Deux mois après le gabonais Ali Bongo et alors que l’on annonce la visite prochaine à Paris du tyran tchadien Idriss Déby, le président burkinabè Blaise Compaoré est à son tour reçu par François Hollande ce mardi 18 septembre. Un criminel de plus à l’Élysée, une promesse de moins de tenue : celle d’en finir avec la Françafrique.
Après la réception du dictateur Ali Bongo début juillet, qui a permis aux autocrates gabonais de se revendiquer du soutien du Parti socialiste [Voir le communiqué de Survie du 28 août 2012, « Régime gabonais : le Parti socialiste et le gouvernement doivent se positionner fermement »], c’est au tour du criminel Blaise Compaoré d’être reçu par François Hollande. En prétendant coordonner ou « faciliter » l’émergence d’une solution à la crise malienne, les autorités françaises cherchent une fois de plus à faire passer des vessies pour des lanternes et des dictateurs pour des hommes de paix. Salué pour sa « gouvernance » et ses « médiations », Blaise Compaoré cumule l’absence complète de légitimité démocratique et une implication dans les pires conflits et crises d’Afrique de l’Ouest, mais il est le meilleur défenseur des intérêts françafricains dans la sous-région.
Arrivé au pouvoir la même année que le tunisien Ben Ali, que le Parti socialiste a trop tardivement rangé au rang de tyran, Blaise Compaoré se maintient depuis 25 ans à la tête du Burkina Faso. D’abord par la terreur et les assassinats impunis, dont ceux de son prédécesseur Thomas Sankara en 1987 [Thomas Sankara, qui dérangeait beaucoup d’intérêts dont ceux de la Françafrique, a été assassiné le 15 octobre 1987. Une pétition déjà signée par plus de 10’000 personnes demande que les autorités françaises fassent toute la lumière, 25 ans après, sur l’implication des services secrets français dans cet assassinat. Lire à ce sujet la Lettre de Mariam Sankara à François Hollande après l’annonce de la réception de Blaise Compaoré à l’Élysée prévue le 18 septembre 2012.] et du journaliste Norbert Zongo en 1998 [En décembre 1998, ce journaliste et ses compagnons furent mitraillés dans leur véhicule, ensuite incendié. Les émeutes qui ébranlèrent le pays obligèrent le pouvoir à admettre qu’il s’agissait d’un assassinat, pour lequel les burkinabè attendent toujours justice : symbole de l’impunité générale, le dernier procès des inculpés, membres de la sécurité présidentielle, s’est traduit par un non lieu.], puis par un tripatouillage constitutionnel et des élections truquées à répétition : le scrutin de novembre 2010, qui l’a prétendument reconduit dans ses fonctions avec 80% des suffrages, en est la dernière caricature [Voir le communiqué de Survie du 26 novembre 2010, « Burkina Faso : des imposteurs valident la nouvelle imposture électorale de Blaise Compaoré »]. Après avoir fait voter une loi d’amnistie pour se protéger, il semble pousser son frère François Compaoré au rang de successeur potentiel, craignant sans doute d’autres réactions populaires s’il modifiait à nouveau la constitution pour rester au pouvoir. Quelques semaines après sa prétendue réélection triomphale, une explosion de colère avait en effet traversé toutes les principales villes du pays pendant plusieurs mois. Protestant contre la mort de plusieurs collégiens dans des violences policières, la jeunesse envahissait régulièrement les rues, brûlant au passage tous les symboles du pouvoir : villas des dignitaires du régime, bâtiments administratifs, locaux de la police, etc. Mais le plus désastreux pour ce pouvoir s’appuyant sur une grande partie de l’armée, est que de nombreux militaires en sont également venus à se mutiner, se livrant à des viols, des pillages et des tirs à armes lourdes, montrant toute l’étendue de la décomposition de l’État Compaoré.
Corruption, appropriation d’une bonne partie de l’économie par le clan Compaoré, spoliation de terres au profit des dignitaires pour l’agro-industrie, paupérisation de la population, telle est la sombre réalité d’un régime honni par son peuple pour qui sait regarder au-delà des apparences.
Mais Blaise Compaoré, cité par Robert Bourgi en septembre 2011 comme un des fournisseurs de valises de billets à destination des politiques français, est aussi sans conteste le pilier de la Françafrique dans la sous-région, qu’il a souvent contribué à déstabiliser. Son ami Charles Taylor vient d’être condamné à 50 ans de prison par le tribunal spécial pour la Sierra Leone, à l’issue d’un procès fleuve où Blaise Compaoré a été maintes fois cité, au côté de Kadhafi, pour leur implication dans ce conflit et celui du Liberia. Ces guerres civiles se sont traduites par « le meurtre, le viol et la mutilation de 500’000 personnes en Sierra Leone et de près de 600’000 au Liberia » [Bilan annoncé par M. Crane, ancien procureur du Tribunal spécial des Nations unies pour la Sierra Leone (TSSL)]. Le reste du bilan international de cet « ami de la France » est tout aussi terrifiant : trafic de diamants au profit de l’UNITA [Mouvement rebelle dirigé par Jonas Savimbi, impliqué dans la guerre civile qui a dévasté l’Angola jusqu’en 2002] dans les années 90, soutien aux rebelles qui ont embrasé la Côte d’Ivoire depuis 10 ans, et plus récemment exfiltration du chef du MNLA [Mouvement National de Libération de l’Azawad, qualifié abusivement de « mouvement touareg » impliqué dans les conflits au Nord Mali et qui revendique la sécession et la création d’un État laïc, qui a subi d’importants revers militaires face aux mouvements se revendiquant du Djihad. L’information sur l’exfiltration du chef du MNLA avec l’aide des autorités burkinabè a été largement reprise dans la presse africaine.] qui vient de tenir son congrès à Ouagadougou, alors que le journal Jeune Afrique, citant des sources françaises, évoque la livraison d’armes au MUJAO dans le nord du Mali via le Burkina [Une information démentie depuis par les autorités burkinabè]. Pourtant, Blaise Compaoré est régulièrement propulsé comme médiateur des conflits de la région, au point d’être invité à expliquer son expérience en la matière devant la cour pénale internationale, devant laquelle il devrait plutôt comparaître.
Il ne doit cette bienveillance internationale qu’à son allégeance aux puissances occidentales. Longtemps décrié par les États-Unis, Blaise Compaoré a su gagner leur soutien grâce à leur obsession de la lutte contre le terrorisme, en les laissant installer des bases d’où partent les drones américains pour surveiller la région. Les Français ne sont pas en reste : soucieux de maintenir leur présence au Sahel et leur exploitation de ses richesses, dont les mines d’uranium du proche Niger, ils disposent également d’une base au Burkina Faso où sont cantonnées les troupes d’élite françaisesdu COS [Commandement des Opérations Spéciales].
C’est cet hôte criminel que François Hollande s’apprête à recevoir, pour discuter ensemble d’une « sortie de crise » au Nord Mali. Il est également de plus en plus question que l’Élysée reçoive le dictateur tchadien le mois prochain, au même prétexte. La France, le Tchad d’Idriss Déby et le Burkina Faso de Blaise Compaoré au chevet du Nord Mali : c’est l’armée des pompiers pyromanes qu’on envoie éteindre l’incendie sahélien.
L’association Survie exige à nouveau que le président et le gouvernement français mettent fin à toute compromission diplomatique et à toute coopération militaire et policière avec ces régimes.
Survie, 17 septembre 2012