[Azawad / Vive la belle !] Témoignage d’un évadé de la prison du Mujao à Gao : « Ils ne sont pas partis de leur pays pour venir travailler gratuitement au Mali »

http://juralib.noblogs.org/files/2012/11/0210.jpgUn camerounais évadé de la prison du Mujao raconte son calvaire : –  « Ceux qui me gardaient  étaient des Burkinabés et Nigérians non croyants » –  « Je prie toutes les âmes de bonne volonté de m’aider à retourner chez moi  »

Ekobo Samba Albert Édouard est un jeune Camerounais, résidant à Alger où il travaille. Il est né le 29 Août 1988 à Metet (Cameroun).  Pour des soins de santé,  il s’est rendu à Bamako par route le 5 Octobre 2012. C’est à son retour à Alger, le 11 Octobre 2012, qu’il a été arrêté, par le Mujao à Gao pour avoir écouté de la musique. Après avoir reçu 40 coups de fouet, il a été par la suite mis en prison, car ils le soupçonnaient d’être un militaire mercenaire de la Cedeao. Nous l’avons rencontré et il a accepté de se confier à nous dans un entretien dans lequel, il nous raconte les circonstances de son arrestation, la torture qu’il a subie, comment il a pu s’évader… Il pense que cette crise est loin d’être malienne, car ce sont les Burkinabés, les Nigérians etc, non pratiquants et non croyants qui sont membres du Mujao et que les raisons de l’application de la Charia qu’ils brandissent sans cesse ne sont que du blasphème.

L’Indépendant weekend : Vous viviez  en Algérie avant votre arrestation. Depuis combien de temps êtes vous parti du Cameroun et que faisiez-vous là bas ?

Je suis chaudronnier tuilier de formation. Je suis parti du Cameroun il y a de cela neuf mois. J’ai eu un contrat de travail de trois mois avec une société de construction au Maroc, à Casablanca. A la fin de ce projet, une autre société en bâtiment m’a contacté à Alger pour un contrat de travail de trois ans. Et c’est dans cette société que je travaillais depuis près de cinq mois, et j’étais logé, nourri, mon assurance était à jour, ainsi que tous mes papiers.

Comment  êtes vous arrivé à Gao ?

J’ai eu de sérieux problèmes de santé et c’est un collègue malien qui m’a conseillé d’aller voir un naturopathe malien résidant à Bamako. J’ai donc expliqué les problèmes à mon patron qui m’a donné une avance sur mon salaire, puis un mois de congé. N’ayant pas suffisamment de moyen pour prendre le billet d’avion, j’ai du prendre la route passant par Gao.

Votre collègue ne vous avait pas dit qu’il y avait les islamistes à Gao et qu’il fallait bien se tenir ?

Si, mais il m’a dit que les rebelles ne dérangeaient pas les passants. Et je n’avais pas de problème d’autant plus que mes papiers étaient à jour.

Donc vous n’êtes plus finalement arrivé à Bamako ?

Si, j’ai effectué le voyage aller sans problème. J’ai rencontré le naturopathe qui m’a fait un traitement de deux semaines et demi et c’est à mon retour que j’ai été arrêté.

Racontez-nous les circonstances de votre arrestation.

À mon retour, j’ai pris mon ticket de voyage pour Gao dans une agence de voyage à Bamako. Cette agence a égaré ma valise où se trouvait mon passeport. Je ne me suis retrouvé qu’avec les photocopies. Ça c’était la première poisse. Arrivé à Sévaré où il fallait m’enregistrer, les premiers problèmes ont commencé. Mais je suis tombé sur un commandant très compréhensif, qui m’a dit que je risquais d’avoir des problèmes à Gao. Mais j’avais l’assurance du chauffeur du bus que ma valise allait venir avec le prochain bus, afin que je puisse entrer en possession de mes pièces. Donc je suis arrivé à Gao sans problème. Au moment de me rendre chez un particulier qui fait voyager les gens pour Alger, j’avais les écouteurs à l’oreille et les gens du Mujao passaient dans leur bus. Ils se sont arrêtés et l’un d’eux m’a interpellé, il m’a salué, Assalamoualekoum, j’ai répondu wallekoumssalam. Il m’a demandé où je partais. Je lui ai dit que je venais rendre visite à un ami. Il a demandé ma nationalité puis ce que j’écoutais à l’oreille, où bien si j’étais en train de filmer. Pris par la peur, je lui ai dit que je voulais passer un coup de fil. Il a alors récupéré mon téléphone et c’est là qu’il s’est rendu compte que j’écoutais de la musique.

Qu’est ce qu’il a fait ?

