[Seine-Saint-Denis et ailleurs] « Moi je suis tranquille, qu’ils m’arrêtent pas sinon ils vont voir c’est quoi une émeute au cocktail Molotov »

Lutte contre le meurtre de Rémi Fraisse et les violences policières
Militarisation de Saint-Denis (93) pour empêcher la mobilisation de la jeunesse des quartiers populaires

À saint Denis, sur le trottoir, une flaque de sang est tout ce qui reste d’une arrestation violente, un jeune qui n’a sans doute pas plus de 16 ans s’est fait projeter au sol et matraquer au visage jusqu’à en devenir méconnaissable, avant d’être embarqué. Sur le trottoir d’en face, un lycéen réagit à ce qu’il vient de voir : « Moi je suis tranquille, qu’ils m’arrêtent pas sinon ils vont voir c’est quoi une émeute au cocktail molotov ».

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Amal Bentounsi et un camarade s’interposent devant la manifestation parisienne des flics d’Alliance, le 13 novembre 2014. | « Trois membres du collectif ​Urgence-Notre-Police-Nous-Assassine ont répandu un liquide rouge sur le pavé, représentant « le sang des victimes, des bavures ». Ils arrivent à bloquer le cortège qui s’arrête un peu plus bas. La presse s’agglutine autour d’Amal Bentounsi, une militante, qui dénonce les pressions d’Alliance pendant les instructions. « Ils influencent la justice dès qu’il s’agit de bavures. La mort de Rémy Fraisse est la conséquence de cette impunité », explique-t-elle. » Publié par des larbins de la maison Poulaga (Cyrille Charpentier, « En France, même les policiers organisent des manifestations », Vice.com, 14 novembre 2014)

Dès 7h, la ville était militarisée, des dizaines de fourgons de police encerclaient le centre-ville et les lycées. Au lycée général Paul Eluard, mobilisé depuis jeudi dernier, les vigiles du rectorat font rentrer les élèves après qu’ils aient été fouillés par la police. Les lycéens les plus mobilisés se voient signifier la convocation de leurs parents. Tous les adultes autour d’eux, les flics mais regrettablement aussi le proviseur, tentent de les intimider.

Du côté du lycée pro ENNA, place du marché, les lycéens ne sont pas rentrés en cours. Devant la grille de leur lycée, la police montée, du haut de ses chevaux les provoque : « Viens, viens approche, tu vas voir » entend-on dire l’un d’entre eux à un lycéen qui s’indigne de leur présence.

Encerclés, sous pression, les jeunes ne se laissent pas écraser ; ils occupent la place devant leur bahut et la cité universitaire du CROUS de St-Denis. C’est là que la cavalerie charge dans la foule, tandis que des flics en civil distribuent des coups de matraque et qu’on interpelle des mineurs tenus en joue par des fusils flashball.

Un seuil a été franchi. Dans une partie du 93, d’Épinay à Saint-Ouen, à Stains, à St-Denis, dans les ghettos de Villiers-le-Bel, la jeunesse bouillonne. De provocations en provocations policières, alors que les lycéens dénonçaient leurs exactions impunies, nous voilà dans une ambiance d’émeute des banlieues.

Tuer la contestation dans l’œuf

Le gouvernement sait qu’une telle révolte serait très dangereuse pour lui. C’est pour cela qu’il essaye à travers la répression directe, la provocation et l’intimidation de désamorcer tout ce qui pourrait avoir l’air d’un début de mobilisation de la jeunesse des classes populaires. Et cela d’autant plus que ce début de fronde dans certains lycées du 93 s’inscrit dans le cadre de la contestation de la violence policière suite à la mort de Rémi, une réalité que ces jeunes des banlieues délaissées connaissent très bien.

Ainsi, avec la complicité des autorités scolaires, l’opératif monstre déployé aujourd’hui à St-Denis par la police cherchait clairement à intimider les élèves et à empêcher les plus organisés d’entre eux d’exercer des droits démocratiques aussi élémentaires que la distribution de tracts à leurs camarades pour les informer de la situation et de la mobilisation en cours dans les lycées.

