BPC Russes – l’entrée de troupes russes en Ukraine poussera-t-elle Paris à trancher ? [LOL – NdJL]
L’Otan vient de confirmer l’entrée de troupes russes dans l’Est de l’Ukraine.
Le Vladivostok peut emporter 16 hélicoptères, quatre chalands de débarquement, 13 chars, un état-major, 450 fantassins et un hôpital.
À l’instar de ce que prévoyaient l’ensemble des spécialistes de géopolitique, des troupes russes viennent d’entrer en Ukraine, lourdement armées, alors que les combats ont redoublé à Donetsk, aux abords de l’aéroport toujours tenu par les troupes loyalistes.
Ces deux derniers jours, « nous avons vu des colonnes d’équipements russes, des chars russes, des systèmes de défense antiaérienne russes, de l’artillerie russe, et des troupes de combat russes entrant en Ukraine », a déclaré le commandant en chef de l’Otan en visite à Sofia.
Au lendemain d’élections fantoches tenues dans les zones contrôlées par les insurgés, Il n’y a donc plus aucun doute possible sur le fait que Moscou aide désormais directement les insurgés, avec un objectif très clair : leur permettre de contrôler les frontières administratives du Dombass, signant de facto une sécession avec l’Ukraine, à la manière de ce qui advint en une autre époque dans les Sudètes. La prochaine ville ciblée par les rebelles serait donc logiquement le port de Marioupol autour duquel les rebelles amassent troupes et matériels. (…)
Leur presse (ActuNautique.com, 12 novembre 2014)
Russie et « Étranger proche » : retour sur une année dramatique
(…) En dernier ressort, c’est à n’en pas douter cette contestation de la Russie en tant que modèle qui est à l’origine de la crise ukrainienne : les images du « retour de la Crimée dans le giron de la Patrie » ou d’un « mouvement pro-russe du Donbass » fortement suscité par Moscou ont pour fonction essentielle de masquer au public russe ce que l’éviction de V. Yanoukovitch ou les infortunes de députés véreux jetés dans des bacs à ordures pourraient fort bien lui rappeler : qu’en Russie, autant qu’en Ukraine, la légitimité fonctionnelle des pouvoirs en place est des plus douteuses. (…)
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Leur presse (Laurent Chamontin, Diploweb.com, 18 novembre 2014)
Russie : une ONG de mères de soldats russes classée « agent de l’étranger »
Les autorités russes ont classé ce vendredi comme « agent de l’étranger » un groupe de mères de soldats qui a demandé des comptes à Moscou sur la présence présumée de militaires russes dans l’est de l’Ukraine.
Apparemment, demander des comptes au Kremlin en pleine vraie-fausse guerre est une mauvaise idée. Un groupe de mères de soldat, qui s’interrogeaient sur la possible mort de neuf soldats russes près de la frontière ukrainienne, a été classé ce vendredi comme « agent de l’étranger » par les autorités russes.
Le ministère russe a annoncé dans un communiqué avoir enregistré sous cette classification une organisation appelée Mères de soldats de Saint-Pétersbourg (qui n’est pas la même que le Conseil des mères de soldats russes, ndlr). Cette dénomination, créée par une loi de 2012, oblige les ONG bénéficiant de financements étrangers et ayant une activité « politique » à s’enregistrer et à s’afficher dans toute communication ou activité publique comme des « agents de l’étranger », une expression datant de l’époque stalinienne.
Très influents, les comités de mères de soldats, dont certains sont plus proches du pouvoir que d’autres, dénoncent les abus dans l’armée et ont notamment fait grand bruit pendant les guerres de Tchétchénie dans les années 1990.
« Une centaine de soldats blessés à Saint-Pétersbourg »
Cette décision « va bien sûr compliquer notre travail », a déclaré Alexandre Gorbatchev, militant de l’organisation. « Cela sera plus compliqué pour nous de recevoir des informations de l’armée, des structures militaires ».
La directrice de l’ONG, Ella Poliakova, a fait parler d’elle ces derniers jours en Russie en demandant des comptes aux autorités, sur fond d’informations de plus en plus nombreuses sur la présence de troupes russes dans l’Est de l’Ukraine.
