Paris
Alors que nous travaillions à la création de ce blog, le sang a coulé à Charlie Hebdo. Sans être des lecteurs assidus du journal, nous aimions ses dessinateurs. Comme beaucoup d’autres, nous sommes passés par des moments de stupeur, de tristesse et de colère.
Un leitmotiv a circulé en boucle : on peut tout dire, on a le droit de tout dire. Oui, on devrait pouvoir tout dire, tout exprimer, n’avoir aucun tabou, que ce soit vis-à-vis de la religion, de la politique, du sexe… La satire, la dérision, l’humour font partie de l’hygiène mentale et sont une arme des faibles contre les puissants. Mais dessiner, écrire, parler, c’est aussi s’exposer, les travailleurs de Charlie Hebdo en ont payé le prix fort.
Difficile de tirer une leçon de cette tuerie particulière, sinon que des fascistes, des fous de Dieu, ont déclaré la guerre aux infidèles et donc nous l’ont déclarée. Leurs victimes, ce sont aussi des dizaines de milliers de civils syriens, irakiens… Ce sont les écolières kidnappées par Boko Haram et tant d’autres à qui l’on ne pense pas, parce que ça se passe loin de chez nous, parce qu’on ne les connaît pas. Le nouveau fascisme se trouve du côté de l’islamisme intégriste, mais pas seulement. Les attaques brutales contre la liberté d’expression, les assassinats de journalistes commis par des fanatiques ou par des serviteurs du pouvoir, se produisent dans de nombreuses régions du monde. En Russie par exemple, et les sbires de Poutine ne sont pas précisément des islamistes !
Ces paumés qui choisissent le djihad ; ces soldats entraînés qui s’en prennent à des civils désarmés ; ces révoltés prêts à tuer et à mourir pour une cause aliénante et oppressive ; ces activistes souvent manipulés par des agents infiltrés … sont peut-être des gens qui auraient pu s’engager dans la lutte sociale, si celle-ci n’avait pas été confisquée par les professionnels de la contestation et par les élites au pouvoir, comme celles que l’on a vues en boucle, manifester une indignation convenue, sur toutes les chaînes de télé.
Verviers, 15 janvier 2015
Sûrement qu’à ceux de Charlie Hebdo ça les aurait bien fait chier de voir leur mort récupérée par les politiciens de tout poil, au nom de l’unité nationale ; par les représentants de toutes les églises, mosquées et autres synagogues. Et puis il y a ces gigantesques manifestations de la puissance policière et militaire, censées nous rassurer, nous protéger, mais qui tuent aussi, nous le savons, quand les intérêts des exploiteurs, des promoteurs, des pollueurs sont menacés.
Au risque de paraître simplistes, nous pensons qu’il faut ramener ces événements qui nous bouleversent à la question sociale. La liberté fait-elle encore rêver quand des pans entiers de la société sont marginalisés ? Avec la concurrence généralisée, le chacun pour soi, l’égalité et la fraternité paraissent insipides. Il n’y aurait que des gagnants et des perdants. Le système libéral et la démocratie constitueraient désormais l’horizon indépassable. Tout ce qui sortirait de ce cadre appartiendrait à la barbarie.
Berlin, 16 janvier 2015
Comment changer radicalement le système tout en conservant la complexité, la diversité culturelle, l’humanisme ? Comment reconstruire un grand mouvement internationaliste ? Comment parler à l’intelligence et mobiliser celles et ceux qui défendent la liberté, la solidarité et le respect de ce qui nous entoure ? Telles sont les questions, parmi d’autres, que le drame du 7 janvier nous inspire.
But de ce blog
À l’initiative de ce blog, il y a des gens que le hasard des circonstances a mené à vivre en Suisse. Pourtant, nous ne nous proposons pas de porter en priorité un regard sur ce pays. Non pas parce que ce qui s’y passe soit sans intérêt, mais parce que nous sommes fatigués du nombrilisme helvétique. Ainsi, nous espérons être rejoints dans nos réflexions par des personnes vivant d’autres réalités. Par ailleurs, la distance que nous offre le fait de vivre dans un pays « exotique », nous permettra peut-être d’offrir un regard décalé sur ce qui se passe ailleurs.