Bien que l’on ne puisse pas exclure que ces intimidations aient un effet chez certains lycéens et lycéennes, on ne peut pas éliminer non plus le contraire : que la provocation et l’humiliation policière renforcent l’envie d’en découdre avec les forces de répression et l’État.

Il faudrait ajouter à tout cela que cette brutale répression obéit au racisme d’État qui considère que des jeunes des classes populaires, souvent enfants d’immigrés ou immigrés eux-mêmes, peuvent être tabassés par la police impunément. Pas étonnant, dans ce cas, que cette jeunesse exprime une telle haine envers les différents symboles de l’État et de la société en général.

Luttons pour une confluence potentiellement explosive !

Entre Zyed, Bouna et Rémi Fraisse, il y avait « tout un monde » d’écart. Mais déjà il y a quelques jours on pouvait entendre que « Rémi c’était un mec de mon quartier » dans la bouche de lycéens, encore mal informés, tellement habitués aux crimes des milices de l’État au quotidien qu’un jeune tué par la police ne pouvait qu’être un des leurs. Désormais la répression d’État, que connaissent les quartiers comme les militants du mouvement social et de la classe ouvrière ouvre la nécessité d’une convergence explosive entre la jeunesse délaissée et humiliée des quartiers populaires et les jeunes des lycées parisiens unis au même moment et dans une même lutte.

L’entrée dans la lutte du mouvement étudiant peut être un autre élément fondamental. La répression contre les manifestants à Toulouse le weekend dernier et la fermeture administrative de l’université de Rennes II pour empêcher la tenue d’une assemblée générale montre la crainte que cela génère au gouvernement.

[…] La mobilisation qui a fait suite à la mort du jeune étudiant toulousain prend une autre ampleur. Quelques mois à peine après les manifestations pour la Palestine, on est face à la possibilité que les jeunes des quartiers et les militants du mouvement social se retrouvent ensemble dans la rue. C’est une combinaison explosive qui pourrait entraîner d’autres secteurs à la résistance contre la politique réactionnaire du gouvernement Hollande-Valls.

Presse léniniste (Timur Chevket & Philippe Alcoy – Courant communiste révolutionnaire, 12 novembre 2014)

 

L’Intérieur veut briser la dynamique de la contestation d’extrême gauche

L’affaire Fraisse va-t-elle fédérer les luttes ? Le feu social qui couve fait craindre des actions de plus en plus violentes.

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Manifestation étudiante en mémoire de Rémi Fraisse, le 7 novembre, à Paris.

C’est un bourdonnement, une clameur. L’indignation autour de la mort de Rémi Fraisse, 21 ans, tué par les gendarmes, sur le site du barrage de Sivens (Tarn), dans la nuit du 25 au 26 octobre, est comme un feu qui couve sous les pieds du ministre de l’Intérieur. Au-delà de ses gestes d’apaisement, la vigilance s’impose pour un ministère qui ne saurait se laisser déborder.

Les foyers de contestation essaiment aujourd’hui du bocage nantais à la ferme des 1000 vaches, le mouvement de solidarité avec le jeune botaniste victime d’un tir de grenade offensive commence même à gagner l’imprévisible public lycéen. Lundi dernier, profitant de ce contexte, plus d’une centaine de casseurs s’en sont pris aux voitures, aux commerces, à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis.

À Paris, jeudi matin, une petite dizaine d’établissements scolaires ont été bloqués. D’autres jeunes ont manifesté depuis et 350 d’entre eux se sont rassemblés en assemblée générale à l’université Rennes-II, jeudi. Les tracts et les initiatives se multiplient, comme l’organisation d’un «picnic» anticapitaliste à Paris, le 22, place de la Réunion (XXe). La Coordination des groupes anarchistes appelle à «s’organiser, contre-attaquer !»

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Le week-end dernier déjà, des saccages ont eu lieu à Toulouse, et ce pour la seconde fois. Le ministre de l’Intérieur n’a pu que déplorer «des violences commises par de petits groupes de casseurs très mobiles». Il a fallu interrompre les trams, les métros, les bus. Deux policiers ont été blessés et 21 casseurs présumés interpellés. Un scénario semblable à ceux de Rennes et Lyon, précédemment.

