Récit d’un camarade de lutte :
Guérilla champêtre à Notre-Dame-des-Landes ?
Le dimanche 5 juin 2011, 17 heures, chacun chacune arrive au « RDV barricades ». Le ciel est gris, bas, et la pluie tombe sans arrêt. Alors voilà, c’est lui, le fameux champ. De bataille. Il est très grand !
Sous un hangar les chaises sont disposées en cercle, prêtes à accueillir les 3 heures de parlottes traditionnelles. Pourtant, malgré la tentative des plus bavardes, après quelques conseils organisationnels, la grande majorité enfilent bottes et cirés et s’attaquent à la construction des barricades protectrices.
Avec 5 entrées, il y a de quoi faire et les matériaux accumulés là ont dû demander bien des efforts. Bravo.
Sous les cirés, ça s’active : ça creuse, ça cloue, ça attache, ça soude, et les barricades se montent avec chacune le charme de ses créateurstrices. Chacune est une œuvre d’art à part entière…
C’est déjà l’heure de se rassembler pour discuter des meilleurs moyens de protéger des foreuses ce carré de verdure. À une petite centaine, on écoute un résumé du contexte, et on réfléchit à une résistance collective efficace sans pour autant forcément bien se connaître, ou se reconnaître…
C’est bientôt à peu près en place pour l’installation de notre défense, en espérant une résistance la plus longue possible. Et si les matraques pénètrent sur le stade, chacun chacune jugera de sa réaction, mais sans jamais s’isoler des autres.
Il est déjà bien tard, la nuit va être courte, le réveil est prévu pour 5 heures. Et il reste la cinquième barricade à monter, celle qui doit permettre le passage de notre soutien à cornes, les 80 vaches qui ont sur ce pré leurs petites habitudes !
C’est l’heure, d’abord il faut rejoindre le champ de bataille. Il fait encore nuit noire. Dans les chemins de préférence, parfois sur la route, où sans savoir qui arrive en face, il paraît plus sage de se dissimuler dans les fossés avant de continuer.
La pluie a cessé, et le son des tronçonneuses se repend dans le noir, annonçant le sacrifice de quelques arbres pour en sauver plusieurs milliers… ça ne doit plus être loin ! Frissons.
Sur place, le café est chaud, et chacun chacune observe silencieusement, se rassurant un petit mieux à chaque nouvelle arrivée ! Surtout qu’il faudra encore se séparer en 5 groupes de soutien aux 5 barricades+tripodes, 3 perches reliées en tipi par-dessus les barricades et permettant à l’un ou l’une de s’y fixer au sommet, dans une posture bien plus que précaire ! Mais la précarité, c’est bien bon pour nous, soit disant ?
Toutes et tous en place, c’est l’attente. Collectivement, on est prêt. Alors chacun chacune s’affaire à son équipement. Le numéro des avocats circule, le citron est frais pressé de chez Leclerc, les capuches, cagoules, écharpes sont de sortie. Et c’est calme, et c’est paisible, et c’est beau. Même avec beaucoup d’imagination tordue, impossible de matérialiser là cette tour de 45 mètres, le béton, les parkings, le bruit des réacteurs, le bitume, le kérosène…
Impossible.
La première saloperie, c’est pourtant par les airs qu’elle arrive, c’est l’hélicoptère. En survol bas, il analyse la situation. Comme en réaction, montent dans le ciel les fumées noires des barricades sur les routes d’accès !!! bien !!!
Au loin, des chiens policiers, ou plutôt des chiens de policiers, aboient leur agressivité. Dans le champ, on est à peu près aussi rassurés qu’une poignée d’enfants abandonnée dans les bois du Moyen-Âge avec une meute de loups au cul…
C’est dans cette ambiance tendue qu’arrive notre troupeau de camarades de lutte. De lutte syndicale bien sur, une devant et toutes derrière qui marchent sans savoir pour aller où !!! On doit ouvrir sur le côté d’une barricade, et nos copines sont pas moins stressées que nous…
Mais elles entrent quand même, en frôlant les pieds du tripode. On aurait préféré 80 paysansanes avec leurs tracteurs, mais ça fait du bien quand même.
