[L’histoire du terrorisme est écrite par l’État] Délation, prison, flicage

DÉLATION, PRISON, FLICAGE : LA FARCE « ANTITERRORISTE » NE FAIT PAS RIRE

Au moment même, ce 13 janvier, où les députés commencent à discuter de nouvelles mesures de surveillance et de répression « antiterroriste », la police et la Justice font usage — un usage aussi peu « aveugle » que les actes terroristes qui l’ont suscité — des textes disponibles avant les tueries des 7 et 9 janvier.

À défaut d’empêcher de nuire des fanatiques religieux pourtant connus et surveillés, les frères Kouachi comme Merah, l’appareil policier et judiciaire, ainsi que les « services » — comme l’écrivent les journalistes en affectant un air de vieux baroudeur du renseignement —, on se déchaîne contre des gamins, des plaisantins et des pauvres types. Il est bien possible que certains de ces pauvres types soient aussi des sales types, mais cela ne change rien au problème.

On applique avec célérité, et gourmandise, des dispositions très récentes — en l’espèce la loi du 14 novembre 2014 — énième ajout au dispositif législatif « antiterroriste ». À Toulouse, le procureur Patrice Michel affirme, martial : « Il ne faut pas reculer d’un centimètre ».

Saluons cet accès de modestie ! Non seulement la « démocratie » — entendu ici comme système représentatif régulateur de l’exploitation capitaliste du travail — ne « recule » pas, mais elle avance, et à grandes enjambées encore !

En permettant et en encourageant la délation par exemple, via le système Pharos. Lequel reçoit tout de même 400 « signalements » par jour, ce qui n’est pas mal pour une population supposée traumatisée par les « périodes sombres de son histoire », selon l’expression consacrée. Période d’unanimité nationale oblige, Pharos a reçu 20’200 « signalements » en quatre jours…

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À Toulouse, donc, trois jeunes hommes de 20 à 25 ans ont été condamnés à des peines de prison ferme pour « apologie du terrorisme » et placés en détention.

Le premier (10 mois ferme) bouscule des flics (ou des contrôleurs, le terme « agents » [Informations tirées du Monde, 12 janvier 2015] n’est pas clair) dans le tramway « où il voyageait sans titre de transport ». Il déclare, selon ses accusateurs, « Les frères Kouachi, c’est que le début, j’aurais dû être avec eux pour tuer plus de monde ». Le second (10 mois ferme), interpellé alcoolisé lors d’un contrôle routier, insulte les flics « On va tous vous niquer à la kalachnikov ». Le troisième n’est plus SDF (3 mois ferme). Dans une bagarre à la sortie d’une boîte de nuit, il profère des injures antisémites et des menaces : « Je veux vous tuer à la kalach’ sales juifs ».

Pauvres types (alcoolisés dans au moins un cas), antipathiques sans doute (le dernier notamment), mais coupables surtout de rodomontades balancées à des agents de sécurité (publique ou privée).

Pour être satisfait de telles condamnations, il faut avoir l’esprit petit ; pour se sentir rassuré par elles, il faut être un crétin.

Or ces farouches « apologistes du terrorisme » ne sont pas les seuls. Dans la région lyonnaise, logique de l’imbécillité policière, c’est Guignol qu’on emprisonne !

Dès le mercredi 7 janvier au soir, soit le jour de la tuerie à Charlie Hebdo, la police interpelle à Vaulx-en-Velin un homme de 26 ans qui « imitait le son d’une mitrailleuse [sic] au passage des policiers ». Même sans enregistrement audio, et n’en déplaise au journaliste de Lyon première (8 janvier), il est plus que probable que le mauvais plaisant imitait plutôt le son d’une mitraillette. Ne pinaillons pas, le résultat est le même : au trou !

Deuxième interpellation, à Saint-Priest, le même soir, d’un jeune homme de 20 ans. Ce dernier aurait « à la vue d’un équipage de police, hurlé “Vive les assassins de la police” tout en riant ».

Nous voici dans le cas de figure classique des « cris séditieux », qui valurent à de nombreuses personnes d’être arrêtées dans la rue ou dans les estaminets, après l’adoption des lois scélérates (pléonasme) réprimant les « menées anarchistes » à la fin du dix-neuvième siècle.

Notons, parce que je crains que la sidération médiatique ait engourdi bon nombre de cervelles, que le sanpriot [Habitant de Saint-Priest. Vous aurez appris quelque chose.] est interpellé pour s’être moqué de flics, trois jours avant que trois millions de personnes défilent prétendument pour le droit de rire de tout.

À moins que la « jurisprudence Charlie » ne suppose qu’il est désormais illicite de se moquer d’un Charlie … et donc des flics, du gouvernement, des services secrets, etc. puisque ce sont, nous le savons désormais, autant de « Charlie ».

http://juralib.noblogs.org/files/2015/01/022.pngL’énumération entamée ci-dessus serait incomplète sans la mention des poursuites visant un adolescent de 14 ans, interpellé et placé en garde à vue, pour avoir posté sur son compte Facebook « un commentaire hostile à la mobilisation en faveur des victimes des récents actes terroristes ». La formule du journal Nice-Matin (10 janvier) est d’autant plus obscure qu’elle est contredite par le titre de la brève : « Un adolescent convoqué en justice pour avoir injurié les victimes de l’attentat ». À moins que Nice-Matin considère tout bonnement que critiquer la « mobilisation », c’est « injurier les victimes ».

On voit que les « figures dangereuses » du jeune, de l’étranger et du terroriste, dont j’ai analysé l’usage politique dans La Terrorisation démocratique (Libertalia) se trouvent idéalement confondues dans les poursuites « antiterroristes » de ces derniers jours.

