[Stop THT] Lettre pour des copains en Normandie

M, j’ai bien reçu le texte diffusé par le Cran pour le « week-end de résistance », « THT et retour d’expérience », et j’en profite pour écrire quelques lignes additionnelles sur ce que je pense dudit week-end, à travers les lectures et les rencontres avec des connaissances qui y sont allées. Bien entendu, je n’ai pas l’intention de donner des leçons stratégiques et tactiques à quiconque à propos de la situation locale, d’autant que, depuis plusieurs mois, je ne suis pas retourné en Normandie et que j’ai suivi d’assez loin le fil des événements. J’étais suffisamment occupé par d’autres choses, en France et ailleurs. Nous aurons l’occasion d’en reparler de vive voix.

Donc, le texte sorti par le Cran est intéressant, il soulève des lièvres. Malgré tout, il me semble encore insuffisant au niveau de la critique. Pour faire bref, je pense qu’il est impossible d’occulter le fait suivant : bien que l’arrivée de la gauche au pouvoir ait ravivé des illusions sur la possibilité de moratoire, etc., il n’en reste pas moins vrai que le choix de planter des tipis au Chefresne, d’utiliser le château d’eau prêté par la mairie du village comme prétendue base arrière, de constituer l’assemblée du même nom à partir de bases minimalistes et pétris de bonnes intentions citoyennes, etc. reposait aussi sur la grande illusion de pouvoir utiliser les contradictions entre des pouvoir locaux et le pouvoir central. Ce qui revenait à manifester les plus grandes illusions envers l’État lui-même, lequel, moins que jamais, n’est réductible de l’appareil central du même nom. La grande question n’est donc pas qu’il y ait des résistances locales « impures » à mépriser au nom de je ne sais pas trop quelle « pureté » révolutionnaire, mais de savoir si les plus radicaux sont capables, oui ou non, d’assurer la critique, en théorie et en pratique, de ce qui constitue, dès l’origine, des entraves à l’essor d’activités en rupture avec le monde du capital et de l’État.

Bien entendu, à l’impossible, nul n’est tenu et la réalisation effective de telles activités ne dépend pas que de poignées de révolutionnaires. Et elle ne peut pas être résumée à la recherche de formes sans se préoccuper des contenus. Bref, pour répondre à la remarque que tu m’as faite dans l’une de tes lettres précédentes, je n’oppose pas telle ou telle formes de lutte, en l’occurrence la constitution de camps pour freiner des implantations industrielles en zone rurale, à d’autres, prétendument plus révolutionnaires en elles-mêmes. Des camps, en France et ailleurs, j’y ai déjà participé lorsque cela avait du sens. Par contre, il était possible, dès la constitution de l’assemblée du Chefresne, de comprendre qu’accepter d’utiliser le château d’eau, dans les conditions précitées, c’était accepter en réalité de refouler des antagonismes qui ne manqueraient pas d’exploser au grand jour et de paralyser, en totalité ou en partie, des initiatives dignes de ce nom. C’était accepter d’être dépendant, y compris au niveau des idées, de toute la merde écologiste même lorsqu’elle semble en opposition partielle avec le parti écologiste officiel. Dépendant en faisant silence au nom de l’unité présumée de la résistance commune. Je ne sais si le problème a été soulevé en Normandie, par contre je peux t’assurer qu’il a été parfois abordé ailleurs, en France et à l’étranger, y compris par des individus qui avaient déjà participé à des camps, sous forme d’occupation sauvages de terrains, en particulier en Grande-Bretagne. Je parle ici de rencontres que j’ai faites récemment hors de l’Hexagone.

Concernant le « week-end de résistance », j’étais déjà de retour en France et c’est donc après mûre réflexion que j’ai décidé de ne pas y aller. D’abord, pour quiconque n’a pas rien appris ou tout oublié, ce qui, vu mon expérience, serait impardonnable, il est clair que l’appel de l’assemblée du Chefresne était du pur recyclage de celui de l’assemblée de Morestel qui prépara la déconfiture de Malville. À Morestel, même des écologistes en cours d’institutionnalisation reconnaissaient la possibilité de sabotages, à condition de ne pas toucher à l’intégrité des personnes qui protégeaient le site du surgénérateur en construction, y compris les syndicalistes CGT qui avaient promis de casser la gueule des « provocateurs ».  Il est vrai qu’à Morestel, il y avait des syndicalistes d’opposition CFDT qui ne voulaient pas dépasser des limites qui briseraient leurs jeux d’alliance avec la CGT. Au Chefresne, pour ne pas froisser les susceptibilités syndicalistes et citoyennistes régionales sans doute, y compris au sein d’EDF, considérées comme des alliés possibles, les résolutions sont de la même veine : « L’assemblée assumera toutes les formes d’actions, sans distinction de leur “violence”, tant qu’elles n’atteignent pas l’intégrité physique des personnes travaillant à la construction ou à la protection des lignes. » En d’autres termes, l’assemblée exclut d’avance les formes d’opposition à l’avancée des travaux dans la mesure où elles conduisent à s’opposer aux travailleurs eux-mêmes, bref à leur travail. Les syndicalistes, y compris ceux de Sud, qui encadrent lesdits travailleurs, à EDF et ailleurs, n’en demandent pas plus. Vive la « liberté du travail ». Les ruraux qui, en Mayenne, il y a quelques années, menaçaient de chasser par la violence si nécessaire les employés de REDF venus faire des relevés sur le tracé de la THT avaient donc tort !

