Procès du forgeron de Tarnac : « On incrimine ma volonté »
Pour avoir refusé de donner son ADN aux officiers de l’anti-terrorisme, Charles Torres, « le forgeron de l’affaire Tarnac », lavé de tous soupçons depuis, est passé devant la justice. Le délibéré sera rendu par le tribunal de grande instance de Rouen le 6 mars 2013.
Mercredi 6 janvier 2013, Charles Torres était jugé pour refus de se soumettre au prélèvement d’ADN. Prélèvement demandé par la cellule anti-terroriste lors d’une garde-à-vue justifiée par sa possible appartenance à l’affaire Tarnac. Au moment de cette garde-à-vue, le 23 février 2012, Charles Torres, forgeron de profession, est soupçonné d’être l’artisan des crochets qui auront servi en 2008 à saboter des caténaires de la SNCF.
Le palais de justice de Rouen accueille donc le jour de l’audience du « Forgeron de Tarnac », tous ses soutiens, sa famille et une bonne dizaine de journalistes alléchés par cette audience connexe à l’affaire Tarnac. Quelques policiers, arnaché de gilets pare-balles et de talkie-walkies. Normal, c’est le procès d’une personne qui soupçonnée début 2012 d’association de malfaiteurs dans une entreprise terroriste.
La juge aura dû, en début d’audience faire taire le public venu en nombre pour soutenir Charles Torres. Celui-ci a souhaité lire devant le tribunal « sa plaidoirie » car il n’est « pas très à l’aise à l’oral ». L’homme de 28 ans, spécialisé dans la forge médiévale, a commencé son diatribe timidement, posant la question qui le taraude : « Pourquoi suis-je ici devant vous aujourd’hui ? Je ne le sais pas, personne ne le sait. À part peut-être, l’officier de la DCRI que j’ai vu arpenter ce tribunal aujourd’hui, avec une veste de moto. »
Le forgeron a eu à cœur de pousser les traits d’ironie, malgré sa gêne à parler publiquement. Il s’est même retourné une fois vers l’assemblée pour chercher du regard un soutien. « Adressez-vous au tribunal », le reprendra la juge. Après avoir raconté sa garde à vue, Charles Torres, cultivé et aux mots littéraires, donne ses hypothèses sur les raisons de sa présence devant le tribunal, s’appuyant sur sa connaissance du droit, de l’histoire et sa culture politique. « Dans refus de se soumettre au prélèvement biologique, il y a refus de se soumettre », commence-t-il, « On incrimine ici ma volonté. »
Le forgeron de Roncherolles-sur-le-Vivier explique ensuite pourquoi il s’est refusé à ce prélèvement d’ADN : « Je m’oppose au fichage génétique. » Il rappelle l’historique du Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) initialement mis en place en 1998 pour ficher les délinquants sexuels, donc les personnes jugées coupables par la justice. Voulant prouver le ridicule de sa présence au tribunal, il se joue de l’adage « Qui vole un œuf, vole un bœuf » : « Qui vole un œuf, viole un bœuf. »
Sans désarmer, Charles Torres continue de justifier son refus de se soumettre, rappelant l’affaire Élodie Kulik, violée puis assassinée (2002). En 2011, les gendarmes parviennent à confondre l’un de ses agresseurs grâce à l’ADN de son père déjà fiché. Le forgeron s’appuiera sur ce détournement du Fnaeg : « Aujourd’hui, donner mon ADN, c’est donner celui de mon frère jumeau, mes parents et mes descendants ». Il conclut : « L’ADN est un instrument de contrôle. » Ce quart d’heure de discours est applaudi par l’assemblée.
Contre Charles Torres, le procureur a requis une peine « d’avertissement » : un mois de prison avec sursis. Ce qui ne suffit évidemment pas à Me William Bourdon et Me Marie Dosé, avocats de la défense. Ils s’appuient sur la pauvreté du dossier entre les mains du tribunal de Rouen. « Le tribunal de grande instance de Nanterre vous a confié un dossier de misère. Ce que vous savez, c’est ce que la presse vous a dit et ce nous vous disons », argumente Me Dosé.
Au dossier, quelques procès-verbaux, parfois non datés, ou des notifications de mise en garde à vue de Charles Torres. Le tribunal n’a pas accès au dossier de l’affaire Tarnac dans lequel figurent les raisons pour lesquelles le forgeron a été soumis à une garde à vue. « On vous empêche de vérifier s’il y avait des raisons plausibles pour le détenir » et donc pour lui demander son ADN.