Sur la chaîne d’opposition Dojd, elle a évoqué l’arrivé à Saint-Pétersbourg d’une centaine de soldats blessés, s’interrogeant sur les raisons de cet afflux.
En tant que membre du Conseil russe aux droits de l’homme, elle s’était adressée en début de semaines au Comité d’enquête russe pour demander des informations sur la possible mort de neuf soldats russes près de la frontière ukrainienne.
Une source au ministère russe de la Défense a qualifié auprès de l’agence de presse Interfax les propos de M. Poliakova de « délire » et a relevé l’ajout des Mères de soldats de Saint-Pétersbourg au registre des « agents de l’étranger ».
Leur presse (LExpress.fr, 29 août 2014)
« Il n’y a pas de guerre en Ukraine », mais des soldats russes y meurent
Officiellement, aucun soldat russe ne combat en Ukraine. Mais les familles des soldats questionnent les circonstances de la mort de leurs enfants, parfois enterrés secrètement par l’armée.
Des soldats russes à Krasnodarovka, à la frontière avec l’Ukraine. Selon le Comité des mères de soldats de Russie, 15’000 soldats combattraient en Ukraine.
Où sont leurs fils ? Leurs maris sont-ils en bonne santé ? En Russie, mères et épouses de soldats commencent à se faire entendre, alors que Moscou campe sur sa ligne officielle : il n’y a pas de soldats russes en Ukraine. Pourtant, depuis plusieurs jours, des éléments viennent contredire cette position.
Le leader des séparatistes prorusses a déclaré que 3000 ou 4000 soldats se battent à leurs côtés. Selon le Comité des mères de soldats de Russie, ils seraient entre 10’000 et 15’000. « Poutine viole non seulement les lois internationales, la Convention de Genève mais aussi la loi russe. Quant au commandant en chef des forces aériennes, il oblige ses hommes à combattre dans un pays étranger, l’Ukraine, quand leurs mères reçoivent des cercueils anonymes », déplorait Valentina Melnikova, présidente du Comité, dans une interview au Daily Beast.
Plus de signes de vie
À Kostroma, dans le nord de la Russie, 15 soldats sont revenus blessés en début de semaine. Selon des témoins, d’autres étaient dans des cercueils. Le mari de Valeria Solokova, rencontrée par l’AFP, ne figure sur aucune des deux listes. Avec environ 400 autres militaires, il a été envoyé à la frontière russo-ukrainienne pour participer à des exercices, mais ne donne plus signe de vie. Les soldats ne se manifestent plus sur les réseaux sociaux, observe Libération.
Valeria Solokova n’est pas seule à s’inquiéter pour un proche, envoyé à la frontière. Jeudi, des mères et des épouses ont tenté de manifester près de la base militaire du 331e régiment de la 98e division aéroportée de Kostroma. Les autorités leur ont interdit de sortir leurs banderoles et la presse a été priée de ne pas relater l’événement.
Hiérarchie muette
Parmi les mères de Kostroma, il y avait Olga Garina. Son fils, Yegor Pochtoyev, 20 ans, fait partie des 10 parachutistes capturés par l’armée ukrainienne en début de semaine, rapporte le Washington Post. Cette mère a appris la nouvelle par un voisin qui a vu l’information à la télévision, mais l’armée ne l’a jamais contactée. Avec d’autres, elle a demandé des explications et n’a obtenu qu’une entrevue de cinq minutes, sans réponse à la clé. Pour les familles, le discours est le même, « la seule chose qu’ils acceptent de nous dire, c’est qu’ils ne sont pas en Russie », explique Valeria Solokova.
Olga Garina et les autres mères des parachutistes ont fini par recevoir des signes de vie de leurs enfants. Certaines sont prêtes à faire le voyage jusqu’à Kiev pour aller les chercher, « même si c’est un piège », lâche l’une d’elle. Elles continuent à croire en l’administration russe, mais espèrent obtenir des réponses. Le comité des mères local en a même convaincu quelques-unes à publier cette vidéo (en russe), directement adressée à Vladimir Poutine.