Pas pour longtemps, les machines arrivent : avec en tête une pelleteuse, et des flics par centaines, et des jeeps, et des camions militaires par dizaines, et des fourgons, et les foreuses… Toute cette ferraille entre dans le pré voisin, où une cavalière essaie avec courage de zigzaguer entre pour freiner un peu la catastrophe. Mais la pelleteuse avance, et arrache la haie d’arbres entre deux barricades, protégée par une pluie de gaz lacrymos.
Chacun chacune doit abandonner les tripodes, déjà les casques à pointes franchissent la haie et canardent à tout va !
À ce moment, on ne sait toujours pas si ils vont charger et nous évacuer les ununes après les autres, les gaz sont partout !!!
Dans le sillage de la pelleteuse, la flicaille rentre en convoi et se dispose en arc de cercle, qu’ils élargissent petit à petit à grands coups de gaz. À la frontière du respirable, le cordon d’opposition s’étire donc petit à petit. Et on voit bien qu’ils veulent nous repousser comme ça aux limites du champ, c’est un déluge de gaz qui nous tombe sur la tête !
Tout est là, parfaite symbolique : en élargissant leur territoire de violence et de feu, ils finissent par limiter celui des vaches qui, à moitié folles de panique, les yeux exorbités, les naseaux palpitants, foncent et perforent le cordon policier, sous nos cris d’encouragement ! Ce que les vaches ont fait, plus nombreuxses, on l’aurait fait aussi ! Et on le refera !
Mais en attendant, on pleure et on étouffe. Les gaz et la colère.
Dans le champs, la pelleteuse détruit la tente collective de la nuit, ce qui est trop d’émotion pour un habitant d’une maison voisine, qui voyant ce qui bientôt arrivera aussi à la maison où il vit encore si heureux, craque et court vers la machine de guerre. Plaqué au sol, menotté, puis maintenu par les flics comme un trophée de chasse dans une position humiliante, il ne sera relâché que plusieurs heures plus tard. Courage à toi.
Dans le champ, les bombardements de gaz nous expulsent jusqu’à la parcelle de maïs voisin, plus caillouteuse. On entend les camions militaires se rapprocher encore derrière la fumée. Là, les pierres volent maintenant en rang serré, et les véhicules reculent. Pareil, on reçoit un déluge de gaz.
Mais on s’accroche, et canarde. Certains certaines sont maintenant allongées au sol, d’autres à genoux dans la terre nourricière, ils suffoquent. Un est choppé là, et mis en garde à vue pour rébellion. Et oui, dans cette belle démocratie, si vous manifestez en tournant en rond, ça va, mais si vous manifestez après sommations, vous êtes un rebelle bon pour une cellule. Il y passera 6 heures.
C’est maintenant irrespirable, et derrière le maïs, on se réfugie dans une épaisse forêt, la plus belle du secteur condamné par VINCI. Pas facile de reprendre son souffle, pourtant ici tout est calme et paisible… alors que là bas, les foreuses commencent à cracher leur venin.
Il est 10 heures et demi. Si maintenant on pouvait passer le relai à une autre centaine de résistantstes lève-tard, fraîche et motivée ! Mais vous êtes où ???
Partout, c’est la fatigue. Normal.
Et même dans le champ, la nature environnante réussit malgré tout à diffuser son atmosphère particulière.
C’est l’heure pour les Papets et Ugolins du secteur pour aller discuter leur version à la presse. Pas des avions, des œillets ! Et de la monnaie.
Le lundi soir, les foreuses repartent par le même chemin, avec la moitié de leur échantillon. Donc mardi, le cirque « casques à pointe » nous promet une seconde représentation. Ça tombe bien, comme on est fans, on avait pris deux billets !!!
Le mardi matin, RDV est pris à 6 heures. Bien plus nombreuxses que la veille, tant mieux ! Mais l’action prévue tombe à l’eau, et on décide de retourner sur les forages soutenir la poignée qui a décidé de redormir sur place.
Sauf que sans barricades, le cordon policier est en place nettement plus tôt, et quadrille le secteur.
Comme des rats, ces crevards de flics découpent les pneus aux sécateurs de tous les vélos qu’ils trouvent. Il faut marcher à pied, connaître le secteur, ou avoir une carte du coin dans la poche !