Et Me Dosé d’avancer : « Dans la procédure Tarnac, Charles Torres n’est rien sauf les conséquences de son refus » de se soumettre au prélèvement biologique. Dans leur plaidoirie, les deux avocats du forgeron frôlent la violation de l’instruction judiciaire, sans jamais vraiment tomber dedans. « Les policiers mentent au tribunal, il n’y avait aucune raison pour le mettre en garde à vue, vous devez sanctionner cette manipulation judiciaire », reprend Me Bourdon qui considère le dossier Charles Torres comme « un vide intersidéral ».
Le tribunal rendra son délibéré le 6 mars 2013.
L’affaire du Forgeron soulève une question de constitutionnalité
Charles Torrès est jugé pour avoir refusé de donner son ADN aux policiers de l’anti-terrorisme dans le cadre de l’affaire Tarnac. Pour aller plus loin, ses avocats ont tenté de mettre en doute la constitutionnalité du prélèvement ADN à répétition et du fichage de tout un chacun. Le délibéré sera rendu le 6 mars 2013.
Le procès de Charles Torres, s’est ouvert ce mercredi 6 janvier 2013, au tribunal de grande instance de Rouen. Il est jugé pour avoir refusé de donner son ADN lors d’une garde à vue dans le cadre de l’affaire Tarnac. Ses avocats, Me William Bourdon et Me Marie Dosé, tous les deux au dossier de l’affaire Tarnac, essaieront de poser une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Entrée en vigueur en 2010, la QPC permet de mettre en doute la constitutionnalité d’une loi déjà promulguée. Elle peut être posée par n’importe quel citoyen. On la pose devant un tribunal qui décide ou non de la transmettre à la cour de cassation.
Dans l’affaire de Charles Torres, ses avocats mettent en doute la constitutionnalité de l’article 706-56 du code de procédure pénal. Cet article encadre le prélèvement de l’empreinte biologique. Pour Me Bourdon, le dossier de Charles Torres, si petit et si peu extraordinaire soit-il, permettrait « d’envoyer un message puissant aux législateurs ». L’avocat remet en question l’alinéa 4 de l’article. Cet alinéa qui permet qu’en cas de refus de prélèvement, les officiers de police judiciaire peuvent récupérer l’ADN s’il est détaché du corps. « Lorsque Charles Torres refuse de se soumettre, il ne sait pas, que dans son dos, ou plutôt dans ses cheveux, on prélèvera la particule magique », plaide Me Bourdon, « S’il avait su que les policiers de la Sdat pouvaient faire cela, il aurait pu ajuster son comportement ». Ici, l’avocat pointe du doigt la faille de la loi qui peut conduire un citoyen à s’auto-incriminer sans être en mesure de se défendre.
L’avocat parle aussi « d’un cambriolage de l’enveloppe corporelle« , qui porte atteinte au droit de chaque citoyen de disposer de son corps. Enfin, pour plaider le dépôt de cette QPC, Me Bourdon pointe le « laisser-aller, la paresse » des policiers qui ne prennent pas le temps de vérifier si la personne concernée est déjà fichée qui peuvent conduire à une succession de prélèvements ADN sur un même citoyen.
Sans compter que le tribunal de Nanterre qui s’est dessaisi en 2012 de cette affaire, a omis de prévenir le tribunal de Rouen que la justice était bien en possession de l’ADN de Charles Torres… jugé pour avoir refusé de le donner.
La procureur refuse la QPC au motif que l’article 706-56 du code de procédure pénale aura déjà été jugé constitutionnel, dans sa globalité, par la cour de cassation. Le tribunal est allé dans ce sens et a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité. Le procès de Charles Torres a donc bien eu lieu mercredi 6 février et les débats se sont donc poursuivis pour celui qui risque 15’000 euros d’amende et un an de prison ferme.
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Zoé Lauwereys, Grand-Rouen.com, 7 février 2013)
Rencontre avec le « Forgeron » de Tarnac
Charles Torres a été « enlevé » par la police début 2012 dans le cadre de l’affaire Tarnac. Il est soupçonné, à ce moment là, d’être complice du sabotage de caténaires en 2008. Aucun fait n’aura été retenu contre lui. Pourtant, il est jugé mercredi 6 février 2013 au tribunal de grande instance de Rouen pour avoir refusé son ADN au moment de la perquisition.