Se trouvent ainsi exclus de la dite « communauté nationale », et ravalés au rang d’ennemis de l’intérieur, quelques millions d’individu(e)s qui n’ont (inexplicablement !) pas saisi l’occasion des tueries islamistes des 7 et 9 janvier pour opérer avec la police cette « réconciliation » que salue la députée Marie-Françoise Bechtel (chaîne LCP, 13 janvier) en évoquant les cars de CRS applaudis dimanche dernier. L’« union sacrée », toujours justifiée de la lutte contre une « barbarie », se fait au dépens des plus faibles.

(À suivre, hélas !…)

Claude Guillon, Lignes de force, 13 janvier 2015

 

Six condamnations à de la prison ferme pour apologie du terrorisme

Dans le Nord, un homme au lourd passif judiciaire a écopé de quatre ans. Le tribunal a voulu « taper fort ».

La justice a décidé de réagir vite. Six personnes ont été condamnées à de la prison ferme et deux à de la détention provisoire pour apologie du terrorisme depuis mercredi et l’attaque contre Charlie Hebdo. Selon la loi du 14 novembre 2014 renforçant les dispositions de la lutte contre le terrorisme, l’apologie publique est passible de cinq ans de prison ferme et 75’000 euros d’amende. Une peine portée à sept ans et 100’000 euros si l’apologie est faite via un moyen de communication en ligne.

Pour appliquer ce texte, un dispositif spécial a été mis en place : Pharos, la Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, un site Internet géré par le ministère de l’Intérieur et destiné à recevoir les signalements de quiconque souhaiterait alerter les autorités d’un contenu ou d’un comportement illicite sur Internet. D’après Le Monde, Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, a indiqué aux préfets que 12’600 messages faisant l’apologie des attentats ont été recensés sur les réseaux sociaux depuis l’attaque.

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Six condamnations à de la prison ferme

À Lille. Un homme de 34 ans, originaire de Douchy-les-Mines (Nord), a été condamné à quatre ans de prison. La lourdeur de la peine s’explique en partie par le lourd passif judiciaire du condamné, mais aussi par une volonté de « taper fort » selon Christophe Delattre, le vice-procureur du tribunal de grande instance (TGI) de Valenciennes, joint par Libération. Il aurait aussi crié devant les policiers « Allah akbar. Il devrait y en avoir plus des Kouachi. J’espère que vous serez les prochains […] Vous êtes du pain béni pour les terroristes ». Outre les quatre ans d’emprisonnement, le trentenaire a écopé d’une annulation de son permis de conduire pendant deux ans et d’une interdiction de ses droits civiques et familiaux pendant trois ans : « Je ne vois pas comment quelqu’un qui ne partage pas les valeurs de la République pourrait être autorisé à voter aux prochaines échéances électorales », a déclaré Christophe Delattre à Libération.

Toulouse. Trois hommes de 20 à 25 ans ont été condamnés à des peines de 10 mois de prison ferme pour deux d’entre eux et 3 mois pour le troisième, en comparution immédiate. L’un d’entre eux, avait lancé dans le tramway : « Les frères Kouachi, c’est que le début, j’aurais dû être avec eux pour tuer plus de monde. » Un autre avait déclaré : « On va tous vous niquer à la kalachnikov » et « je vais venir au commissariat pour faire comme à Paris ». Le troisième a crié lors d’une altercation : « Je nique les Français, je suis propalestinien, je veux faire le jihad et vous tuer à la kalach’ sales juifs ! »

Toulon. Un homme de 27 ans a été condamné à un an de prison, dont trois mois ferme pour avoir publié sur Facebook des photos de jihadistes et des propos faisant l’apologie des attaques sanglantes de la semaine dernière à Paris : « On a bien tapé, mettez la djellaba, on ne va pas se rendre, il y a d’autres frères à Marseille. »

Orléans. À Orléans, un jeune de 27 ans a été condamné à six mois de prison ferme pour avoir crié « vive la kalach » jeudi dernier en direction d’un groupe de policiers croisé dans un centre commercial, et imité le bruit de l’arme en mimant la gestuelle d’un combattant tirant une rafale. Au tribunal, il a expliqué qu’il avait bu : « J’ai sorti ça comme ça et je m’en excuse. »

Deux détentions provisoires

Nice. Le tribunal correctionnel de Nice a maintenu en détention provisoire un jeune homme de 18 ans. Il lui est reproché notamment d’avoir lancé à des policiers, en gare de Cannes : « Ils ont bien fait à Paris, il ne faut pas insulter le Prophète, je vais vous kalacher, les musulmans vont niquer la France. »

Strasbourg. Le tribunal correctionnel de Strasbourg a renvoyé lundi le procès d’un jeune homme qui comparaissait pour apologie sur les réseaux sociaux de l’attentat contre Charlie Hebdo, mais a décidé de le maintenir en détention. Le prévenu de 30 ans, marié et père de deux enfants, avait relayé une photographie montrant un fusil d’assaut posé sur le sol, avec plusieurs munitions, et une phrase manuscrite : « Bons baisers de Syrie, Bye bye Charlie. » Le tribunal correctionnel a renvoyé l’affaire au 27 janvier, pour répondre au souhait du prévenu de ne pas être jugé dans le contexte de vive émotion que connaît le pays. Le parquet a requis le maintien en détention, pour « éviter tout renouvellement de l’infraction » et « garantir » sa présence lors de cette prochaine audience. Outre la photographie relayée, les enquêteurs avaient également mis la main sur divers messages du jeune homme, comme « Les frères, réveillez-vous » ou « Mettez-vous opérationnels pour défendre vos sœurs, vos mères ».

Presse porte-clefs (Fanny Lesbros & Guillaume Gendron, Liberation.fr, 13 janvier 2015)

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