Notre démarche s’inscrit dans une tradition actuellement en déroute, celle de « la Sociale ». Une histoire que l’on ne sait plus par quel bout prendre aujourd’hui. Avant nous, il y a eu des générations de militant-e-s syndicalistes, communistes, anarchistes … qui ont cru que leurs luttes mèneraient à une société sans classes et sans exploitation. L’avenir, même lointain, semblait tracé. Il ne l’est plus, mais le projet reste le nôtre.
Comment avancer sans boussole ? Quels sont les enseignements que nous pouvons retenir du passé ? Quelles réalités détermineront le changement social ? Comment identifier dans la masse des informations/désinformations qui circulent, celles qui sont intéressantes, pertinentes ? Pourrons-nous favoriser des événements qui feront progresser nos idées ? Ces questions et d’autres sont ouvertes. Nous essayerons d’y apporter des réponses.
Casusbelli, 11 janvier 2015
Nous sommes tous des hypocrites
Bienvenue dans un monde de plomb
Nous sommes tous des hypocrites. C’est peut-être ça, ce que veut dire « Je suis Charlie ». Ça veut dire : nous sommes tous des hypocrites. Nous avons trouvé un événement qui nous permet d’expier plus de quarante ans d’écrasement politique, social, affectif, intellectuel des minorités pauvres d’origine étrangère, habitant en banlieue.
Née en 1960, Nathalie Saint-Cricq est la fille de Jacques Saint-Cricq, président du conseil de surveillance de La Nouvelle République du Centre-Ouest, la petite-fille de Jean Meunier, fondateur du même journal et homme politique français, et l’épouse de Patrice Duhamel, ex-directeur général de France Télévisions et frère d’Alain Duhamel, chroniqueur politique vedette de France Télévision et de Libération, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Nice-Matin et Le Point. Fin juin 2012, elle succède, au poste de responsable du service politique de France 24, à Fabien Namias, fils de Robert Namias, ex-directeur de l’information de TF1. | VOIR LA VIDÉO
Nous sommes des hypocrites parce que nous prétendons que les terroristes se sont attaqués à la liberté d’expression, en tirant à la kalachnikov sur l’équipe de Charlie Hebdo, alors qu’en réalité, ils se sont attaqués à des bourgeois donneurs de leçon pleins de bonne conscience, c’est-à-dire des hypocrites, c’est-à-dire nous. Et à chaque fois qu’une explosion terroriste aura lieu, quand bien même la victime serait votre mari, votre épouse, votre fils, votre mère, et quelque soit le degré de votre chagrin et de votre révolte, pensez que ces attentats ne sont pas aveugles. La personne qui est visée, pas de doute, c’est bien nous. C’est-à-dire le type qui a cautionné la merde dans laquelle on tient une immense partie du globe depuis quarante ans. Et qui continue à la cautionner. Le diable rit de nous voir déplorer les phénomènes dont nous avons produits les causes.
À partir du moment où nous avons cru héroïque de cautionner les caricatures de Mahomet, nous avons signé notre arrêt de mort. Nous avons refusé d’admettre qu’en se foutant de la gueule du prophète, on humiliait les mecs d’ici qui y croyaient – c’est-à-dire essentiellement des pauvres, issus de l’immigration, sans débouchés, habitant dans des taudis de misère. Ce n’était pas leur croyance qu’il fallait attaquer, mais leurs conditions de vie. À partir de ce moment-là, seulement, nous aurions pu être, sinon crédibles, du moins audibles.
Pendant des années, nous avons, d’un côté, tenus la population maghrébine issue de l’immigration dans la misère crasse, pendant que, de l’autre, avec l’excuse d’exporter la démocratie, nous avons attaqué l’Irak, la Libye, la Syrie dans l’espoir de récupérer leurs richesses, permettant à des bandes organisées d’y prospérer, de créer ces groupes armés dans le style de Al Quaïda ou de Daesch, et, in fine, de financer les exécutions terroristes que nous déplorons aujourd’hui. Et au milieu de ça, pour se détendre, qu’est-ce qu’on faisait ? On se foutait de la gueule de Mahomet.
