Quelques critiques et interrogations sur le déroulement du week-end de résistance à la ligne THT Cotentin-Maine

Le but de ce texte n’est pas de viser tel groupe responsable du programme du week-end ou tel groupe responsable de la stratégie de l’action du dimanche. Mais plus de mettre en lumière les difficultés organisationnelles et stratégiques qu’ont rencontrées les 500 personnes présentes lors ce cette manifestation qui a eu lieu du 22 au 24 juin 2012, en Basse-Normandie.

1. Annonce de l’action

Tout d’abord, je voudrais partir de l’annonce du week-end, et particulièrement de l’annonce d’une « journée d’actions contre la THT » (sur l’affiche) ou d’une « journée de “diversions” massives » (sur le programme détaillé du week-end). Sans poser la question suivante : Est-il vraiment nécessaire d’annoncer explicitement sur un quelconque support – jusqu’à préciser le jour – qu’il y aura des actions ? Arrêtons-nous sur le terme « diversions ». Il me semble plutôt évident (dans un contexte de lutte où, par exemple, le mot pique-nique a servi de prétexte à diverses actions) que ce mot a sûrement engendré des répercutions directes sur la façon dont se sont organisés et ont réagi les gardes mobiles, et plus largement le dispositif de répression étatique. Mais comment utiliser ce genre de termes pour ne pas que cela agisse à notre désavantage ?

2. Incompatibilité des discussions avec les actions prévues en fin de week-end

En plus des actions, sur le même mode que le camp de Valognes, étaient proposés deux jours de discussions pour débuter le week-end. L’initiative de Valognes n’a-t-elle pas montré, ainsi que certaines actions autour du Chefresne, qu’il était difficile – voire impossible – de se rendre pleinement disponible, aussi bien mentalement que physiquement, pour les discussions/débats quand une ou des actions sont à préparer ? Apparemment non. Mais le week-end anti-THT l’a encore confirmé. Une partie des discussions du samedi a été désertée par les divers groupes affinitaires et/ou géographiques, se réunissant afin de s’organiser pour les actions du lendemain. Sans parler du fait d’être préoccupé par cette dernière organisation et donc de ne pas avoir l’esprit à discuter, à prendre la parole ou tout simplement à se concentrer sur ce qui se dit. Les discussions sont tout de même très importantes dans tout mouvement d’opposition, surtout que ce n’est pas tous les jours qu’elles ont lieu.

Surgi alors le dilemme : « j’ai envie de participer aux débats, de m’informer mais je ne veux pas me retrouver en “touriste” au milieu des lacrymos le dimanche, qu’est-ce que je privilégie ? »

En ce sens, les rencontres autour de l’arrêt immédiat du nucléaire, en Saône-et-Loire, organisées par le CAN 71, permettront de se sentir plus serein, plus disponible, plus attentif, etc., étant dépourvues d’actions (du moins directes).

3. Locaux,  »visiteurs » et connaissance du terrain

Revenons sur l’action du dimanche et son aspect topographique.

Lors de l’assemblée générale faisant suite à l’action chaotique du dimanche 24 juin, plusieurs points ont été soulevés. Je reviens ici sur deux d’entre eux : la connaissance du terrain et la confiance. En effet, après la prise de parole d’une personne qui rendait compte de la difficulté à s’approprier une action quand on ne connaît pas ou peu le terrain, une autre lui répondit de manière assez virulente (et un peu stupide à mon goût) : (de mémoire) « tu n’as qu’à venir ici pendant un mois pour apprendre à le connaître ! » Comme si tout le monde habitait à une heure de route du Chefresne (et de Montabot en l’occurrence, lieu du camp) et était disponible pour venir ne serait-ce que chaque fois qu’il y a une assemblée ou une action.

Il ne faut pas oublier la triste réalité qui est, pour la majorité d’entre nous, faite de travail ; ou si ce n’est pas le cas, nous sommes chacun inscrit dans un quotidien qui peut nous contraindre dans la gestion de notre temps, sur une courte comme sur une longue durée. Sans parler du côté financier corrélé à la distance géographique dans laquelle on se trouve.

C’est donc là que la confiance intervient. Effectivement, elle devrait pouvoir naître entre les personnes connaissant bien le terrain (du Chefresne aux alentours : le château d’eau, le bois de la Bévinière, le tracé des pylônes et ses divers chantiers en cours, etc.) et celles ne venant que rarement aux assemblées, aux actions, ou qui venaient uniquement pour le week-end de résistance. Attention tout de même, faire confiance ne veut pas dire le faire aveuglément (j’y reviens plus loin). C’est un des points les plus critiques concernant l’action du dimanche et particulièrement le choix de ce petit chemin – au nom certes très sympathique – des Hortensias, mais qui a laissé planer le même grand doute (désarroi ?) au dessus de nombreux cerveaux lors des « préparatifs » pour l’action.

4. Stratégie et remise au question

On y arrive justement à cette action – qu’on pourrait rebaptiser (avec une touche d’humour noir, j’en conviens) journée de « répressions » massives.