Nous l’avons rencontré la veille de son procès pour refus de prélèvement génétique du 6 février 2013 au tribunal d’instance de Rouen. Avec son pull marin, ses cheveux en bataille, sa moustache et sa chevalière rehaussée d’une pierre blanche, il nous rejoint à la Conjuration des Fourneaux au 149 rue Saint-Hilaire. Le restaurant soutient Charles dans ses déboires judiciaires. Il nous raconte ces trente heures de garde à vue pendant lesquelles il a refusé de parler.
Ce matin du 23 février 2012, Charles Torres dort dans sa chambre, chez ses parents, à Roncherolles-sur-le-Vivier, près de Darnétal. À 28 ans, il y revient de temps en temps pour travailler. Son père, monteur en bronze, lui a installé dans son atelier, une forge pour qu’il puisse exercer son activité d’auto-entrepreneur forgeron. Il est 8 heures du matin quand une trentaine de policier de la sous-direction de l’anti-terrorisme (Sdat) frappe à la porte. « On a eu de la chance, il n’était pas 6 heures du matin et ils n’ont pas défoncé la porte », ironise celui que la presse surnommera le Forgeron dans l’affaire dite « de Tarnac ». Ce matin-là, les policiers de l’anti-terrorisme viennent perquisitionner. Ils pensent avoir trouvé celui qui a fabriqué les crochets en fer à béton responsables du sabotage de caténaires de la SNCF en 2008.
Pour ces faits, qui deviennent très vite l’affaire de Tarnac, dix personnes ont été mises en examen, pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et « dégradations en réunion en relation avec une entreprise terroriste ». Les principaux accusés dans cette affaire sont Julien Coupat et sa compagne Yldune Lévy. Le rapport entre Tarnac et Charles Torres ? Ce dernier se l’explique facilement. « Je suis colocataire dans une maison, rue de Constantine, à Rouen, où plusieurs habitants, ont été mis en examen en 2008. Mais je n’étais même pas un des potes de Julien Coupat. Tarnac ce n’est même pas une bande de copains. Concrètement, on me soupçonnait d’avoir un comportement plus ou moins subversif d’un point de vue politique. » Charles avoue même ne pas connaître vraiment le dossier Tarnac, seulement ce que les mis en examen lui auront dit et ce qu’il aura lu dans les journaux. Il délivre son analyse : « Tarnac est devenu un groupe suite aux accusations. Il a fallu donner un cadre, d’où le nom. Ce qui fait que tu es dans le dossier ou pas, c’est ta place dans le scénario de la police. »
Quatre ans après le début de l’affaire de Tarnac, devenu au fil des années un bourbier judiciaire, la Sdat pense donc avoir trouvé un nouveau complice du sabotage. Ce 23 février 2012, « des flics de haut-vol » fouillent donc la maison des parents du forgeron après lui avoir signifié sa mise en garde à vue. Une garde à vue qui durera 35 heures. La perquisition aura fait beaucoup rire Charles qui avoue avoir eu « envie de plaisanter » mais s’être retenu par « peur qu’ils me prennent au premier degré ». « Ils ont fouillé toute la maison, ont retourné ma chambre, ont scruté mes bouquins, mon bureau, mes affaires de fac. Mais ils n’ont rien saisi dans ma chambre », se rappelle-t-il. « Pour prouver l’association de malfaiteurs et me lier aux mis en examen de Tarnac, ils ont saisi de vieux téléphones portables. » Rien non plus n’aura été saisi dans la forgerie, pourtant l’endroit le plus à même de receler des indices du sabotage. Et pourquoi pas quatre ans plus tard ? Charles se rappelle d’un détail qu’il raconte goguenard. « Dans la chambre de mon frère, ils ont trouvé deux cagoules trois trous. Elles avaient été utilisées pour l’enterrement de vie de garçon d’un copain », rit-il encore.
La perquisition terminée, les policiers le menottent et l’emmènent « à 200 kilomètres/heure » à Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine. Avant d’atteindre le siège de la Sdat, il rapporte avoir eu les yeux cachés par un masque de sommeil. « Là, j’ai senti que l’on descendait de cinq étages sous terre. Arrivés dans les locaux, on est passés de sas de sécurité en sas de sécurité »… jusqu’à la salle de garde à vue. Pendant ces 30 heures de garde à vue, Charles refusera de répondre aux questions : « J’ai décliné mon état-civil, sinon j’ai répondu des blagues ». La meilleure solution pour quelqu’un qui ne sait pas ce qu’on lui reproche, mis à part la vague « association de malfaiteurs ». « Ils n’avaient rien pour me mettre en garde-à-vue, il n’était pas question pour moi de leur donner de quoi me mettre en examen ». L’ancien étudiant en histoire se rappelle de quelques questions posées par la police. « Ils m’ont demandé ce que je pensais de la société capitaliste marchande ou quelles étaient mes opinions politiques », évoque-t-il. En lui présentant des photos des crochets utilisés pour saboter les caténaires, on lui aura même demandé s’il les avait fabriqués. Charles répondra avec l’ironie qui lui semble chère : « Vous m’amenez le modèle et je vous fais un devis ».
