement ou non, ces quatre héros se sont rangés du côté des collabos, de ceux qui ne faisant pas partie de la classe dominante, lui apportent néanmoins leur soutien actif. Ces personnes, qui laissent quotidiennement l’État faire n’importe quoi en leur nom, n’ont pas voulu laisser des émeutiers piller leurs commerces, ou ceux dans lesquels ils travaillent. Ils n’avaient pas compris que le rapport de force n’était momentanément plus le même, et qu’il était, ne serait-ce que pour un moment, question d’en finir avec les vieilles règles.
Ils ont trouvé face à eux des personnes qui n’étaient pas prêtes à tolérer une insulte de plus, qui n’avaient pas envie de perdre leur temps à vouloir leur faire changer d’avis. Si l’aveuglement est pardonnable en temps de paix sociale, il ne peut plus servir d’excuse lorsque le conflit est trop manifeste. Il faut dans ce cas choisir son camp.
Nous devons tout faire pour faire changer d’avis ceux qui, tout en se croyant favorisés par le capitalisme, ne sont en fait que des esclaves. Mais lorsque le conflit se déclenche, que la question devient militaire, alors tant pis pour ceux qui se sont rangés du mauvais côté. Les commerçants ne sont pas toujours plus riches que les travailleurs ordinaires, mais leur âpreté au gain et leur habileté à voler leurs congénères n’en sont que plus accentuées. Beaucoup ne doivent pas s’attendre à être beaucoup respectés, et ceux qui le sont ont la plupart du temps eu leurs boutiques épargnées.
Enfin, il n’est pas impossible lors de ce genre de mouvement sans chefs ni programme que des imbécillités soient commises, que des personnes sans intelligence incendient des bâtiments dans lesquels vivent des gens, ou en profitent pour régler des comptes. Les insurgés londoniens ont su se prémunir de ce genre d’accidents dans la plupart des cas.
Fédération Anarchiste Ecsta Terrestre – 3 septembre 2011.