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D’autres ne reverront pas leur fils, même si leur pays n’est pas officiellement en guerre. Le conseil des droits de l’Homme rattaché à la présidence russe — qui entretient des rapports compliqués avec le Kremlin — rapporte le cas d’une mère qui a reçu le corps de son fils, parti pour des exercices militaires, dans un cercueil. Sur le certificat de décès, il est simplement indiqué « mort de ses blessures ». Où ? L’armée ne l’a pas précisé, relate USA Today. « Elle a joint d’autres soldats de son unité, ils lui ont expliqué qu’une centaine de soldats ont été tués dans la région de Donetsk », le 13 août, détaille Sergei Krivenko, président du conseil. Selon Reuters, environ 300 soldats auraient été blessés le même jour. Dans ce contexte, des parents se questionnent sur la mort de neuf soldats, officiellement à Rostov, une ville frontalière avec l’Ukraine.
Soldats fantômes
« Volontaires », « vacanciers » ou « frères de sang » dans la bouche des officiels russes et des séparatistes, ces hommes en armes circulent en Ukraine sans insignes et sans documents officiels, laissés à la frontière. « Je reçois des appels de familles demandant quoi faire, avec des conscrits forcés à signer des contrats pour être envoyés à la frontière », explique Lidia Sviridova du Comité des mères de Saratov. D’autres témoignages font état de documents signés sous la contrainte pour attester que les soldats sont volontaires.
La culture du non-dit entoure la guerre menée en Ukraine. À tel point que certains soldats sont enterrés dans le secret : à Pskov, dans le nord de la Russie, des parachutistes ont des tombes sans nom et sans photo, selon Le Monde. L’armée en dit le moins possible aux familles sur les circonstances de leur mort, les journalistes sont menacés lorsqu’ils tentent d’enquêter. Officiellement, « ces informations sont actuellement vérifiées par les autorités compétentes », a déclaré mercredi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Le Comité des mères de soldats de Russie
Le Comité est une ONG de protection des droits des soldats fondée en 1989 qui a pour but de protéger les appelés malades, de lutter contre les mauvais traitements dans l’armée ou encore de défendre les déserteurs. Le Comité a notamment été médiatisé durant la première guerre de Tchétchénie, au cours de laquelle des mères sont allées chercher leurs fils dans la zone de guerre.
Leur presse (Marie Le Douaran, LExpress.fr, 29 août 2014)
Les mères de soldats russes pleurent les morts
REPORTAGE | N’étant pas officiellement en guerre, Moscou envoie ses hommes en Ukraine de manière clandestine, sans en avertir les familles.
A Reuters reporter saw on Thursday a column of armoured vehicles and dust-covered troops, one of them with an injured face, driving through the Russian steppe just across the border from a part of Ukraine which Kiev says is occupied by Russian troops. None of the men or vehicles had standard military identification marks, but the reporter saw a Mi-8 helicopter with a Servicemen sit atop an armoured vehicle as they travel through the steppe near the village of Krasnodarovka in Rostov region August 28, 2014.
Pour Moscou, il n’y a toujours pas de guerre en Ukraine, mais pour les mères de soldats, cela commence à faire beaucoup de fils disparus, de blessés ou de corps qui doivent être enterrés. Quelque 15’000 militaires russes auraient été envoyés en Ukraine, a estimé la présidente du comité des mères de soldats russes, Valentina Melnikova, sur la chaîne de télévision indépendante Dojd. Plus de 100 de ces soldats russes ont été tués le 13 août dans la seule bataille de Snijne, dans la province de Donetsk, ont aussi rapporté Sergueï Krivenko et Ella Polyakova, qui font partie d’un conseil des droits de l’homme rattaché à la présidence russe. «Une colonne de soldats russes a été attaquée par des roquettes Grad et plus de 100 sont morts», a expliqué Sergueï Krivenko. «Quand des masses de gens sur des tanks, des véhicules blindés et munis d’armes lourdes se trouvent sur le territoire d’un autre pays après avoir franchi la frontière sous les ordres d’un commandant, j’appelle cela une invasion», a ajouté Ella Polyakova à l’agence Reuters.