Il m’a demandé si je ne savais pas que la charia interdisait cela. Puis, il m’a conduit au commissariat. Une fois arrivé au commissariat, il m’a amené chez leur chef, qui a lu les versets coraniques qui interdisent d’écouter de la musique et il m’a dit que j’allais être puni selon la loi de Dieu. Et pour cela je devrais recevoir 40 coups de fouet.

Qu’avez-vous fait ?

Je lui ai dit que si c’était leur décision, il n’y avait pas de problème et qu’ils sachent que je ne suis pas musulman, je suis chrétien et que ma religion ne m’interdisait pas cela. Il m’a dit qu’ils ne connaissent qu’un seul Dieu, et une seule religion.

Et ils ont appliqué la charia sur toi en public ?

Non, dans un bureau. Mais je n’étais pas le seul, ils ont frappé plusieurs personnes ce jour là. Le chef après la lecture du coran a demandé qu’on me mette en prison en attendant le jour de l’application de la charia. Alors le lendemain il m’a fait sortir de la prison et il a encore lu les versets coraniques et il m’a appliqué 20 coups de fouet aux fesses et  20 aux pieds.

Et il t’a relâché après ?

Après m’avoir frappé, il m’a dit que les Camerounais ne viennent pas à Gao et que je dois dire la vérité, si je suis un militaire mercenaire de la Cedeao. Je lui ai dit que je travaillais à Alger et que j’étais à Bamako pour des raisons de santé et après mon traitement je retournais pour reprendre mon boulot. Il a dit que je mentais car ce n’est pas ce que j’ai dit dès le départ. Il m’a remis en prison et il a dit qu’il allait m’inciter à parler. Le troisième jour quand il est revenu, il m’a mis sous une table et il a cassé ma dent où il a placé quelque chose comme de l’aimant. Il m’a fait subir toutes sortes de tortures. Je lui ai dit que je vivais à Alger et qu’il pouvait appeler mon patron. Je lui ai remis son numéro et c’est quand il a appelé que mon patron lui a confirmé que je travaillais chez lui et que j’étais au Mali pour des raisons de santé.

Qu’est ce qu’il a fait après avoir eu cette confirmation ?

Il m’a présenté ses excuses, puis il a convoqué les notables de Gao pour leur soumettre mon cas. Ils m’ont demandé ce que je voulais, je leur ai dit que je voulais juste retourner à Alger pour reprendre mon service car je vivais de cela. Le chef du Mujao a donc dit que les frontières de l’Algérie avec le Mali étaient fermées et qu’il était impossible pour moi de retourner en Algérie. Ils m’ont proposé de retourner à Bamako. J’ai refusé, d’autant plus que je ne vis pas à Bamako et je leur ai dit que je préférais retourner au Cameroun. Le chef du Mujao m’a alors amené à la gare, payé mon billet de transport pour Niamey.

Mais vous ne pouvez pas entrer à Niamey sans le visa. Pourquoi avez-vous accepté cela ?

Je n’avais pas le choix mon problème était de partir, car du jour au lendemain ce que je voyais dans ce commissariat était inexplicable.

Qu’est ce que vous voyiez ?

Des viols de tout genre, des tortures, des sacrifices humains tout ce qui est lié aux diableries, des pratiques de tout genre se font là bas.

Avez-vous pu entrer au Niger ?

Non, j’ai été refoulé au niveau de la frontière, d’où je suis retourné encore à Gao. Et comme je n’avais plus rien comme argent sur moi, je suis retourné voir le particulier qui nous fait voyager, je lui ai expliqué ce qui m’était arrivé, et je lui ai dit que je préférais retourner à Bamako afin de chercher ma communauté. C’est ce dernier qui m’a donné une somme de 15’000 Fcfa. J’ai alors pris mon ticket pour retourner à Bamako. Arrivé à Douentza, au niveau du poste de payage,  il y avait un contrôle et c’est là que l’un de leur chef, le nommé Oumar m’a reconnu.

Qu’est ce qu’il a fait ?

Oumar m’a dit toi le Camerounais ! Comment as-tu fait pour te retrouver encore à Gao, on t’a demandé de dégager le territoire donc quand nous t’avons mis dans le car pour Niamey tu es redescendu, justement parce que tu es un mercenaire de la Cedeao. Alors tu dois nous dire la vérité. C’est là alors qu’il m’a récupéré. Une nouvelle phase de torture a commencé. Il a placé un casque sur ma tête qui a perturbé toute ma mémoire. Le matin il a enlevé le casque et il m’a reposé la même question.

Laquelle ?

Si j’étais un militaire mercenaire de la Cedeao. Je lui ai dit non. Il a mis une pince dans ma bouche, arraché la peau de l’intérieur et placé un bout de fer. Mon Dieu ! C’est en ce moment que j’ai vu la mort et tout ce que je lui disais c’est que je ne suis pas mercenaire. Il m’a frappé et cassé ma côte gauche. Le deuxième jour, il m’a mis en prison.