Il n’y avait pas besoin d’être bien malin pour se douter que, plus on allait continuer dans cette voie, plus on risquait de se faire tuer par un ou deux mecs qui s’organiseraient. Sur les millions qui, à tort ou à raison, se sentaient visés, il y en aurait forcément un ou deux qui craqueraient. Ils ont craqué. Ils sont allés « venger le prophète ». Mais en réalité, en « vengeant le prophète », ils nous ont surtout fait savoir que le monde qu’on leur proposait leur semblait bien pourri.
Nous ne sommes pas tués par des vieux, des chefs, des gouvernements ou des États. Nous sommes tués par nos enfants. Nous sommes tués par la dernière génération d’enfants que produit le capitalisme occidental. Et certains de ces enfants ne se contentent pas, comme ceux des générations précédentes, de choisir entre nettoyer nos chiottes ou dealer notre coke. Certains de ces enfants ont décidé de nous rayer de la carte, nous : les connards qui chient à la gueule de leur pauvreté et de leurs croyances.
Nous sommes morts, mais ce n’est rien par rapport à ceux qui viennent. C’est pour ceux qui viennent qu’il faut être tristes, surtout. Eux, nous les avons mis dans la prison du Temps : une époque qui sera de plus en plus étroitement surveillée et attaquée, un monde qui se partagera, comme l’Amérique de Bush, et pire que l’Amérique de Bush, entre terrorisme et opérations de police, entre des gosses qui se font tuer, et des flics qui déboulent après pour regarder le résultat. Alors oui, nous sommes tous Charlie, c’est-à-dire les victimes d’un storytelling dégueulasse, destiné à diviser les pauvres entre eux sous l’œil des ordures qui nous gouvernent. Nous sommes tous des somnambules dans le cauchemar néo-conservateur destiné à préserver les privilèges des plus riches et accroître la misère et la domesticité des pauvres. Nous sommes tous Charlie, c’est-à-dire les auteurs de cette parade sordide. Bienvenue dans un monde de plomb.
Pacôme Thiellement, Les mots sont importants, 13 janvier 2015
Je suis dessinateur de presse, arabe … mais seulement ami avec Charlie !
Merci pour les messages et les demandes de participations dessinées, mais :
J’allais chez Charlie Hebdo depuis le lycée, ça date ! Et puis la dernière fois, c’était en septembre dernier, j’ai partagé une assiette d’huîtres avec Tignous, 3 jours de poilade et d’amitié franche… Alors depuis hier, je n’ai rien pu dessiner.
Depuis hier, je reçois des messages d’amitiés, des pensées, et aussi des demandes de dessins, et de participation. Mais je reste comme un con devant ma feuille blanche.
J’ai compris que c’était l’horreur tout ca, moi qui enfant ai « naturellement » vu circuler des armes, appris à mentir pour que 4 types armés de fusils à pompe ne rentrent pas à la maison pour se venger, ou pour ne pas balancer des amis (dont je comprenais la situation) aux RG qui essayaient de nous extorquer des renseignements … jusqu’à l’année dernière encore, où cette fatalité, cette « loi du milieu » a tué 2 de mes potes d’enfance. L’un après l’autre, ils sont morts atrocement et ont fait les faits divers. C’est aussi ça mon âme d’enfant d’immigré. Des choses du passé refont surface…
La laïcité de façade qui m’a fait subir des contrôles d’identité humiliants qui m’ont souillé le cœur et où j’ai dû ravaler ma rage, des soirées niquées parce qu’on ne rentrait pas en boite, une petite amie qui m’a dit sur le seuil de sa porte que c’était terminé parce que ses parents ne veulent pas « que je sorte avec un Arabe » ou encore des emplois qu’on me refusait parce que les clients ne comprendraient pas. Des centaines de lettres et aucun entretien d’embauche à passer ! Peu de ressources financières, et l’ennui chevillé aux pompes bon marché chez Tati. Les vacances au quartier, ou en colo. Des braqueurs au grand cœur, on achetait des trucs tombés du camion à des prix que la Chine ne suivrait pas. On allait pas chipoter sur la légalité.
La carte des zones de non-droit à Paris, selon Fox News.