En fin de garde à vue, on lui demandera de donner son ADN, justifié par « des motifs graves ou concordants » dans l’affaire pour laquelle il était entendu. Chose qu’il refusera. Par conviction. « Je n’ai pas envie de faire partie d’un fichier ADN des catégories politiques », affirme-t-il. Pour lutter contre le « flicage », il refuse aussi d’avoir un téléphone ou une carte bancaire. Ce qu’il ne sait pas, à ce moment-là, c’est que la police a pris soin de nettoyer de fond en comble la salle de garde à vue, revèle Laurent Borredon, dans Le Monde du mardi 5 février 2013 : « Ce matin-là, les policiers ont nettoyé à fond les locaux de garde à vue, à l’aide d’une solution hydroalcoolique. Le bureau et le sol. Dans quelques instants, Charles Torrès va être entendu pour la quatrième fois. Les policiers souhaitent récupérer son ADN et il faut que tout soit immaculé. » Selon Le Monde qui s’est procuré le procès-verbal de la garde à vue, Charles fait bien en sorte ce jour-là de consommer « sa brique de jus d’orange sans en utiliser la paille » puis d’en « laver soigneusement l’extérieur, de sorte à n’y laisser aucune trace biologique. » Charles aura aussi mangé sans utiliser de couverts, « directement au moyen de ses doigts », pour être sûr de ne laisser aucune trace. Les policiers récupèrent tout de même quelques cheveux sur le sol du local où il était interrogé.
L’absurde du procès du mercredi 6 février 2013 ? La justice est en possession de l’ADN de Charles Torres mais on lui reproche de ne pas avoir voulu le donner. Il risque 15’000 euros d’amende et un an de prison ferme. Sur son blog, il appelle ses soutiens à « venir rire » au TGI de Rouen à 13h30, « parce qu’on ne peut que se réjouir de chaque humiliation que l’antiterrorisme s’inflige à lui-même ».
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Zoé Lauwereys, Grand-Rouen.com, 6 février 2013)
Tarnac : un homme jugé pour refus de donner son ADN, déjà prélevé à son insu
Les policiers de la sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire n’ont pas peur de la contradiction. Le 24 février 2012, à 11h15, ils ont recueilli l’ADN de Charles Torrès, 28 ans, à son insu. Puis, à 11h35, ils ont lancé une procédure contre le jeune homme gardé à vue dans le cadre de l’affaire de Tarnac pour… refus de prélèvement génétique. Charles Torrès doit être jugé, mercredi 6 février, par le tribunal correctionnel de Rouen. Il risque, au maximum, un an de prison et 15’000 euros d’amende. À la suite de sa garde à vue, il avait été relâché sans charge, mais cela n’empêche pas d’être dans l’obligation de laisser son ADN. Il suffit qu’existent des « indices graves ou concordants » contre la personne entendue, indique le code de procédure pénale.
Ce matin-là, les policiers ont nettoyé à fond les locaux de garde à vue, à l’aide d’une solution hydroalcoolique. Le bureau et le sol. Dans quelques instants, Charles Torrès va être entendu pour la quatrième fois. Les policiers souhaitent récupérer son ADN et il faut que tout soit immaculé. Les enquêteurs veulent vérifier si le jeune homme, interpellé la veille près de Rouen, n’a pas forgé les crochets qui ont servi à saboter des lignes de TGV, à l’automne 2008.
« DÉLOYAUTÉ »
Charles Torrès est aussi prudent que les policiers sont méticuleux : il a « consommé sa brique de jus d’orange sans en utiliser la paille, puis en [a] soigneusement lavé l’extérieur, de sorte à n’y laisser aucune trace biologique (…). À l’heure du déjeuner, il a été constaté qu’il mangeait sans utiliser de couverts, directement au moyen de ses doigts », note le lieutenant de la SDAT, dans son procès-verbal, que Le Monde a pu consulter.
