[Chronique de Youv derrière les barreaux] « Pour moi, une chose était sûre, je méritais mieux que ça, mieux que Emmaüs. Qu’il fallait que je sois le patron de ma vie, l’architecte de mon existence »

[21 juillet 2012]
Le crapaud qui voulait devenir roi

Zoom sur ma photo de classe, le crapaud sponsorisé par Emmaüs.

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Rien à prendre tout à jeter. Vêtements achetés au poids dans un hangar désaffecté de la banlieue ouest de Paris. Je l’aime cette photo c’est mon histoire mon patrimoine !!! Les souvenirs lui donnent du charme. Parti de là, tu ne peux qu’évoluer positivement et tu n’as rien à perdre en voulant grimper les échelons.

1992, un an plus tôt, le Val-Fourré à Mantes-la-Jolie subissait l’une des émeutes les plus bouillantes des années 90. C’est dans cette ambiance que le crapaud a grandi.

On pose pour des photos de classe comme si de rien n’était, alors qu’on avait besoin de psychologues.

Pendant qu’on perfectionnait notre anglais, par la fenêtre, on avait le droit à des affrontements entre jeunes et CRS.

Un pied dans la rue et l’autre dans l’Éducation nationale en haillons même le prof sorti tout droit d’un polar avait plus de style que moi. Si je m’étais assis à côté d’un SDF black aucune différence.

Je passais mes journées au stade à taper le ballon, à en bousiller mes orteils. Mes chaussures de criminel en témoignent.

Dès la sonnerie de fin de classe, je rentre et slalome entre les carcasses de voitures brûlantes et encore fumantes. Une brève halte chez moi, pour déposer mon sac et faire acte de présence puis enjambe les marches deux par deux pour aller rejoindre d’autres crapauds comme moi. On se droguait au HIP-HOP, smurfait sur des cartons, danse du combat qui finissait toujours en tête-à-tête de poids mouches.

Malgré tout, on était conscients de notre ghettoïsation quand tu voyais dans la photo de classe, il y avait que deux Français blancs en comptant le prof bien sûr.

Je savais pertinemment que l’Éducation nationale nous cachait des choses, mais quoi ? Ça je l’apprendrai beaucoup plus tard.

Pour moi, une chose était sûre, je méritais mieux que ça, mieux que Emmaüs. Qu’il fallait que je sois le patron de ma vie, l’architecte de mon existence.

Le film SCARFACE a été ma pulsion et HEAT ma révélation. Mais comment passer des Restos du cœur aux coffres-forts. Il m’en a fallu des années. J’ai mis de côté la fumette et l’alcool pour me consacrer à mon projet personnel.

Je me tue au sport, BOXE, TAEKWONDO, FOOT, JUDO je suis inscrit partout pour me forger une mentale, un physique de guerrier.

Les années nous ont rendus présentables. J’ai troqué le col roulé de la daronne et le pull chiné au marché aux puces pour un survêt LACOSTE et mes chaussures marron de bûcheron par des REEBOK ROYAL.

Grâce à mes vols à l’arraché, je finance mes frites-merguez, ma sape et le plein d’essence de ma moto, une PEUGEOT 103 volée quinze jours plus tôt à la gare routière.

J’anticipe mon permis de conduire avec des heures à conduire des voitures volées sur les parkings du VAL-FOURRÉ. C’est grâce à ça que j’ai eu mon permis de conduire dès le premier coup (je n’incite personne à le faire).

Haut comme trois pommes mais je voulais le pommier. Si je devais être un voleur, bah autant être le chef.

Tous les moyens étaient bons pour améliorer mon quotidien. Oublie l’argent de poche, dans mes survêts y avait pas d’poche.

Je prends plaisir à écrire sur mon enfance, mon passé. Mes souvenirs leur donnent du charme. En plus HAMDOULILLAH vingt ans après on est devenu des top-models ou peut-être des crapauds déguisés en top-models.

Une énorme dédicace à Karim mon frérot de la 18e et copilote de l’époque c’est celui qu’a les lunettes sur la photo, je le balance normal. Si je coule, on coule tous !!!

[La Chronique de Youv derrière les barreaux est disponible en téléchargement gratuit sur le site des Éditions Antisociales. Elle est à suivre sur le compte Facebook dédié.]

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