Des Blancs à la télé, des Blancs dans les centres-villes, dans les bureaux. Même les assistantes sociales qui paradaient chez nous étaient blanches. La rédaction de Charlie, invariablement blanche. Hier encore, quand je suis allé au rassemblement pour Charlie Hebdo, la place du Capitole n’était pas « noire de monde ». Elle était blanche ! Il y avait quelques personnes comme moi, un peu, dont une femme en hijab qui portait un panneau ou il n’y avait pas écrit « Je suis Charlie« , rien de pro-liberté d’expression. Non ! Il y avait juste écrit : « Touche pas à ma France ! » Ça m’a rappelé ma tante qui m’a dit l’autre jour que « les Arabes d’Algérie, ils faut s’en méfier, ils veulent profiter, c’est tout ! » Et alors ça m’a rappelé que la religion me séparait des miens un peu plus chaque jour. Ça m’a rappelé qu’avant ce repli, il suffisait juste d’être Arabe pour se sentir proches, peu importe si tu faisais la prière, si tu respectais ou pas scrupuleusement les piliers de l’islam. Même si je ne cautionne pas cet aveuglement, je le comprends à un point, vous n’imaginez même pas… Bref, on ne mangeait pas de porc, mais on s’arrachait pas les cheveux sur des étiquettes « hallal ». Et la petite mosquée dans mon quartier d’enfance était encore une salle des fêtes à l’époque. Ils auraient pu en construire une, mais ils ont décidé que la salle des fêtes deviendrait la mosquée. Depuis, on a plus de salle des fêtes hors des pièces sans fenêtre dans une cave où ils ont mis des animateurs de quartier. Et on ne se faisait pas insulter à longueur de journaux, de médias radios, télés, de couvertures. Personne pour nous représenter à part des clowns triés sur le volet pour chanter les valeurs républicaines. Ces valeurs qui ont saccagé mon enfance !
On ne représentait pas encore un danger. Mais on était en danger. On l’a toujours été. La pauvreté et la misère, les ghettos sociaux, l’économie parallèle ou la prison, les voies de garage à l’école, l’échec scolaire, le chômage sans perspective d’avenir, et surtout, surtout l’ethnicité : tout ça c’est dangereux. Réellement dangereux.
Et puis, un peu partout, je lis que les bien pensants demandent de ne pas faire d’amalgame … j’y ai cru, j’ai essayé de les éviter ces amalgames. Toute ma vie, je n’ai fait que ça ! Éviter ces putains d’amalgames ! Sauf que voilà, ce pays, la France, est bâtie sur l’amalgame : La séparation économique et sociale est ethnicisée. Les visages floutés sur TF1 restent basanés, les dirigeants de ce pays sont tous un peu vieux, pas mal blancs, très masculins. Et ce pays aussi. Quand je suis allé à Clichy-sous-Bois l’an dernier, là-bas la population était massivement arabe et noire. À des kilomètres de Paris. Et il y a une sorte de frontière invisible à un moment où tous les passagers du bus deviennent blancs. Et ceux là, ils vont travailler. On passe des sacs de courses aux mallettes de travail. L’amalgame a bâti la France. Je me suis fait insulter par la police, gifler quelques fois à cause de cet amalgame national. J’ai parfois répondu et j’avais la trouille d’aller trop loin … de rajouter mon nom sur la liste des centaines de mes frères abattus pas des policiers. Tous ces crimes se sont soldés par des non-lieux, ou de la prison avec sursis. Et en général des promotions pour les assassins.
Alors nous, on est un peu las de ce manège, ça nous fatigue ces valeurs à la gomme, ces vertus inexistantes, cette liberté d’expression à sens unique. On ne dit rien parce qu’être musulman ce n’est pas être Charlie.
Enfin plus depuis l’arrivée de Philippe Val en tout cas. Même ce cher Cavanna, ex-pauvre et fils d’immigré italien, le fondateur de Charlie, pleurait d’impuissance parce que Val a pris et changé l’âme de ce qu’était Charlie Hebdo à la base.
Et les médias qui font mine de pleurer, ou de s’insurger devant la barbarie ont armé les criminels qui ont abattu mes amis. Alors si eux sont Charlie, si Val est Charlie, je ne peux pas être Charlie. J’ai trop de respect et d’amour pour hurler avec les loups. Trop de douleur et encore toutes mes facultés mentales en état de marche.