Beauvau aimerait briser la dynamique. Patrice Ribeiro, le secrétaire général du syndicat de policiers Synergie-Officiers, explique : «Les militants verts ou rouges sont passés des slogans aux provocations physiques sur le terrain. La crainte étant désormais qu’une frange de ces agitateurs ne bascule vers l’action armée, comme au temps des mouvements révolutionnaires des années 70.» À l’entendre, «une forme de clandestinité propre à ces groupes est en train de se développer, une sorte de paranoïa propice à toutes les dérives.»

Les extrémistes de gauche, qui ont raté la «jonction» avec les banlieues, sont-ils vraiment en passe de reproduire un mouvement de révolte similaire à celui des «indignés» de la Puerta del Sol à Madrid en 2012 ? «C’est leur rêve», assure un préfet de province placé en première ligne. «Les récits de leurs confrontations avec l’autorité pullulent, en tout cas, sur la Toile, nourrissant la rumeur, le désir de vengeance, à l’instar de ce que nous connaissons avec les islamistes qui s’autoradicalisent via Internet», confie un commissaire de police.

Les «écolo-guerriers» ratissent désormais bien au-delà des ex-blacks blocs, ces durs de la contestation anarcho-libertaire, qui s’habillent en noir, portent la cagoule et agissent comme de vrais petits commandos. Étudiants, chômeurs, anciens salariés, hackeurs tendance Anonymous, clowns activistes, vieux anars du NPA, jeunes paumés déguisés en Mad Max, tous veulent défier la «police fasciste» depuis la «bavure» de Sivens.

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Communiqué de soutien au Jura libertaire – « Soyons hostiles à la police », le 13 novembre 2014

Les «zadistes» (nom tiré de leur camp retranché, Zad, qui signifie «zone à défendre»), agrègent «des militants politiques ou des M. Tout-le-Monde», affirme Benoît Hartmann, porte-parole de l’association France Nature Environnement, à laquelle adhérait Rémi Fraisse et qui fédère aujourd’hui près de 850.000 militants et 3000 associations. Selon lui, cette mobilisation se mue peu à peu en «mouvement social».

Là est le risque. «Plus le vivier grandit, plus il permet à des éléments radicaux de se noyer dans la masse», assure un spécialiste à Beauvau. Il omet cependant de préciser que l’infiltration policière est par là même facilitée…

Mais les «zadistes» ou assimilés se méfient. «Dans leurs campements, ils érigent des filtres, questionnent l’intrus, agissent comme une police politique pour débusquer le traître», explique un agent des ex-Renseignements généraux (RG). Cet officier de police chevronné assure que les communications modernes, via Internet, les mobiles, compliquent singulièrement la tâche de la police. «Certains décochent les options de géolocalisation de leurs téléphones cellulaires pour échapper à tout repérage ; d’autres vont jusqu’à crypter leurs appels», ajoute le policier.

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Le service infographie du Figaro travaille

Pour l’heure, malgré la forte mobilisation des manifestants, et même si certains vont jusqu’à revendiquer une filiation avec Action directe, on est encore loin des dérives du passé, quand les Groupes d’action révolutionnaire internationale (Gari) ou les maoïstes des Noyaux armés pour l’autonomie populaire (Napap) multipliaient les hold-up pour financer leur cause et que le mouvement de Rouillan et Ménigon signait sa création en 1979 par un mitraillage en règle du siège du CNPF.

«Chez les zadistes, on en est certes à envoyer des bouteilles d’acide et d’urine sur les forces de l’ordre, entre deux jets de pierres et de cocktails Molotov, mais, fort heureusement, aucune utilisation d’arme à feu n’a été constatée», concède un vieux briscard de l’ordre public. Prophétisée par les saboteurs présumés de l’affaire de Tarnac en 2004, «l’insurrection qui vient» a beau inquiéter la police, elle se hâte lentement. L’hôte de Beauvau a conscience qu’il ne doit pas surréagir. Il a aussi appris qu’il ne doit pas communiquer à contretemps.

Dégueulé par des larbins des marchands de canons et de la maison Poulaga réunis (Jean-Marc Leclerc, LeFigaro.fr, 14 novembre 2014)

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