[Vive la belle] Évasion, mode d’emploi

Quintuple évasion
Les gardiens de prison avaient éteint le système de détection à cause des vaches

Une nouvelle affaire éclate au sein du Service pénitentiaire. Des fautes incroyables ont été commises à la prison de la Croisée, à Orbe.

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Le « chemin de fuite » des cinq détenus, du pénitencier à la déchetterie.

Pour le Service pénitentiaire vaudois, l’été a commencé par un drame, avec l’immolation d’un ancien détenu devant le siège de son état-major, le 18 juin à Penthalaz. Il finit avec un scandale, provoqué par des révélations abasourdissantes sur la quintuple évasion qui s’est produite au matin du 30 juillet à la Croisée, un des établissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe.

À l’occasion de la première séance du Conseil d’État après les vacances, la semaine dernière, la Verte Béatrice Métraux, cheffe du Département de l’intérieur, a raconté l’affaire à ses collègues. Elle leur a expliqué comment les cinq détenus d’une même cellule ont pu s’échapper d’une prison entourée d’une enceinte réputée infranchissable, tout cela sans éveiller l’attention de leurs gardiens.

Enquête administrative

D’incroyables défaillances humaines et techniques du système de surveillance ont d’ores et déjà été constatées. L’une n’a pas fini de faire rire jaune : cette nuit-là, le système infrarouge de détection des mouvements PIR (pour Passive infrared sensor) avait été désactivé dans un secteur pour éviter les alarmes que provoquaient régulièrement les vaches paissant dans un pré qui borde le grillage extérieur de la prison.

À 24 heures qui a eu vent de ces informations, la conseillère d’État a répondu hier que les conclusions des investigations menées à l’interne lui seront remises au milieu de la semaine prochaine. Dans la foulée, annonce déjà Béatrice Métraux, un mandat sera confié à une personnalité extérieure dans le cadre d’une enquête administrative. La ministre de l’Intérieur n’exclut pas des sanctions.

Défaillances en chaîne

Pour le moment, les responsabilités personnelles, directes ou indirectes, ne sont pas établies. Les vacances des agents de la Croisée et des cadres des Etablissements de la plaine de l’Orbe ont retardé l’enquête menée sous l’autorité de Sylvie Bula, cheffe du Service pénitentiaire (SPEN) depuis décembre dernier.

Les cinq évadés – qui n’ont pas été repris – ont trouvé un « chemin de fuite » grâce à un enchaînement de failles du système de sécurité. Ils étaient logés au dernier étage d’un des bâtiments pénitentiaires qui date de 1930. Le plafond de leur cellule étant fait d’un matériau friable, ils ont creusé un orifice avec les couteaux de leurs repas. Ils ont accédé ainsi aux combles, dans lesquelles aucun système de détection n’était installé. Après avoir enlevé des tuiles, ils sont montés sur le toit. De celui-ci, ils sont passés très facilement sur ceux d’édifices plus bas, qui sont accolés à leur prison.

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Depuis le bâtiment pénitentiaire (au fond), les cinq fugitifs sont passés de toit en toit pour contourner l’enceinte de sécurité et le dispositif de surveillance.

Ces bâtiments ont été construits en 2004 pour loger l’administration et installer des « unités de vie » pour des détenus bénéficiant de régimes de surveillance allégés. En sautant de toits en toits, les fuyards ont contourné le mur « infranchissable » de 6 mètres. Ils ont rencontré sur ces hauteurs quelques barbelés en rouleau qu’ils n’ont pas eu de peine à écarter. Cela les a menés jusqu’au parking du personnel, qui est séparé des champs par un grillage banal malgré son maillage serré. Il est facilement franchissable car la déchetterie de la prison et ses containers y sont adossés.

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Les fugitifs n’ont eu aucun mal à écarter les barbelés placés sur les toits. Ceux-ci n’étaient pas dans le champ des détecteurs infrarouges et des caméras.

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Les détenus ont utilisé deux draps pour descendre du toit du bâtiment administratif. La déchetterie les a aidés à franchir le grillage du parking.

Normalement, les mouvements des cinq prisonniers auraient dû être détectés par le système infrarouge. Cela aurait eu pour effet d’orienter les caméras. Leur zoom aurait alerté l’agent de service devant la vingtaine d’écrans de la centrale de surveillance. Mais le système de détection avait été déconnecté pour éviter qu’il ne soit trop souvent activé par le bétail de la colonie agricole du pénitencier placé pour la nuit dans le champ voisin du parking. Béatrice Métraux ne peut retenir un soupir : « De toute façon, les évadés auraient pu passer inaperçus même si le système PIR avait été branché car il souffre d’un angle mort dans cette partie du secteur… »

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Au bout du pré, où broutaient les vaches : à gauche, la déchetterie de la prison et le parking du personnel ; au centre, l’entrée ; à droite, le mur « infranchissable ».

La série noire d’un été

Des mesures d’urgence ont été prises pour réduire les failles dont a souffert la sécurité de la Croisée, assure la conseillère d’État Béatrice Métraux. Ainsi, des appareils de détection infrarouge seront installés lundi dans les combles du bâtiment pénitentiaire. « Le problème, ajoute toutefois la ministre de l’Intérieur, c’est qu’une bonne partie du matériel de sécurité est désuète. » Une étude va donc être conduite pour son renouvellement. Quant aux vaches, elles paissent désormais dans d’autres prés…

En charge du système carcéral vaudois depuis le début de l’année, Béatrice Métraux n’a pas été épargnée ces dernières semaines. Encore traumatisé par le décès de Skander Vogt dans sa cellule enfumée du pénitencier de Bochuz, le SPEN a été frappé par deux nouveaux drames. L’un et l’autre ramènent à la problématique des détenus souffrant de troubles psychiatriques. Celui qui s’est immolé le 18 juin était l’objet d’une mesure de traitement institutionnel dont l’échéance n’était pas fixée, alors que sa peine devait en principe se terminer le 21 juillet. Une même mesure frappait le détenu qui s’est suicidé dans la nuit du 23 au 24 juillet dans sa cellule de la division psychiatrique de la prison de la Tuilière, à Lonay.

Presse carcérale (Daniel Audétat, 24Heures.ch, 25 août 2012)

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