[Copwatch] La « présomption d’innocence » en action (et en images)

Une plainte contre des policiers pour violence et vol de caméra

Alexandre D. accuse des policiers lillois de l’avoir frappé pour dérober sa caméra alors qu’il filmait un rassemblement de soutien aux sans-papiers. Une vidéo de la scène vient appuyer sa plainte.

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Venu filmer un rassemblement de soutien aux sans-papiers, le 4 avril au matin, Alexandre D. est reparti en camion de pompiers et sans caméra. Il a porté plainte contre des policiers jeudi dernier, pour violences et vol de son matériel vidéo.

Ce jour-là, six sans-papiers passent devant le tribunal administratif de Lille. Ils ont été arrêtés le 30 mars, lors de l’invasion d’une permanence UMP, et placés en rétention. Parmi les militants du Comité des Sans-Papiers 59 qui sont venus les soutenir, se trouve Alexandre D., étudiant de 23 ans :

“Ma conjointe et moi avions pris soin d’amener notre caméscope personnel, comme nous l’avions déjà fait lors des actions précédentes du Comité des Sans-Papiers, pour couvrir l’événement et diffuser les images dans les réseaux alternatifs. Ces archives serviront un jour à faire un film. Par ailleurs, les caméras ont un effet dissuasif sur la police, en diminuant le sentiment d’impunité.”

D’autres militants politiques aux motivations diverses filment le rassemblement et le cordon de police. Philippe [Prénom modifié] appartient au collectif Copwatch, un site d’identification des policiers interdit d’accès à la demande du ministère de l’Intérieur. Il raconte le début des événements :

“On pensait assister à l’audience comme ça se passe habituellement. Mais le président du tribunal nous a demandé de rester dehors, évoquant des risques d’occupation. Il n’y avait vraiment aucune volonté de contact physique avec la police.”

La préfecture du Nord nous a confirmé que “le président du tribunal a refusé l’accès aux personnes, qui ont de ce fait manifesté sur la voie publique sans déclaration préalable”.

Coups et lacrymo

Devant le tribunal, Alexandre D. fait des images avec sa caméra toute neuve. Il l’a payée 1200 euros. Quand la charge de police commence, Alexandre D. est mis à terre et immobilisé. Les images qui suivent, tournées par un manifestant, ont été fournies dans leur intégralité aux Inrocks et au collectif Copwatch. Les Inrocks ont réalisé le montage.

Sur cette vidéo, on voit un policier porter un coup de pied à Alexandre D., maintenu au sol puis relâché après un jet de gaz lacrymogène dans le visage. La scène complète dure environ trois minutes, pendant lesquelles le jeune homme est immobilisé et frappé par moments. Il se souvient de quelques détails :

“J’entends un policier s’écrier : “C’est lui ! C’est lui le cameraman ! Prenez-lui la caméra ! Prenez lui la caméra !” Je serre de toutes mes forces ma caméra contre mon ventre mais plus je la retiens, plus je reçois des coups dans le visage, dans le crâne, sur la nuque ou dans le dos. Les policiers essaient de me l’arracher, ils se mettent à plusieurs. À côté de ma tête, le sac à accessoires de la caméra est d’abord piétiné par un policier avant de disparaître définitivement.”

Il fait partie des six blessés légers conduits à l’hôpital à l’issue de la manifestation. Son certificat médical indique : “traumatisme crânien, traumatisme et contracture des cervicales, diverses contusions”. La médecine légale relève “cinq ecchymoses au visage, deux ecchymoses sur le crâne, deux dans le dos” et recommande un jour d’ITT (interruption totale de travail). Son médecin traitant monte à quatre jours d’ITT.

Alexandre D. n’a aucune nouvelle de son matériel. Pour son avocate, Muriel Rueff :

“Le but des violences était de prendre la caméra. Il a été délibérément ciblé : son sac a été arraché, sa caméra subtilisée. Normalement, si la police veut confisquer quelque chose, il y a une fouille, une saisie, un endroit où récupérer ses affaires, un document. Je demande au procureur d’identifier les responsables. Tout s’est passé très vite, heureusement il y a beaucoup d’images.”

