London 2012 : les jeux de l’austérité !

« Il y a toujours un plus grand nombre de lieux, dans les grandes villes comme dans quelques espaces réservés de la campagne, qui sont inaccessibles, c’est-à-dire gardés et protégés de tout regard ; qui sont mis hors de portée de la curiosité innocente, et fortement abrités de l’espionnage. Sans être tous proprement militaires, ils sont sur ce modèle placés au-delà de tout risque de contrôle par des passants ou des habitants (…) »

Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, thèse XVIII.

http://juralib.noblogs.org/files/2012/07/0216.jpgL’austérité imposée par les gouvernants est combattue en Grande-Bretagne : pendant l’hiver 2010, les étudiants s’étaient opposés aux mesures du ministre des finances George Osborne ; mesures qui augmentaient vertigineusement les frais universitaires. Dès ce moment, le budget de l’État pour les Jeux olympiques était officialisé : 9,3 milliards de livres sterling (soit actuellement 11,7 milliards d’euros). C’est en mars 2012 que des parlementaires britanniques se sont publiquement inquiétés du coût de cette foire concurrentielle au muscle étatisé : dans un rapport parlementaire, ils estiment que la facture pour l’État pourrait finalement être de 13 milliards d’euros, voire même atteindre 24 milliards selon certaines estimations. Rien d’étonnant à cela : les frais des grandes messes compétitives mondialisées sont systématiquement minimisés au départ, puis deviennent colossaux par la suite. La dette des JO d’été de Montréal en 1976, par exemple, n’a été remboursée qu’au bout de trente ans ; seulement en 2006. « Alors que les autorités municipales avaient estimé le coût des Jeux à 124 millions de dollars, la ville de Montréal accumula une dette de 2,8 milliards de dollars, équivalant à 10 milliards de dollars de 2009, qu’elle mit trente ans à rembourser » (Andrew Zimbalist, « Cela vaut-il le coût ? », Finance & développement-magazine, trimestriel du FMI, mars 2010, p. 8). De la bouche même de Jacques Rogge, la dette grecque est en partie déterminée par la facture des Jeux olympiques de 2004 qui a fini par être plus de cinq fois son estimation initiale. Comment se fait-il qu’en pleine politique néo-libérale d’austérité, une telle somme puissent être allouée aux Jeux olympiques ; au nom de quoi ?

« Le gouvernement de David Cameron a procédé à quelques ajustements, notamment en multipliant par deux le budget destiné à la sécurité des Jeux » (dépêche AFP, 09/01/2012), apprenait-on en début d’année 2012. De 282 millions de livres sterling, il est passé à 553 millions, soit près de 700 millions d’euros. Même le Guardian (12/03/2012) s’inquiète du fait que Londres va être l’objet d’un véritable quadrillage de l’espace public. La Royal Navy sera déployée sur la Tamise, des missiles protégeront la capitale d’éventuelles attaques aériennes. Sur terre, ce ne sont pas moins de 12’000 policiers épaulés de 13’500 militaires, 20’000 vigiles, 1000 agents du FBI et 300 agents du MI5 qui seront déployés pendant les deux semaines estivales. Dans les airs, hélicoptères et avions de combat (Thyphoon) seront de la partie sans compter les drones de la compagnie G4S, le leader mondial du marché de la sécurité qui les emploie à merveille en Palestine. À noter également que les forces de police seront dotées d’un mégaphone spécial pour disperser les foules : il émet un son d’une intensité de 150 décibels qui est proprement insupportable aux oreilles. À 160 décibels, les tympans sont perforés. Joli terrain d’expérimentation s’il en est…