Mais le stratagème réussit : les hommes de la police technique et scientifique parviennent à récupérer « les prélèvements de traces de contact » là où il « a apposé ses mains ». Encore mieux, « à l’aplomb du siège où [il] s’est assis, des cheveux jonchent le sol ». Précis, le policier indique « que la présence de ces cheveux au sol résulte de la propension qu’a manifestée Charles Torrès à se passer (nerveusement) les mains dans les cheveux ». Trente heures de garde à vue dans les locaux de la SDAT, c’est un peu stressant…
Comment justifier une procédure pour refus de prélèvement d’ADN quand on vient de le recueillir ? En faisant comme si de rien n’était : le procureur qui poursuit puis les magistrats qui vont juger le dossier « ADN » n’ont accès qu’aux pièces du dossier Tarnac que la SDAT veut bien leur transmettre. Le PV de recueil de traces génétiques a été opportunément exclu. Au contraire, une enquêtrice justifie la procédure en assurant que le prélèvement demandé à Charles Torrès « aurait utilement permis de déterminer le profil génétique de l’intéressé aux fins de comparaison avec les empreintes génétiques à ce jour non identifiées ».
« Il s’agit d’un symptôme de plus de la déloyauté qui contamine tout le dossier », estime Me William Bourdon, l’un des avocats de Charles Torrès. Il souhaite déposer une question prioritaire de constitutionnalité, mercredi. Pour lui, les articles de loi sur les prélèvements d’ADN sont « défaillants » face au principe de libre disposition de son corps : l’officier de police judiciaire n’a pas d’obligation d’informer qu’il peut y avoir un prélèvement clandestin, puis que ce prélèvement a eu lieu — ce qui interdit tout recours — et, enfin, il n’est pas obligé de vérifier que le gardé à vue est déjà fiché, avec le risque d’une multiplication des prélèvements.
Et la comparaison des empreintes génétiques ? Au final, elle n’a rien donné.
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Laurent Borredon, LeMonde.fr, 5-6 février 2013)
Pourquoi j’ai refusé de livrer mon ADN
Le 6 février 2013, Charles Torres comparaît au tribunal de Rouen pour avoir refusé le prélèvement de son ADN lors d’une garde à vue de 35 heures début 2012. Forgeron, on le soupçonnait de complicité dans l’affaire de Tarnac et d’avoir fabriqué les crochets qui servirent à bloquer des TGV en 2008.
Le 23 février 2012, je fis bien malgré moi une entrée fracassante dans l’affaire dite « de Tarnac ». Une escouade de policiers de la Sous-Direction antiterroriste (SDAT), avec à leur tête le médiatique juge Fragnoli, vint me sortir du lit de bon matin. Bien qu’habitant la Seine-Maritime, je devins ce jour-là « le forgeron de Tarnac ». À défaut de pouvoir établir le moindre lien entre les mis en examen et les fameux crochets, le juge voulait à toute force insinuer un lien entre eux et quelqu’un qui aurait pu les fabriquer. Je fus donc, avec mon père de 86 ans, soupçonné le temps d’une garde à vue d’avoir confectionné les crochets qui servirent à bloquer des TGV une nuit de novembre 2008.
On sait que le storytelling antiterroriste ne s’embarrasse guère de la vraisemblance, et les différents articles parus dans la presse lors de mon arrestation le reproduisirent fidèlement. Il n’y eut d’ailleurs à peu près personne pour mentionner le fait que je fus libéré au bout de 35 heures sans la moindre charge ; et ni le juge ni les policiers ne me présentèrent leurs excuses pour m’avoir ainsi kidnappé sans raison valable. Faute d’excuses, je pensais qu’ils auraient à cœur de se faire oublier pour ces 35 heures de séquestration légale. Sur ce point, c’est bien moi qui me suis trompé.
Comme je le précisais plus haut, des amis harcelés par l’antiterrorisme, j’en ai quelques-uns, à Rouen comme à Tarnac. Je lis la presse aussi. De ce fait, je sais comme tout un chacun que tout ce que l’on peut déclarer dans une garde à vue a vocation à être déformé et utilisé contre vous. Je réservais donc mes réponses aux questions des policiers sur mes idées politiques au juge en charge de l’enquête. Malheureusement, il ne crut pas bon de me recevoir. Quelques jours plus tard, je fis tout de même l’effort de lui écrire afin de ne laisser aucun doute quant à l’erreur manifeste que représentait mon arrestation. Le jour même où cette missive devait paraître, le juge, qui allait être dessaisi, la recouvrit de l’annonce de son autodessaisissement. Il fit ainsi d’une pierre deux coups, et la missive ne parut jamais.