Sinon expliquez-moi en quoi mettre une bombe sur la tête d’un prophète est marrant ? Ou écrire « traitre » sur le front d’un Juif sur une caricature d’avant-guerre par exemple ? En quoi c’est marrant, expliquez-moi ? En quoi Dieudonné [sic – NdJL] ne représente-t-il pas le courage du vaillant soldat qui se bat pour exprimer ses idées et convictions ? Lui aussi s’est moqué en parlant de Mahomet ou d’Allah, mais il riait de tout, et AVEC tout le monde ! Alors elle est où la différence ? Je ne comprends pas ! En quoi l’acharnement médiatique à vouloir sans cesse dénicher ce qui cloche avec l’islam est-il une liberté d’expression ? Bordel, c’est quoi au juste la liberté d’expression ?
Ne serait-ce pas la France qui a des gros problèmes d’intégration dans ce siècle ? Avec son système vicié, lent, et tout poussiéreux ? Ne serait-ce pas pour une fois, l’oppresseur qui aurait tort ? Au lieu de nous chanter à longueur de temps qu’on a de la chance dans ce pays parce que dans nos pays d’origine c’est pire. Ou qu’on se plaint, qu’on joue les victimes, comme si tous nous étions paranos !!!?
Que les études du CNRS sur la discrimination à l’embauche au logement sont erronées ? Qu’à Amnesty International ils se plantent, quand ils disent qu’il y a une véritable violence répressive à l’œuvre en France à l’égard des populations issues de l’immigration ? Que la Halde ne fait jamais suivre les plaintes pour discrimination ?
Mais quel Charlie voudriez vous que moi dessinateur de presse et de culture musulmane, je sois ? Le Charlie de la bande à Choron, Coluche et Reiser qui rigolait AVEC nous ? Ou celui de Philippe Val et d’un Charb qu’humainement j’aimais beaucoup mais qui a grillé un fusible et qui rigolait DE nous ? Je le lui ait dit à Charb, on était en désaccord mais ça n’empêchait pas que j’ai proposé une autre grille de lecture après l’affaire des caricatures en 2005. D’autres dessins, avec une autre vision. Et rien n’est passé. Ce n’est pas grave, il ne se voyait pas publier ça dans Charlie, c’est son droit. Mais aucun journal n’a suivi. Si Le Monde. Sauf qu’ils m’avaient demandé d’édulcorer et d’enlever certains passages afin que ça puisse être publiable. Alors j’ai refusé. Parce que je n’ai pas une tête à m’appeler Charlie !
Je me sens mal quand il y a un acte terroriste au nom de l’islam. Je me sens mal quand des dessinateurs prennent une caricature pour un dessin d’humour. Comme s’ils n’avaient jamais eu de cours sur l’image. Et je me sens coupable de faire partie de chacun de ces groupes, de les comprendre, de voir qu’ils se trompent sur l’autre, et sur eux-mêmes, parce qu’incapables de parler. L’Empire ottoman, celui des Abbassides, et tout le monde arabe en général était malgré la dictature et les violences inhérentes à l’exercice de pouvoirs impérialistes (c’est vrai tu as raison Kris Krumova, merci) était humain. Je parle des peuples. Les Juifs, alors persécutés dans toute l’Europe trouvaient principalement refuge chez nous. Et nombre de nos illustres ancêtres, des savants ou des poètes, pensaient que le domaine de tous les domaines, la quintessence divine n’était pas la science, ni l’art, ni la géométrie, mais bel et bien l’amour et la sexualité. Le moyen par lequel on donne généralement la vie donc ! Nous n’incarnions pas la terreur et la mort. Nous célébrions ce que Dieu a mit de plus cher à notre disposition : La vie ! Je parle du savoir et des valeurs que ces peuples se transmettaient. Et aujourd’hui, un nombre important des miens, acculés au mur, se sont repliés pour s’opposer, résister pour ne pas être rien pour personne. Ne surtout pas être rien à nos propres yeux. Immigré ici ou là-bas, c’est la même impression d’être partout apatride, mais on ne se l’avoue pas. Et de toute façon à qui, puisque personne n’écoutera…
Les gens qui savent ce que c’est que de vivre nos vies savent que j’ai édulcoré mes BD pour m’adapter, me mettre au niveau intellectuel et psychologique de ce pays. C’est-à-dire en dessous de toute volonté de dialogue, d’ouverture, d’objectivité et de réciprocité. Je ne peux pas ouvrir mon cœur à un pays qui me sort des mots à la con comme « diversité » ou « vivre ensemble » et qui diffuse à gogo vidéos et bandes sons du drame sans égard ni pour les familles de mes potes qui sont morts, ni pour la majorité des musulmans que le système médiatique fait souffrir à longueur de temps !