Il y en a des choses à redire sur la stratégie qui a été proposée pour ce dimanche 24 juin – je rappelle qu’il ne s’agit pas ici d’incriminer qui que ce soit, mais d’analyser ce qui a pu constituer une fragilité dans l’organisation de l’action.

Assez vite il a été annoncé en AG (le vendredi soir je crois) qu’il y aurait deux grands groupes : un qui partirait pour une marche pacifique, dans un style « manif’ traditionnelle » et un second qui serait dans l’action dite « directe ».

Le premier (G.1) – hétérogène, constitué de jeunes et moins jeunes, d’enfants (!) – devait partir du camp, sur la route, pour se rendre au Chefresne (au château d’eau – squatté de force par les pions de l’État – ou à la mairie, je ne sais plus…).

Le deuxième (G.2) – composé majoritairement de jeunes (sans oublier les moins jeunes), et sans enfants – devait descendre le fameux petit chemin des Hortensias, exigu, sombre, longé d’arbres et de clôtures, rendant l’accès difficile aux champs de chaque côté, surtout pour un groupe nombreux. L’intention du G.2 était d’aller bloquer un carrefour tout en bas du chemin, sachant que ce dernier longe grossièrement le tracé de la ligne THT avec deux pylônes dans le champ à gauche en descendant et un troisième non loin du carrefour en question. Le mot d’ordre du groupe était : rester compact.

À noter que plusieurs petits groupes (plus mobiles et ayant divers objectifs) ont été constitués, en plus du G.1 et G.2.

Une fois le « scénario » intégré dans les cerveaux ainsi que la connaissance du dispositif de répression – environ 600 gardes mobiles, plus le(s) PSIG (Peloton de Surveillance et d’Intervention de la Gendarmerie), il apparut pour un grand nombre de personnes que l’action prévue pour le G.2 était vouée à l’échec – « on va au casse-pipe ! ». Certain-e-s, dans ce dernier groupe, avaient la nette impression de servir d’appât. Il y eut plusieurs réactions face à cela : la fierté, car cela pourrait permettre aux groupes mobiles d’accéder aux pylônes ; le mécontentement, et donc la volonté de changer de groupe (G.1 ou un des petits groupes) ; l’indifférence, car certain-e-s ne s’en rendirent sûrement pas compte.

Avec du recul et après réflexions sur la situation au sein du G.2, plusieurs critiques émergent sur cette stratégie qui fit autorité et fut tentée.

Paradoxalement, malgré le grand nombre de gens ayant critiqué la stratégie, lors (et hors) des réunions du G.2, personne ne l’a remise radicalement en question en AG. Tout cela fait ressortir une sorte de suivisme, une non appropriation de l’action, et une sacralisation des assemblées générales [Le mot « fétichiser » fut employé pour qualifier les assemblées. Il était certes peut-être un peu fort mais relevait, à mon avis, une composante importante de l’échec du dimanche.]. Cet aveuglement et ce manque d’objectivité sont-ils les symptômes d’un attachement excessif au spectre de la démocratie directe ?

Un autre point critique, celui de la solidarité « forcée ». En effet, des personnes ont voulu renoncer à l’action du G.2, intégrer un autre groupe ou même rester au camp, la stratégie ne leur convenant pas. Mais des sentiments tels la culpabilité, le désarroi, etc. peuvent conduire à une solidarité non assumée donc forcée, car se sentant obliger de soutenir leurs ami-e-s. Cela peut être prévisible et a certainement été vécu ce dimanche 24 juin. Ce sont des aspects qu’il ne faut pas écarter dans les conditions d’une action « risquée », aux conséquences pouvant être graves, au niveau de la répression : de nombreuses personnes blessées, arrêtées, car inquiètes, angoissées et ne se sentaient pas de faire face aux forces de l’ordre, du fait de s’être forcées comme décrit plus haut. Il en va de même, pour une vingtaine de personnes de la Medic Team (groupe médical quoi) qui étaient en capacité d’assumer les premiers secours. Étant les seules à être organisées, dans ce but, pour l’action, la responsabilité que cela implique peut inciter à la solidarité forcée. Aussi, si vraiment il venait à manquer quelques un-e-s de la Medic Team, car se refusant à être solidaire d’une action qu’ils-elles ne sentent pas, les conséquences pourraient être encore pires.

Le dernier point que j’aborderai dans cette partie 4 est celui de la « flexibilité ». En d’autres termes, comment arriver à ne pas faire que l’action soit téléphonée ? Comment ne pas agir là même où l’on sera le plus attendu par les forces de répression ?

Aurions-nous été capable d’effectuer l’action le samedi au lieu du dimanche, malgré son annonce pour le dernier jour ? (J’ai conscience de la difficulté que cela implique, ainsi que les possibles infiltrations, écoutes à distances, etc.)

Je n’ai pas de réponse à apporter, c’est à réfléchir, à discuter et peut-être à envisager par la suite, sur d’autres actions de ce genre.

Notons quand même la trentaine de personnes qui ont pu accéder à un pylône dans la nuit de samedi à dimanche, et ont retourné la bagnole d’un vigile (un feu d’artifice a également été lancé ce même soir, je ne sais pas s’il fut lié aux 30). En gros, on a été tellement figé sur notre dimanche que les gardes mobiles n’ont pas pris la peine d’être présents aux pieds de tous les pylônes la veille au soir.