Pour moi, il n’était donc pas question de participer, même pour quelques minutes, à des discussions au sein de telles assemblées qui, loin de ne pas être homogènes, comme l’affirme le texte du Cran, ne le sont au contraire que trop sur des questions essentielles et annoncent d’avance les limites qu’elles n’ont pas l’intention de dépasser. Il n’y a là aucune possibilité d’ouverture mais, au contraire, du verrouillage en bonne et due forme, garanti par les néo-appellistes du crû, dans la pure tradition de l’appel de Valognes, rédigé par leur soin. Oui, aucune possibilité d’ouverture, à moins de croire au baratin sur le refus de l’assemblée de « toutes formes de récupération politique » et à l’appel selon lequel « toutes les initiatives ne devront, en conséquence, afficher aucune appartenance politique ou syndicale ». Feuille de vigne, depuis belle lurette, de toutes les manipulations bureaucratiques dans les coulisses. La dernière en date étant la tentative d’écologistes locaux « sans étiquette » apparente, planqués dans l’assemblée du Chefresne, de spéculer sur l’appareil central de leur propre parti pour faire pression dans le sens du renouvellement du moratoire sur les THT, le même moratoire qui a conduit à liquider les résistances locales au fil du temps dans l’immense majorité des communes locales concernées par le tracé de la THT.

Pour le reste, « le week-end de résistance » préconisé par l’assemblée du Chefresne a été conforme à ce qui précède, à l’esprit citoyenniste qui, à la fois, affirme que le nucléaire est du domaine de la raison d’État et qui n’arrive pas à anticiper que ledit État est capable de traiter l’opposition au nucléaire avec la dernière des rigueurs si nécessaire. Au Chefresne, l’État avait décidé de donner le coup de grâce, de mettre au pied du mur les oppositions locales, et ce n’est pas les rodomontades du noyau néo-appelliste qui y changent quelque chose. Il est toujours possible de se consoler en disant que la coercition aurait pu être pire et que, malgré tout, des rencontres ont été possibles au camp. Beau « week-end de résistance », en vérité, encerclé par l’armée et où, pour l’essentiel, les gardes mobiles ont cartonné sans sommation jusqu’aux écologistes locaux les plus débonnaires. Mais, je n’épiloguerais pas. Depuis Malville, les bilans de tels « week-end » ne manquent pas, y compris sur l’attitude des « radicaux ». Ceux et celles qui ne veulent pas jouer les autruches peuvent toujours les consulter. L’expérience historique ne règle pas tout, mais elle permet souvent d’éviter des ornières prévisibles.

André – Infos Anti-autoritaires en Cévennes à l’Assaut des Montagnes !, 11 juillet 2012

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Une réponse à [Stop THT] Lettre pour des copains en Normandie

  1. Monsieur bonjour,

    Je me permets de vous contacter sur ce média n’ayant aucun autre moyen de vous joindre. Nous suivons régulièrement vos travaux, et avons pu remarquer vos talents d’écrire, votre verve, votre sens pointu de l’analyse politique, votre connaissance historique, et vos comparaisons que certains pourraît trouver déplacées mais que nous considèrons plus qu’illustratives. En ce sens, nous souhaiterions pouvoir publier quelquesuns de vos articles dans une nouvelle rubrique que nous sommes sur le point de créer : « Chroniques de l’anarcho-autonomie » et vous offrir le poste de redacteur en chef de cette même rubrique. Il nous semble en effet qu’une certaine proximité existe entre vos idées et celles que nous souhaiterions véhiculer, vous seriez donc la meilleure personne pour gérer cette rubrique et l’orienter dans une direction qui resterait fidèle à l’esprit qui anime notre journal.

    En vous remerciant pour vos articles, qui contribuent à façonner l’avis que se fait la population des luttes anti-nucléaires et du mouvement ultra-minoritaire qui les dirigent ; ainsi que pour l’attention que vous porterez à cette requête.
    En espèrant avoir de vos nouvelles bientôt.

    La Rédaction du Figaro

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