Plus de six mois après le début de la guerre, la spontanéité des premiers gestes de rébellion a laissé place à différentes formes d’engagement qui révèlent les désirs des libyens engagés dans les combats, autrement mieux que ne le font les caricatures de médias occidentaux ou le folklore d’Al Jazeera.
Quelles sont les différentes entités qui ont coordonné les actions des rebelles ces derniers mois ? Maintenant qu’approche la fin des combats, qu’est-ce qui se joue entre elles ?
Dans la base d'une katiba à Misrata
Le CNT
Le CNT est la plus connue de ces entités et certainement la plus fantomatique, tant sa prise en main du domaine militaire et du civil a été médiocre.
La première façon dont le CNT se définit est, suivant un modèle bien connu ici, son incarnation dans un personnage fort, monsieur Abdoujaleel. Ce personnage, bureaucrate de carrière, bénéficie d’une espèce de sainteté du fait de son implication toujours indirecte dans les actes de répression du régime. Le fait de virer tous les ministres de son gouvernement provisoire a renforcé cette image solitaire d’homme incorruptible. Enfin le dernier coup de malice de ce politicien a été de faire mettre à prix la tête de Muhamar Kadhafi pour 1,7 millions de dollars mort ou vif. Cette provocation oblige ce dernier (ô combien orgueuilleux), soit à subir l’affront sans rien dire, soit à répondre par une mise à prix d’Abdoujaleel qui donnerait une légitimité considérable à ce rond de cuir.
Au delà de cet aspect personnel, le CNT a bien entendu commencé à construire un véritable pouvoir d’État, un pouvoir opaque. Le premier élément de ce pouvoir est une force militaire, une « armée libyenne » nouvelle. Construite sous l’état de mythe dans les premiers temps et à la va-vite, cette force armée a cependant commencé à être organisée de manière fort maladroite, mais néanmoins concrète, nous reviendrons dans la seconde partie de ce texte sur la réalité de cette force aujourd’hui.
Ajoutons simplement que cet aspect militaire comprend également la nouvelle police de Tripoli sur laquelle il conviendra également de revenir plus loin en détail.
Il est difficile de se rendre compte du rôle que le CNT joue maintenant dans l’économie de l’Est de la Libye, mais il est peu probable que ce rôle soit très important, étant donné le peu d’intérêt que les membres ou les ministres du CNT ont porté à ces questions, les laissant à d’autres instances de Benghazi. Seul le très lucratif domaine du pétrole à été pris en main rapidement par des responsables du CNT, mais nous manquons d’informations neuves à ce sujet.
Notons au passage, l’organisation croissante de missions diplomatiques et d’ambassades en Libye et à l’étranger, notons également que l’équipe de football de la Libye a été refaite avec les mêmes joueurs (vivant à Benghazi et Tripoli) et un nouveau maillot, elle joue en Égypte en ce moment.
Pour tout le reste, le manque de disponibilité des fonctionnaires du CNT fait que toute sa positivité se résume en la présence d’Al Jazeera, qui est même un garde fou de sa sécurité intérieure depuis la découverte des documents de Tripoli (documents trouvés dans une enveloppe sur le bureau central des renseignements à Tripoli, contenant des informations précises sur l’état major des forces du Djebel Nafoussa en lien avec Benghazi, une fuite qui ne peut venir que du CNT).
Sur la coordination qui existe dans le Djebel Nefoussa, nous avons peu d’informations. Le siège se trouve à Zintan, il y a des bureaux à Nalut. Ils émettent des documents où ils se présentent comme une émanation du conseil national. Cependant, leurs groupes de combatants ne semblent pas avoir été intégrés sous un commandement du CNT.
Sur la route de Misrata
Misrata
La katiba reste ici l’unité de base de l’organisation. Il existe dans cette ville trois organes principaux de centralisation.
La chambre centrale d’opérations, elle est notamment l’organe diplomatique, divisée en trois fronts. Le front Ouest appelé Yomah Bahrour, le front central appelé Fachloum, et le front Est appelé Nalut.
Le conseil de ville traite les aspects civils, à savoir les médias, les hôpitaux, la nourriture principalement.
L’union des combattants qui est un organe indépendant des deux autres, a une plus grande force de décision, ses assemblées sont plus grandes (autour de 200 personnes généralement, même 2000 une fois, en principe ouvert à tous les combattants). Tous les groupes y sont représentés. Le soviet est la forme à laquelle cette assemblée pourrait ressembler le plus, il donne les orientations pour les autres chambres.