Sinon dites-moi où sont passées les vidéos de caméras de surveillance du commissariat de Joué-lès-Tours ?
Au fait, à propos des intégristes, je me rappelle qu’ils étaient venus au quartier, j’étais enfant. Des mecs sortis d’une camionnette qui ressemblait à celle de Retour vers le futur quand Doc se fait abattre. Bref, je n’ai pas pensé à ça, mais je me souviens que ma mère (qui nous élevait toute seule) les avait vus (et flairés) et qu’elle m’avait foutu la trouille en me disant que j’aurais affaire à elle si jamais je leur adressais la moindre parole. Voilà je viens d’y penser parce qu’aujourd’hui, c’est ton anniversaire Youma…
J’ai reçu quelques messages qui disent que rien ne justifie l’acte terroriste … alors je vais donc RÉPÉTER : Je NE cautionne PAS cet acte effroyable, ce meurtre. Cessez de me relier à cela, je vous remercie ! D’autant que j’ai perdu personnellement de bons potes dans l’histoire. Et je vais donc PRÉCISER : Dans l’état actuel des choses où les populations immigrées, noires, arabes, musulmanes etc. subissaient la ghettoïsation économique, sociale que l’on sait depuis un bail, il ne leur reste que 5% de dignité, une religion, cet espace intime qu’est la foi et qui fait tenir debout dans les situations les plus critiques. Et malgré cette maigre « bandelette de Gaza » intime et psychologue que les Musulmans tentent de préserver pour ne pas craquer sous le poids de la mise à l’écart et des insultes répétées, il se trouve malgré tout en France, des gens qui se permettent de s’offusquer qu’on tienne à ce petit bout de territoire privé qu’est leur religion. Au risque de choquer, ça ne m’étonne plus qu’il se soit trouvé des gens avant la Seconde Guerre mondiale pour faire circuler de sales blagues antisémites en France, à une époque où les Juifs étaient à peu près dans la même situation que celle des Musulmans aujourd’hui. Finalement, il y a une vraie cohérence dans ce pays les gars, ça c’est une constante bien nationale !
Personnellement, je n’ai jamais compris pourquoi à Charlie ils ne s’acharnaient pas avec autant d’assiduité à la criminalité politico-financière de religion monétaire, et qui finira par tous nous enterrer vivants dans nos petites batailles identitaires. Si nous en sommes là, c’est parce que le système tourne à vide. Sauf qu’en 2014 y’en a qui veulent encore vérifier si les Musulmans ont vraiment de l’humour. Sans même se douter qu’il y a des cons vraiment vraiment vraiment partout : Même s’il n’y a pas que cela (heureusement), il y en a chez les Musulmans comme il y en a chez Charlie ! Sinon ce bon vieux Siné ne se serait jamais fait virer !
Les miens, les issus de l’immigration, les jeunes, les vieux, les clandos, les blédards, ceux qui virent muslim, modérés ou radicaux, les rappeurs, les intégrés, les rageux, les « viva l’Algérie », ceux qui disent « Cheh ! » depuis mercredi, ceux pleurent, tous ceux qui se taisent, ceux qui ont peur, ceux qui applaudissent, ceux qui ont la rage, ceux qui ont mal, ceux qui comprennent sans cautionner, ceux qui cautionnent sans comprendre, tous : On critique parce qu’on aime ce putain de territoire français et ses habitants ! Malgré tout le mal qui a été fait, malgré les incompréhensions, la surdité, la peur, l’ignorance que ce pays a envers nous, on l’aime quand-même surtout si ça l’emmerde ! Si on l’aimait pas, on serait simplement indifférents. On ne critiquerait rien, on ne provoquerait pas, on ne sifflerait pas la Marseillaise, il n’y aurait pas de drapeaux algériens dans les stades, il n’y aurait pas eu le rap, pas de tensions, pas d’émeutes, pas de liens, pas de relation, aucun crime ni passion, pas de blessures, aucune souffrance, pas de tentation djihadiste, pas d’attentats, pas de drames, ni de moments de joie (heureusement plus nombreux !). Je sais que Charlie Hebdo s’acharnait sur l’islam avec le même amour. Et la même incompréhension.