Désespoir. La Russie n’étant pas officiellement en guerre contre l’Ukraine, elle envoie ses hommes de manière clandestine et irrégulière, sans insigne et sans garanties sociales pour les familles en cas de décès, observe Valentina Melnikova, du comité des mères de soldats russes. Mais de plus en plus de parents inquiets s’adressent aux antennes locales de l’organisation : certains conscrits auraient été forcés à signer des contrats, d’autres disent qu’ils seront prochainement envoyés à Lougansk. Les comités régionaux des mères de soldats recensent un nombre grandissant de blessés : il y en aurait 100 dans les hôpitaux de Saint-Pétersbourg. L’antenne de Stavropol cherche à compléter une liste de 400 tués ou blessés, et s’est adressée au comité d’enquête pour élucider les conditions dans lesquelles auraient péri onze contractuels daghestanais, entre le 9 et le 11 août, pendant des manœuvres sur un polygone, dans la région de Rostov. De plus en plus de familles disent avoir récemment perdu tout contact avec les appelés ou contractuels, censés être en train d’accomplir des manœuvres militaires dans la région de Rostov. Les soldats ne se manifestent plus sur les réseaux sociaux, tandis que les réponses du commandement, quand elles sont obtenues, sont au mieux évasives. Elena, de Kostroma, lance un cri de désespoir sur le site de la radio Écho de Moscou : «Mon mari a été envoyé il y a une semaine « pour des manœuvres dans la région de Rostov ». Cela fait une semaine qu’il ne me contacte plus. Trois soldats de son régiment sont déjà morts, mais personne ne sait où ils sont et quand ils rentreront. Tout le monde comprend qu’ils sont en Ukraine, mais nous ne savons pas quoi faire.»
Ne pas se taire, porter plainte, exiger des réponses, martèle Valentina Melnikova. Mais si la guerre avec l’Ukraine n’en est pas une, ses victimes n’existent pas. Plusieurs médias indépendants russes (Dojd, Slon.ru ou Novaïa Gazeta) ont rapporté en début de semaine que des enterrements secrets de soldats ont eu lieu dans la région de Pskov. Depuis, noms et dates ont été retirés des croix tombales de ces parachutistes, «morts dans des conditions inconnues», et les familles refusent catégoriquement de communiquer.
Il en est de même pour les mères et épouses des dix parachutistes russes capturés lundi en Ukraine, à 40 kilomètres de la frontière, dont les repentirs ont été filmés et postés sur YouTube par l’armée ukrainienne. Les récits, plus ou moins décousus, des caporaux Miltchakov et Romantsev, issus du 331e régime de la 98e division aéroportée, expliquent comment leur compagnie, basée en Russie centrale, a été envoyée à la hâte, le 17 août, pour des «exercices» dans la région de Rostov, proche de la frontière avec l’Ukraine.
«Pas des manœuvres». Arrivés sur place, les chauffeurs ont reçu l’ordre de dissimuler les plaques et insignes des véhicules, sous prétexte de manœuvres. «Quand on a fait exploser mon blindé, j’ai commencé à avoir peur. Là, j’ai compris que ce n’étaient pas des manœuvres», raconte Romantsev. Capturés par les Ukrainiens, ces hommes ont expliqué n’avoir pas su exactement quand ils ont franchi la frontière, mais reconnu que leur colonne «avançait à travers champs, pas sur la route». «Toute une compagnie n’a pu se perdre», a expliqué Romantsev. C’est pourtant bien ce qu’a prétendu le président russe, Vladimir Poutine, assurant au sujet de ces prisonniers : «Ils se sont égarés.» Aussi, pour le président russe, les combats restent une «affaire interne à l’Ukraine».
Une partie des mères et épouses de ces parachutistes russes prisonniers en Ukraine ont aussi décidé de ne plus parler à la presse après avoir été reçues par le commandement militaire de Kostroma. Tout en cherchant à imposer le silence aux soldats, à leurs familles et à ceux qui cherchent à défendre leurs intérêts, les autorités russes sont, à leur habitude, avares de commentaires : «Ces informations sont actuellement vérifiées par les autorités compétentes», a simplement déclaré mercredi soir le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, au sujet des parachutistes de Pskov, face à la déferlante d’informations accablantes.
Les démentis de l’activité militaire de Moscou en Ukraine rappellent l’épisode récent de l’annexion de la Crimée : après avoir nié pendant des semaines que les soldats russes avaient assuré l’arrimage de la péninsule à la Russie, Vladimir Poutine avait fini par l’admettre, sur le ton de l’évidence. Plus dramatiques et traumatiques sont les souvenirs des guerres soviétiques puis russes, en Afghanistan ou en Tchétchénie, quand, durant des mois, il n’y avait pas non plus ni de soldats, ni de guerre, ni de morts.