Outre la plainte pour vol et violences, l’avocate d’Alexandre D. a saisi le Défenseur des droits.

“S’il avait commis quelque chose d’illégal, un outrage par exemple, mon client aurait été arrêté. Or ce n’est pas le cas. Son identité n’a même pas été contrôlée.”

La préfecture du Nord précise que lors de ce rassemblement, les policiers n’ont procédé à aucune interpellation, et explique les raisons de la charge :

“Le tribunal administratif se trouve à l’angle d’un boulevard très passant et d’un axe qui va à la place de la République. L’intervention avait pour objet d’assurer la sécurité des manifestants comme des automobilistes.”

Sur le fond, la préfecture n’a “aucune déclaration à faire : s’il y a une plainte, elle doit être instruite”.

Climat de tension

Rappelons qu’il est autorisé de filmer des policiers dans l’exercice de leurs fonctions sur la voie publique, tant qu’il ne s’agit pas de fonctionnaires figurant dans la liste spéciale définie par décret. Quant à la confiscation du matériel, un syndicaliste policier faisait le point de manière très claire en 2009 dans un article de Slate :

“Lors d’une affaire récente, après que des fonctionnaires de police ont confisqué du matériel, une note de service de leur hiérarchie leur a demandé de ne pas procéder à ce genre de confiscations.”

L’incident intervient dans un climat de tension entre militants d’extrême-gauche et policiers dans la région lilloise. Le site Copwatch Nord-Ile-de-France, qui avait publié beaucoup d’images des forces de l’ordre en manifestation à Lille et Calais, continue à inquiéter les fonctionnaires. Ils craignent des représailles si leur visage apparaît sur Internet.

Dans une autre vidéo visionnée par Les Inrocks, tournée lors du même rassemblement devant le tribunal administratif, on voit un policier s’approcher d’un manifestant qui filme. Suit un dialogue :

“Ta caméra, j’vais te la péter sur le mur.
— Pourquoi?
— Parce que tu vas nous foutre sur ton Copwatch à la con.”

Un autre policier s’avance et contrôle l’identité du porteur de caméra. Les avertissements se poursuivent :

“Là je suis de bonne humeur, j’te la casse pas. Mais la fois prochaine je la fracasse. […] Moi que tu filmes à 1000 mètres je m’en fous, mais je veux plus te voir dans mes pattes.”

D’après Philippe*, du collectif Copwatch, les forces de l’ordre craignent les manifestants munis d’une caméra ou d’un téléphone portable :

“Déjà le vendredi précédent à l’UMP, les flics n’avaient qu’un mot à la bouche, “Copwatch”. Dès qu’ils voyaient une caméra ils disaient “faites gaffe là, y’a du Copwatch” et ils remontaient leur cache-cou.”

Alexandre D. nous a précisé ne pas faire partie du collectif Copwatch. Il interprète différemment l’attitude de la police à son égard :

“On ne peut pas faire fi du contexte politique : des lois migratoires de plus en plus inhumaines, 30’000 expulsions par an et la chasse aux sans-papiers. Sur les six blessés de la manifestation, je suis le seul à avoir pu porter plainte. Tous les autres étaient des sans-papiers, qui risquent l’expulsion s’ils se rendent au commissariat. Pourtant la charge était violente, c’est ce que j’étais en train de filmer.”

Privé de caméra, Alexandre D. ne peut pas étayer ses propos par des images.

Leur presse (Camille Polloni, LesInrocks.com, 26 avril 2012)


Vidéo à l’appui, il porte plainte contre des policiers pour violences et vol de caméra

Une vidéo éloquente, révélée jeudi par le site des « Inrockuptibles ». Ses images étayent la plainte, déposée voici une dizaine de jours au parquet, d’Alexandre contre des policiers lillois.