Pas plus que je n’avais de raison d’être en garde à vue à Levallois-Perret, n’avais-je de raison de livrer mon ADN à la police, qui de toute façon alla le récupérer lamentablement sous la forme d’un cheveu laissé sur le sol d’une salle d’interrogatoire. Je refusai donc. Faut pas pousser.
Mais refuser de donner son ADN est un délit, en soi. C’est-à-dire que même lorsque l’on vous l’a pris malgré vous, qu’on l’a analysé, qu’il vous a dédouané et que vous êtes à l’évidence lavé des soupçons qui avaient justifié qu’on vous le demande, vous êtes encore et toujours coupable d’avoir refusé. C’est cela la loi sur l’ADN, et c’est pour cela que je comparaîtrai au tribunal de Rouen ce mercredi 6 février.
De prime abord, on pourrait penser que je suis, ici, victime de l’un des effets pervers d’une loi mal formulée et qu’il suffirait d’un peu de bon sens pour que tout rentre dans l’ordre. C’est tout le contraire que mon procès révèle.
On peut ainsi remettre en question l’efficacité de l’ADN, et la mystification qui consiste à corréler une trace souvent partielle avec un acte. On peut évoquer ce professeur d’EPS récemment accusé d’avoir tiré sur la police à Amiens car son ADN avait été retrouvé sur une arme : il avait eu le malheur de revendre sa voiture à quelqu’un du quartier insurgé longtemps auparavant. Coup de chance, il put prouver qu’il était en Bretagne la nuit des tirs. On peut avancer le cas de cette chimiste assermentée de Boston, Annie Dookhan, qui par zèle a bidonné, des années durant, ses « expertises », ce qui aboutit à la remise en cause de dizaines de milliers de condamnations dans le Massachusetts. On peut faire valoir que les traces génétiques que partout nous déposons se mêlent et s’entrelacent avec toutes celles de tous ceux que nous croisons, que nous aimons. Que l’existence est toujours collective et qu’aucune analyse génétique ne permettra jamais de décrypter le monde tel qu’il est vécu.
On peut tout autant s’indigner du fait que ce qui fut initialement vendu comme le « fichier des violeurs » comporte aujourd’hui plus de 2 millions d’identifications. On peut même tomber des nues en lisant dans Le Monde du 21 février 2012 que désormais la police, grâce à un « vide juridique », détourne les garde-fous du FNAEG pour retrouver des gens grâce à l’ADN de leurs parents (ce qui fait évidemment exploser le nombre de personnes effectivement fichées à des dizaines de millions).
On peut arguer de tout cela, et certainement faut-il le faire. Mais c’est manquer l’élément essentiel. Ce qui nous pose problème avec le fichage ADN, ce n’est pas qu’il soit faillible. Ce qu’il y a d’effroyable dans le fichage génétique, c’est précisément son efficacité, son efficacité policière. Couplée à l’antiterrorisme dont on a vu qu’il permet d’arrêter à peu près n’importe qui pour à peu près n’importe quoi, la loi sur l’ADN ne fait qu’affranchir la police de toute contrainte légale pour assurer le maintien de l’ordre par tous les moyens nécessaires. C’est pourquoi elle sanctionne ceux qui, pour le vol d’un camembert, refusent de s’y soumettre. Dans l’époque mouvementée qui s’annonce, où l’ordre existant ne tient plus qu’à un fil, l’ADN est pragmatiquement un outil sans pareil.
C’est tout aussi pragmatiquement qu’il nous faut nous opposer à ce que la police détienne nos codes génétiques pour 20 ans. Parce qu’il n’est pas question de leur laisser un tel chèque en blanc. Parce que l’exiger au prétexte que quelqu’un serait anarchiste ou communiste voire syndicaliste, la police le fait déjà.
Ce n’est pas une question de loi, ni même de raison ou d’arguments, c’est la confrontation de deux pragmatismes : celui du contrôle des populations contre celui de l’insoumission du vivant. Cela relève du politique. C’est pourquoi il nous faut massivement et systématiquement nous soustraire aux relevés d’empreintes génétiques. Parce que l’arsenal sécuritaire derrière lequel cette société se retranche dit assez combien elle sait que ses jours sont comptés.
Les invités de Mediapart, 5 février 2013