Le résultat, c’est qu’on est qu’une quarantaine à atteindre les forages, et il est 7h30 quand le convoi funéraire réapparaît, reprenant le même chemin que la veille, avec en plus de quoi évacuer les barricades côté route.
Deux des nôtres choisissent le harcèlement oral, qui consiste à répéter pendant des heures un appel à discuter avec les ouvriers des foreuses, pas habitués à travailler dans ces conditions. Phrase du style : « Eh la casquette, t’as du café ? Il paraît qu’à une dizaine, cette technique de déstabilisation est particulièrement efficace parce que très chiante. À force. C’est un peu comme si vous écoutiez par malchance une chanson de Djonny que vous n’aimez pas tout en sachant qu’elle va vous rester dans le tête toute la journée… c’est vrai que c’est chiant.
Et vers 10 heures, branle-bas de combat chez les bleus. Casques, matraques, flash-balls, boucliers, gaz, chiens de combat, treillis, tout est là. En deux groupes de 25, ils se dirigent vers nous, dans le champ de maïs. On recule avec prudence, et on les voit piétiner les plants de maïs, un crime pour un poulet, et escorter dans chaque groupe un jeune abruti de chez Biotop, l’organisme « indépendant » sensé faire ses propres prélèvements de terre un peu partout. La caution verte. Du goudron bio et des plumes de pigeon bio pour ses traîtres !!!
Les deux escadrons de la mort finissent par entrer dans l’épaisse forêt.
C’est ça la mégalopole. Un jour un champ, le lendemain c’est déjà trop petit qu’on colonise la forêt voisine… mais pourquoi ???
En voyant ça, une vingtaine décide de prendre le risque de la confrontation forestière. Un quart d’heure après, tant pis pour les chiens, on se réfugiera dans les arbres, on attaque de front. Et on retrouve vite un des escadrons au milieu des fougères, des ronces et des arbres, pas à l’aise du tout les échecs scolaires !
À peine arrivé, sous les insultes, tout ce p’tit monde plie bagages et rebrousse chemin vitesse LGV direction le champ de forage.
Encouragés, on trace en courant trouver l’autre escadron, toujours occupé à tarauder l’humus à champignons. Plus agressifves encore, on les encercle et comme une meute de loups à la chasse au poulet rôti, on les expédie des bois ! Fallait les voir ces bons à rien reculer dans les racines, les ronces et les branches des châtaigniers ! Pas facile la reculade dans un bois !
Fallait voir leurs visages rongés par la peur, en sachant que le premier groupe n’était plus là pour leur venir en renfort… On les a badgés d’autocollants « police partouze, justice en cavale », on les a empalés sur les barbelés en lisière, incapables avec leur boucliers de se dépêtrer ! Plus nombreuxses…
Dommage, partout dans le bois d’autres étaient là, mais cachées, croyant d’après les cris que les bleus nous coursaient dans les bois.
Imagination et communication, comme me disait la veille une camarade vache, sont deux mamelles du pis de la victoire !!
À 14 heures, autre RDV, l’après-midi s’annonce chaude comme la braise. Laissons les foreuses forer, mais jusque tard dans la nuit… Ça sera blocage des routes, et barricades de feu ! Départ en p’tit groupe, c’est grand 2000 hectares de guérilla champêtre, marche à pied, pied au cul, cul de bouteille, bouteille molotov !!!! ouais.
Branches, pneus, feux. Partout sur la ZAD (zone à défendre), ça flambe et le goudron fume… Les Biotopbiocops dans le goudron !
Les pompiers tournent en rond, les flics restent à distance, et font la circulation. Après tout, on ne leur en demande pas plus. Il fait chaud sous les cagoules, et ça fait chaud au cœur aussi.
On est entre nous, on sait pourquoi on est là, et on vous attend parce que votre place est là aussi !
Le soir, détente collective, rires et sourires, visages fatigués mais pas résignés. La lutte continue, jusqu’à la victoire !!!!!!
Il est prévu d’accueillir sur un grand camp au mois de juillet tous et toutes les volontaires !
Plus de détails sur le net ou sur place. ON VOUS ATTEND.
Géronimastro
Collectif de lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, 9 juin 2011.