Leur presse (Veronika Dorman Correspondante à Moscou, Liberation.fr, 28 août 2014)
Les éléments qui accréditent l’intervention de soldats russes en Ukraine
« Derrière les forces d’autodéfense de Crimée, bien sûr, se trouvaient nos militaires. » Le 17 avril, un mois après le rattachement de la péninsule ukrainienne à la Fédération de Russie, Vladimir Poutine reconnaissait dans un haussement d’épaules, au détour d’une interview télévisée, ce qu’il avait toujours nié : les mystérieux soldats sans insigne qui avaient pris possession du territoire deux mois auparavant étaient russes. « Ils se sont comportés de manière très correcte », précisait le président russe.
Des soldats russes capturés en territoire ukrainien, mercredi 27 août, à Kiev.
Les « petits hommes verts » – comme les Ukrainiens avaient ironiquement surnommé ces soldats, sont de retour en Ukraine. En Crimée, leur seule présence avait suffi à chasser l’armée ukrainienne de ses bases. Dans le Donbass, ils font la guerre, meurent ou sont blessés, parfois faits prisonniers. Des indices observables aussi bien sur le théâtre ukrainien que dans les provinces reculées de Russie permettent d’affirmer que l’implication de longue date de Moscou dans l’est de l’Ukraine est en train de se muer en guerre directe contre Kiev.
« 3000 À 4000 SOLDATS » RUSSES PARMI LES INSURGÉS
Jeudi 28 août au matin, le chef des séparatistes de Donetsk, Alexandre Zakhartchenko, a reconnu que « 3000 à 4000 soldats » russes servaient dans les rangs des insurgés. « Parmi nous se trouvent des soldats, qui, plutôt que de passer leurs permissions sur les plages, nous ont rejoints, et qui combattent pour la liberté de leurs frères », s’est-il empressé d’ajouter.
À Pskov, dans le nord de la Russie, on enterre en secret des parachutistes d’unités régulières de l’armée, sans que le lieu et les conditions de leur mort ne soient dévoilés à leur famille. Le secret est difficile à garder, mais tous les moyens sont bons. Une équipe de la télévision russe Dojd a été agressée à la sortie du cimetière de la ville par des hommes en survêtement.
À Kostroma, à 300 km au nord-est de Moscou, un petit groupe de femmes s’est réuni, mercredi, pour demander des explications sur le sort de leurs fils et maris. La scène a été filmée : l’une d’elles, les yeux rougis, s’adresse directement à Vladimir Poutine : « Je vous en supplie, rendez-moi mon fils, rendez-le moi vivant. » Le fils se nomme Egor Potchtoev. Sa capture a été rendue publique lundi par l’armée ukrainienne, qui a diffusé les témoignages filmés de dix soldats russes qu’elle dit avoir faits prisonniers. Les hommes expliquent ne pas avoir été prévenus qu’ils étaient envoyés au front en Ukraine. « J’ai compris que nous étions dans une zone de guerre quand mon blindé a été bombardé », dit l’un d’eux.
Moscou a expliqué que ces soldats s’étaient retrouvés en territoire ukrainien « par erreur ». Ils ont été capturés près du village de Dzerkalny, dans la région de Louhansk. Des témoignages recueillis par l’agence de presse Reuters indiquent qu’une unité entière, composée de plusieurs dizaines de soldats sans insigne, est stationnée à sept kilomètres de là. Leurs uniformes sont les mêmes que ceux des prisonniers exhibés par Kiev, les numéros d’identification de leurs véhicules ont été recouverts de peinture blanche.
« AFFAIRE INTÉRIEURE UKRAINIENNE »
Combien de soldats russes combattent en Ukraine ? Impossible de le savoir. Là encore, seuls des éléments parcellaires permettent de saisir l’ampleur de l’intervention russe. Le Comité des mères de soldats de Saint-Pétersbourg assure que 100 militaires sont soignés dans les hôpitaux de la ville. Le comité de Stavropol a dressé une liste – qu’il reconnaît « incomplète » – de 400 tués ou blessés à travers toute la Russie.