Le fait que les katibas soient l’unité d’organisation par excellence signifie que tout combattant (incluant ceux qui s’occupent de tâches purement logistiques, bouffe, eau, communication, port, ateliers) a la sienne, avec sa base, sa vie commune, ses pick-up, ses armes, ses moyens informatiques, ses cuisines, ses radios…
Celle du port tient le port, les Katibas Albous et Thaquil, l’offensive vers Syrte, celles de l’Est tiennent Tripoli et la route qui y mène (cette route a été complètement fermée hier en raison d’un enlèvement à Dafnia la nuit précédente).
Tripoli
Plusieurs milliers de combattants se relaient, tant du Djebel Nefoussa que de Misrata pour tenir des postes à Tripoli, mener des attaques (prison des 9000 [Une prison militaire a été ouverte le 2 septembre à Ael Zara ; 9000 prisonniers auraient été relachés.]), s’assurer de la défense de la ville face à Ben-Walid. Les gens du Djebel à l’Ouest de la ville (Gargalech, longue banlieue), les gens de Misrata à l’Est (ville de Tajoura et surtout quartier du souk Al Jouma).
De nouvelles instances sont apparues en ville, la plus visible est la Katiba Tewar Tripoli (groupe des rebelles de Tripoli), un nom assez creux. Ils sont présents en de nombreux points du centre-ville, dont un revendique une centralité, même sur d’autres katibas et sur la base de Mitiga. Ils sont aussi présents à Mitiga où se trouve le très controversé Abd el Hackim [Ayant fait partie de groupes de combattants en Irak et en Afghanistan, il a été torturé par la CIA.] qui est chargé par le CNT de la sécurité à Tripoli, et qui se trouve de fait en position centrale.
Il existe aussi un autre lieu en ville qui se prétend être la « force d’intervention » ou nouvelle police, composé de gens de différentes villes de l’Est (Benghazi, Bayda, Derna, Tobrouk) venus par bateau à Tripoli, aux ordres directs du CNT et liés de fait à Mitiga. Probablement les seuls à Tripoli hors gars de Zenten ou de Misrata à avoir des minta.
Dans les faits, les Tewar Tripoli tiennent la plupart des check-points, les hôtels à journalistes. Mais leur grand problème est d’avoir été formés après la libération de Tripoli, par des jeunes dont le principal fait d’armes consiste à avoir ramassé des kalachnikovs quand l’Aziziyah est tombée. Ils n’ont pas d’expérience des combats, pas non plus la légitimité de prendre les choses en main qui suit logiquement ces combats, ils n’ont que des armes légères [L’arme la plus répandue dans les rues de Tripoli est la Kalachnikov 103, de mauvaise réputation chez les combattants.].
Ce groupe demande maintenant le départ de Tripoli des combattants des autres villes qui leur font de l’ombre. Mais ils sont mal armés et mal organisés il est difficile de croire en leur capacité à tenir la ville dans une contre-attaque. D’ailleurs ils s’en foutent, leurs centres d’intérêts tournent surtout autour de leurs nouvelles prérogatives, du prestige de leur nouveau statut. Dès les premiers jours, ils s’étaient fait broder un drapeau à leur effigie, j’ai jamais vu ça ailleurs.
La légende des 700
La rumeur qui courrait comme quoi 700 soldats auraient été formés par la France et auraient pris Tripoli vient du fait que le CNT a envoyé à Misrata 700 soldats formés plus que sommairement par leurs soins. Présentés comme la nouvelle armée. Les katibas de Misrata étaient priées de se fondre dans cette nouvelle armée. Les combattants de Misrata, considérant qu’ils n’avaient rien à apprendre de ces branques les ont accueuillis plus que froidement, leur proposant d’aller faire la guerre si ils le voulaient. Après avoir zoné pendant deux jours dans leur camp, les soldats n’étaient plus que 500 et sont repartis d’où ils étaient venus.
Il y aura sans doute bientôt d’autres problèmes à propos des armes notamment que les shebab de Misrata détiennent par centaines de tonnes et que le CNT va vouloir accaparer.
L’initiative est maintenant à Misrata, menacée par la proximité avec Beni Walid où se trouve Saïf. Les combattants disent avec impatience que dans quelques jours, ils partent pour Syrte.
Après Syrte, la Syrie inch’allah, ici, il y a déjà une katiba qui porte le nom de Damas.
Se trouver, 6 septembre 2011.