Mais tant que les médias n’ouvriront pas leurs ondes et leurs journaux aux uns et autres avec la même attention. Tant que les inégalités sociales et économiques persisteront à s’acharner encore et toujours sur le seul critère racial, alors la vie continuera. On va rire, mais on va pleurer ensemble.
Quoiqu’il arrive ce pays on l’aimera de tout notre cœur, jusqu’à ce que mort s’en suive !
Dernière chose : Ma compagne est française et nous avons ensemble 3 jolies petites princesses aux cheveux frisés et aux yeux bleus pétillants de bonheur ! Alors je n’ai aucun intérêt à salir une communauté quelconque. Je n’appartiens à personne ! À la maison, ma femme et moi nous représentons l’autorité, le pouvoir. Et nos 3 filles sont le peuple. Si l’une des 3 filles se sent maltraitée, et s’insurge contre nous, nous ne nous disons pas que c’est de sa faute, que c’est à elle de mieux s’intégrer dans sa famille … vous comprenez ? Ma compagne et moi aimons nos enfants, et s’il y a conflit, incompréhension, entre elles et nous, c’est nous que nous allons d’abord remettre en question, dans notre éducation ou autre. Nous lui parlerons, elle s’exprimera, et nous tâcherons de lui montrer qu’on est à ses côtés. C’est donc à l’autorité de se soumettre, car l’autorité est le pouvoir, et a les clés de la résolution des conflits. Le pouvoir d’agir. Ça s’appelle Responsabilité ! Et la France doit prendre les siennes, et écouter ses minorités … parce qu’elles font partie de la solution !
Je n’oublie pas qu’il y avait quelques Arabes à Charlie, je le savais déjà ça, merci ! Mais je tiens à rappeler qu’il y a aussi quelques Blancs dans les prisons françaises. Quelques-uns … alors que pourtant nous vivons en France n’est-ce pas ? Mais le cœur de mon texte ne dit pas cela. J’ai écrit ce texte parce que je ne veux plus perdre des gens que j’aime de cette façon violente et impardonnable. Et que peu importe le conflit, je choisirai toujours d’aider le peuple. Jamais le pouvoir : Lui il peut se débrouiller tout seul. Et s’il a besoin d’aide, il sait où me trouver… Si ce pays ne veut plus jamais subir une telle tragédie, alors il a tout intérêt à se demander pourquoi elle est arrivée. Et de comprendre pourquoi les principaux clients de ses groupes intégristes se recrutent dans les pays les plus pauvres de la planète, et dans les couches sociales les plus abandonnées de son territoire aux allures de pays éclairé ! Pas en Arabie saoudite, ou au Qatar (eux ils financent) mais au Nigéria, au Maghreb, en Syrie etc.
Un intégriste n’est pas un islamiste, c’est tout au plus un Misériste !
Ce n’est pas l’islam qui l’a façonné. C’est la misère !
Même un enfant comprendrait ça !!!!!
Bon allez, merci pour ces messages de soutien, ces demandes de dessins, des chaines de solidarité sont nécessaires je pense, mais là j’atteins l’overdose. Cette journée de deuil national est un cache misère… Le terme « national » ne me parle absolument pas. Et par certains côtés oui, je suis comme Charlie, mais je ne suis pas Charlie !
J’ai un pied dans le monde arabe, un pied en Occident
Un pied dans les quartiers et l’autre en France
Un pied dans le dessin de presse et l’autre dans la vie de tous les jours
Un pied chez Charlie Hebdo, un pied au cul de Charlie Hebdo
Un pied dans les médias alternatifs et l’autre dans les journaux
Un pied dans l’anonymat et l’autre dans l’auto-censure
Un pied dans la douleur, et l’autre dans la colère.
RIP Charlie…
Halim Mahmoudi – Facebook, 8 janvier 2015