La réapparition dans le paysage des comités de mères de soldats, une institution respectée des Russes, a semé le trouble dans le pays. Leur nom même évoque les années 1990, les guerres sales et meurtrières de Tchétchénie, au cours desquelles elles étaient particulièrement actives. Dans un éditorial, le quotidien Vedomosti demandait mercredi : « Sommes-nous en guerre en Ukraine ? Si oui, sur quelles bases ? Si non, qui repose dans les tombes fraîchement creusées dans les cimetières militaires ? » Plus loin, le journal met en garde : « Le silence et les commentaires vaseux des institutions officielles ne font qu’engendrer un climat de suspicion, en rappelant les moments désagréables de l’histoire russe et soviétique. »
Mardi, à Minsk, où il venait de rencontrer son homologue ukrainien Petro Porochenko, Vladimir Poutine a répété la position officielle russe : Moscou, uniquement préoccupé du sort des « populations russophones », n’a pas les moyens de peser sur ce qui n’est qu’une « affaire intérieure ukrainienne ». La mort de simples soldats dans les plaines du Donbass – et plus seulement de volontaires ou de membres des forces spéciales – risque de rendre cette position difficilement tenable auprès de son opinion publique.
La pression internationale est elle aussi montée d’un cran ces derniers jours. Jeudi matin, l’ambassadeur américain à Kiev a affirmé que la Russie était désormais « directement impliquée » dans les combats. Côté européen, la chancelière allemande Angela Merkel a demandé mercredi à M. Poutine, lors d’une conversation téléphonique, des « explications » sur les informations faisant état de la présence de troupes russes sur le sol ukrainien. Dans son discours aux ambassadeurs prononcé jeudi, François Hollande a estimé que la présence de soldats russes « serait intolérable et inacceptable ».
Jusqu’à présent, les mises en garde occidentales n’ont pas infléchi la position du Kremlin. Pendant que l’Europe passait progressivement du niveau 1 de ses sanctions aux niveaux 2 et 3, Moscou n’a fait qu’accentuer son soutien aux forces séparatistes, livrant armes et blindés en quantités toujours plus importantes.
CHUTE DE NOVOAZOVSK
Ces derniers jours, l’implication russe n’a pas seulement changé de nature, elle a aussi changé d’ampleur. Le New York Times citait mercredi des sources au sein du renseignement américain faisant état, photos satellites à l’appui, de mouvements massifs de blindés et de pièces d’artillerie en provenance de Russie. Kiev alerte depuis plusieurs jours sur ces nouvelles incursions, allant jusqu’à évoquer, mercredi, une colonne de cent véhicules faisant route vers le sud de la région de Donetsk. Ce chiffre ne peut être vérifié, et rien ne dit que l’armée ukrainienne ne l’amplifie pas pour mieux faire passer dans l’opinion ukrainienne ses derniers revers sur le terrain.
Quel est l’objectif de Moscou ? L’arrivée des renforts russes a d’ores et déjà permis de desserrer l’étau autour de Donetsk, la capitale des séparatistes. Mais l’ouverture d’un nouveau front, sur la côte de la mer d’Azov, fait réapparaître le spectre d’une jonction entre la rébellion et les forces russes présentes en Crimée. Il pourrait aussi s’agir d’une offensive limitée, ponctuelle, permettant un « rééquilibrage » des forces sur le terrain et la garantie que le conflit s’enlise encore pour de nombreux mois.
Cet objectif est très largement atteint. Après avoir engrangé des succès tout au long de l’été, les forces de Kiev ont subi la semaine passée de sérieux revers. Ces dernières vingt-quatre heures, les journalistes présents dans l’Est ukrainien ont vu des unités de l’armée en déroute, des positions abandonnées précipitamment, armes et matériel compris. Jeudi matin, la chute de la ville de Novoazovsk, à dix kilomètres de la frontière russe, sur la côte de la mer d’Azov, semblait avérée.
Ces nouvelles ont provoqué un vent de panique à Kiev. Le gouvernement a déclaré attendre une « aide pratique » et des « décisions cruciales » de la part de l’OTAN. « Nous avons besoin d’aide », a résumé le premier ministre, Arseni Iatseniouk.
Leur presse (Benoît Vitkine, LeMonde.fr, 28 août 2014)