Est-ce une vraie prison, et vous étiez au nombre de combien à l’intérieur ?

C’est une vieille maison dans laquelle certains membres du Mujao habitent. Ça n’a rien d’une prison ? À l’intérieur j’ai retrouvé une fille qui était presque morte.

On parle de la Charia et on vous met dans la même prison que les filles ?

Le mot Charia qu’ils prononcent n’est que du blasphème. C’est une façon de mieux gérer leur rébellion si je peux dire ainsi. Sinon les pratiques qu’ils font là bas n’ont rien à voir avec le Coran.

As-tu pu échanger avec la fille prisonnière ?

Oui je lui ai demandé pourquoi elle était là, elle m’a dit qu’elle voulait filmer certaines choses et on l’a attrapée. Et que son histoire était très compliquée pour moi. Vu ma situation, je me suis tu.

Comment avez-vous fait pour vous évader de la prison ?

Au quatrième jour d’incarcération, les militaires du Mujao qui nous gardaient étaient en train de discuter entre eux.

Qu’est ce qu’ils disaient ?

Ils disaient que ça fait déjà deux mois qu’ils sont là sans salaire, et qu’ils ne sont pas partis de leur pays pour venir travailler gratuitement au Mali. Qu’ils étaient prêts à déposer les armes et à retourner.

Alors, tu as profité de cette discussion pour t’échapper ?

Non, quelques heures après la discussion, l’un de leur chef est venu avec leur salaire. Il leur a dit que le président avait envoyé 30 millions de Fcfa et qu’il ne pouvait que payer un mois d’arriéré en attendant la fin de la semaine pour tout régulariser. Alors il les a payés et comme ils étaient contents ils ont commencé à fêter et c’est en ce moment que j’ai profité pour fuir.

As-tu une idée sur le montant qu’on leur a donné ?

Ils ont tous perçu la somme de 180’000 Fcfa.

Donc si je comprends bien le Mujao a recruté les étrangers ?

En tout cas ceux qui me gardaient étaient Burkinabés et Nigérians d’autant plus qu’ils s’exprimaient même en anglais et à entendre leur conversation, ils sont là pour une mission. Vrai ou faux, je ne sais pas, mais c’est ce que j’ai écouté lors de leur conversation.

Tout en sachant que tu étais là, s’ils avaient des choses de ce genre à se dire, je ne pense pas qu’ils le feraient en ta présence. Ou bien ils avaient oublié que tu étais en prison ?

Non, mais pourquoi est ce qu’ils devaient se méfier de moi ? Je n’étais plus qu’un cadavre. Ils n’attendaient que le feu vert du chef pour m’exécuter ! Donc pour eux je n’allais pas sortir de là vivant.

Comment as-tu alors procédé pour fuir ?

Il y avait une petite fenêtre derrière la prison et c’est par là que j’ai sauté. En fuyant, il y a un vieux qui passait avec son vélo. C’est ce dernier qui m’a aidé. Il m’a tiré dans la forêt à plus de 8 km d’autant plus que je ne marchais pas. Il a du abandonner son vélo quelque part afin de me venir en aide. Vers 19h, il a fait appel aux notables de Douentza. Qui sont venus me chercher. Le chef des notables m’a donné à manger et m’a fait des médicaments traditionnels, puisque j’étais sérieusement malade. Il m’a gardé pendant quatre jours, j’ai même du passer la fête de Tabaski avec lui. Le quatrième jour, il a appelé le commandant de brigade de Sévaré pour lui expliquer mon problème et il a demandé de m’amener. Donc vers 3 heures du matin, nous sommes sortis, nous avons contourné toute la forêt, près de 30 km à pied, avant de trouver une voiture qui m’a conduit jusqu’à Sévaré.  On m’a amené à la Brigade. Et c’est le commandant de brigade de Sévaré qui m’a conduit chez le Colonel. C’est ce dernier qui a appelé la croix rouge à Bamako pour lui soumettre mon problème. La croix rouge a demandé qu’on m’envoie et il m’a mis dans un bus en compagnie de deux militaires qui m’ont escorté jusqu’à Bamako. Le chef de mission de la croix rouge est venu me chercher à la gare. Il a cherché en vain l’Ambassade ou le consulat du Cameroun au Mali. C’est alors qu’on lui a dit que c’était à Dakar. Il a appelé et l’Ambassadeur lui a donné le numéro du président de l’Union des Camerounais au Mali (Ucama), M. Penda Mounoungui. Ce dernier est venu me chercher et je suis pour le moment chez lui.

(…)

Presse mercenaire (L’Indépendant, 9 novembre 2012)

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