Le jeune homme de 23 ans a aussi saisi le Défenseur des droits. Il dénonce des violences et le vol de sa caméra lors d’un rassemblement de soutien aux sans-papiers, le 4 avril, devant le tribunal administratif de Lille.

Alexandre filme cette mobilisation pacifique avec un caméscope neuf acheté 1200 € la veille. Étudiant en cinéma, il vient souvent sur des actions similaires comme « observateur et cameraman indépendant. Je suis sensible aux questions de droit des immigrés ». La police charge et disperse le cortège, « sans sommation ». Alexandre décrit des brutalités des forces de l’ordre. Sa caméra tourne : « C’était des images compromettantes. Quand les policiers s’en rendent compte, leur chef me pointe du doigt et ils me plaquent au sol. Je l’ai entendu dire : « prenez-lui la caméra ». Je l’ai serrée contre moi. »

Un manifestant filme la scène avec son téléphone portable. Sur cette vidéo, on voit l’étudiant immobilisé à terre plusieurs minutes par trois à quatre policiers. Il reçoit des coups de pied et de poing. Son sac à accessoires lui est arraché et jeté. Sa caméra disparaît. Puis il est relâché : « Ils ne m’arrêtent pas car je n’ai rien fait ! »

Chancelant, il repart sonné… et reçoit un jet de gaz lacrymogène au visage, à bout portant. Avec cinq sans-papiers légèrement blessés, il est conduit à l’hôpital par les pompiers.

Bilan : des ecchymoses à la tête et au dos, un traumatisme au crâne et aux cervicales. La médecine légale lui délivre un arrêt de travail d’un jour, son médecin traitant quatre. « J’ai des papiers, c’est plus facile de porter plainte. Les cinq autres hospitalisés, dont une femme enceinte, n’en ont pas. Ils ne peuvent pas se défendre, c’est injuste. »

Contactés, le parquet, la préfecture et la police n’ont pas répondu.

Leur presse (lavoixdunord.fr, 28 avril 2012)


Supplément
Le commissaire Lagarde réintégré, le parquet ouvre deux nouvelles enquêtes

Des policiers grincent des dents après la nomination du commissaire Jean-Christophe Lagarde comme chargé de mission à la direction centrale de la sécurité publique à Paris. Mis en examen en octobre dernier pour proxénétisme aggravé et recel d’abus de biens sociaux dans l’affaire du Carlton de Lille, il avait été suspendu de ses fonctions de chef de la sûreté départementale du Nord…

Un policier lillois sent de l’incompréhension : « La « base » ne trouve pas cela réglo : des agents sont mis à pied pour trois fois rien. » Benoit Lecomte, du syndicat Alliance, abonde : « Il y a une différence de traitement entre gardiens de la paix et commissaires. » Mais, rappelant que le contrôle judiciaire de Jean-Christophe Lagarde ne comprend pas d’interdiction d’exercer, son discours est nuancé : « Il est présumé innocent, sa réintégration n’est pas anormale. » Le ministère de l’Intérieur justifie sa décision : « La suspension de M. Lagarde était à titre conservatoire, afin d’éviter un trouble excessif dans son service, mais n’était pas une mesure disciplinaire. On utilise ses compétences. » Cet épisode ne ramènera pas la sérénité au sein d’une police lilloise troublée par les scandales à répétition. L’IGPN, la police des polices, a quitté Lille jeudi après ses auditions dans l’enquête sur la plainte de Philippe Patisson. Il estime avoir subi harcèlement moral, homophobie et discrimination comme directeur du SDIG (Service départemental de l’information générale) de 2008 à 2011.

Les « bœufs-carottes » devraient vite revenir. Jeudi, le parquet les a saisis de la plainte pour harcèlement et discrimination, en raison de ses origines maghrébines, d’une ex-policière du SDIG. Elle pourrait être jointe à celle de M. Patisson. Et mardi, le procureur a confié à la police des polices l’affaire des ferrailleurs. Avec le dossier de l’ordinateur volé, l’IGPN est chargée de quatre enquêtes sur Lille.

Leur presse (lavoixdunord.fr, 21 avril 2012)

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