Un État d’urgence permanent

Le Locog (le comité d’organisation), avec à sa tête Lord Sebastian Coe, a en effet choisi la firme multinationale GS4 pour assurer le quadrillage policier de la ville. Mais il ne s’agit pas tant de protéger que de promouvoir la permanence du règne de la valeur d’échange. Dans un pays en crise économique, gageons que l’effet recherché par de telles mesures spectaculaires soit à usage interne. Le blindage autoritaire des démocraties existantes fonctionne à la peur. Des « terroristes » avaient déjà été arrêtés (« arrestation de cinq terroristes près de Londres », Le Figaro n° 21067, mercredi 25 avril 2012) avant ceux de ce tout début de mois de juillet. Mais gageons également que l’usage interne ne se limite pas aux frontières. Les sans-papiers du Havre, de Calais, de Boulogne subiront l’intensité accrue de cet État d’urgence permanent. Car il s’agit bien d’installer la peur à la faveur des Jeux olympiques. Au sein du Locog, sévit une « direction de la sécurité » qui impose sa loi spéciale d’une manière beaucoup plus discrète que celle du gouvernement canadien (loi 78) ; loi qui est censée réprimer le printemps érable. L’exception ne se manifeste pas seulement dans l’espace physique (urbanisme « régénéré ») et à travers une technologie agressive : elle est également opérante dans la juridiction. Depuis les JO de Sydney en 2000 le CIO s’arroge des droits commerciaux exorbitants en s’appropriant l’espace médiatique (logos), physique (enceinte olympique) et même politique. Car ce n’est pas seulement dans le domaine commercial mais aussi à travers celui des droits démocratiques fondamentaux, que le CIO impose ses diktats. C’est ainsi par exemple, qu’à la faveur de ces « jeux », est réactivé l’Anti-Social Behaviour Order, une mesure qui s’inscrivait dans la politique de « tolérance zéro » de Tony Blair. Simon More, un des militants de Occupy, venu prêter main forte au collectif de défense de Leyton Marsh, a été frappé par cette norme répressive : il a séjourné trois jours dans une prison du site olympique. Interdiction lui est désormais faite d’approcher et de participer aux événements liés au Jubilé de la Reine. Quel est son crime ? Protester contre la destruction d’une grande pelouse verte qui sert aux loisirs des habitants de ce quartier de l’East-End (Leyton Marsh) ; espace vert que l’on goudronne pour qu’une équipe hors-sol de basket américaine se prépare à sa compétition éphémère. C’est la première fois que cette procédure spéciale, utilisée pour prévenir les actions de protestation liées aux JO, est appliquée. Elle s’inscrit dans les constructions ad hoc que ce genre d’État produit afin d’effectuer des opérations de police préventive. Qui dit que ces mesures ne sont que « d’exception » et ne sont pas là, en fait, pour être pérennes ?

La régénération urbaine

La marchandisation des villes passe par la course pour accueillir de grands « événements » comme les compétitions sportives mondialisées. Les villes de la globalisation se doivent d’être compétitives. À cet égard, London 2012 est une gigantesque opération capitalistique de valorisation de l’espace urbain. Ce n’est pas seulement une rénovation ou une revitalisation, c’est une « régénération » ; c’est-à-dire une production de nouveaux quartiers dédiés à la valeur d’échange. Mais pour cela, ses habitants sont expropriés afin que naisse ce nouvel espace lissé pour le flux des marchandises. Des néo-habitants solvables arrivent, c’est ce que des sociologues appellent la « gentrification » (Ruth Glass, 1963). Les médias encensent ce phénomène et n’hésitent pas à reprendre la propagande de l’aristo Sébastian Coe en disant, par exemple que l’East-End était crasseux et qu’il méritait de disparaître. C’est ainsi faire bien peu de cas de la vie sociale qui pouvait encore exister là. Cette gentrificaton génère une exclusion des pauvres qui habitaient dans ces quartiers : au lieu de la brutalité, la répression nécessaire est douce et joue sur la durée pour émousser et épuiser les résistances. Sur ce type d’urbanisation qui représente un des aspects de la domination, on lira l’intéressant travail universitaire de Julien Puig (« London 2012 : les revers de la médaille. Conflits urbains et Jeux olympiques », mémoire de recherche de master 2, Université Paris-Est Créteil/Institut d’Urbanisme de Paris).

L’idéologie olympique

Tout cela se fait au nom du sport, de la charte olympique avec sa « fête », sa « trêve olympique » et sa « fraternité entre les peuples ». Foutaises que ces fadaises ! Déjà, lors des passages urbains de la flamme olympique en 2008 dans différents pays, il était constatable que le CIO ne s’embarrassait d’aucune éthique : les sbires du régime de Pékin encadraient fermement la troupe de choc sportive sous des apparats sportifs. Le sport a trop souvent fait cause commune avec les pires régimes politiques connus dans l’histoire : dictatures, États autoritaires, régimes d’exception. De plus, l’idéologie dominante use de la métaphore sportive dans ses discours ainsi qu’à travers ses images : la fonction politique du sport est de contribuer à produire un état d’hébètement généralisé sous couvert de « culture ». Qui sait par exemple que certaines bibliothèques universitaires de Stratford (le quartier où ont lieu les JO) seront fermées au moment des compétitions alors même que les étudiants seront en période révision pour leurs examens ? Le sport est une véritable politique avec sa vision du monde propre qui tend à se généraliser. C’est notamment à travers cette emprise sociale que peuvent s’échafauder les « événements » du spectacle : Jubilé de la Reine et Jeux olympiques. London 2012 est une arme de divertissement massif. Afin de préserver les puissants, la politique d’austérité qui se donne pour rationnelle, appauvrit la grande majorité. Ainsi, une infime minorité prend des mesures pour l’infime minorité.

Mais à l’heure actuelle, qui prend le parti de critiquer cet état de chose régnant ?

Le Sifflet Enroué n° 27, 8 juillet 2012

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