Une dernière remarque. Il peut s’avérer dangereux d’effectuer des actions près d’un camp où il y a des enfants et un espace qui leur est prévu. Pour quelque raison que ce soit, les forces de répression pourraient être amenées à entrer sur le camp et exposer les enfants aux gaz lacrymogènes ou à des scènes violentes [D’ailleurs, le groupe 1, dans lequel il y avait des enfants, s’est vu être gazé (sans sommation) par les gardes mobiles, au grand étonnement de certain-e-s. N’oublions pas que le mot « diversions » avait été annoncé. Il était donc très facile d’en imaginer une avec le G.1 partant en manif’ pacifique alors qu’un petit groupe à l’intérieur aurait pu s’être organisé, se tenant près à agir plus radicalement à un moment donné. En tout cas, la passion du gazage plus la pression psychologique et physique du week-end, les gardes mobiles n’ont pas dû réfléchir bien longtemps pour tirer leurs saloperies.].

5. La mode de l’activisme

Ainsi, samedi après midi, alors que quelques personnes étaient en « promenade » sur le chemin des Hortensias et dans les champs environnants, plusieurs camionnettes et voitures de la gendarmerie ont déboulées sur un chemin très proche du camp. Les forces de l’ordre étaient-elles là pour essayer d’intercepter les « promeneurs », craignant que ceux-ci n’aillent s’attaquer aux pylônes, allez savoir !?

Toujours est-il que deux personnes, voyant ce spectacle, s’apprêtèrent à tirer des fusées (type feu d’artifice) sur les gardes mobiles, cela, depuis le camp. Les excités – vêtus d’une sorte de burqa-noire-moulante-deux-pièces de l’activiste branché – n’eurent pas le temps de faire quoi que ce soit avant que plusieurs personnes, près d’eux, ne leur disent d’arrêter. Cela aurait certainement légitimé une intrusion de la part de « l’ennemi », avec toutes les conséquences imaginables.

Les deux zouaves n’ont pas insisté (leur seule répartie fut : « on l’fait pas ? ») et sont partis en se décagoulant tranquillement.

Ce genre de réactions, comme quelques autres durant le week-end, ont fait parfois régner une ambiance assez étrange, comme si – à la vu de certaines personnes – il y avait un besoin de prouver une identité, voire une mode de l’activisme. À quand un rayon « activisme », consacré à l’accoutrement et au matériel (des fringues noires de toutes sortes, en passant par la frontale, le sac, les gants, le masque à gaz, etc.) chez Décathlon ou Au Vieux Campeur ?

Je m’égare un peu dans la moquerie, je sais, mais c’est quand même risible parfois ; mais ça peut vite ne plus l’être dans une situation semblable à celle décrite au début de cette partie 5.

6. Répression, échec : nécessité de créer un bouc-émissaire ?

Un autre phénomène est apparu pendant et surtout après le week-end. C’est la création d’une espèce de bouc-émissaire.

En effet, c’est l’impression que me donne cet acharnement contre la mouvance dite « appelliste », à qui on reproche le goût des stratégies guerrières et un certain avant-gardisme. Je ne veux pas rentrer dans cet élan plutôt hostile – mêlant des antécédents vécus avec ou proche de cette mouvance, de l’ego, de la jalousie (voire un peu de phobie), et sans doute une part de vérité. Il s’agit en fait de divergences théoriques et pratiques, apparemment difficiles à gérer.

Il se trouve que je n’ai aucun antécédent, ni grief à l’égard de ce courant politique. En outre, ces divergences ne peuvent-elles pas être conciliables, après discussions (sans animosité), pour envisager une réelle organisation commune ? Je ne prétends pas cerner la complexité de cette situation, je fais juste part de mon ressenti m’étant retrouvé plusieurs fois dans une position gênante face à ces reproches.

Ainsi, le fait que l’action du dimanche fut chaotique, qu’il y ait eu une répression violente et impressionnante avec, au final, une vingtaine de blessé-e-s dont trois gravement atteint-e-s, laisse le goût amer de l’échec. S ‘ajoutant parfois à cela, un sentiment de culpabilité, un choc psychologique, un vif énervement contre les forces de répression, un mécontentement vis à vis de l’organisation de l’action – cette dernière avait préoccupé, je le répète, beaucoup de gens. Tout ça peut être dur à porter. Pourtant, je trouve qu’il est malavisé, abusé, de développer à l’encontre de la mouvance précitée – ou d’une quelconque autre, évidemment –, un phénomène de bouc-émissaire, ou quelque chose dans ce goût là.

Il me paraît plus juste de considérer cet échec comme étant collectif, et non en se détachant des causes et en les attribuant à d’autres.

7. La suite

Lorsque j’écris ces lignes, l’assemblée du Chefresne se rassemble pour la première fois depuis le week-end de résistance. Je fais partie des personnes ce trouvant dans un des cas décrits partie 3, ce texte compense partiellement mon absence. Je le finirai en pensant que des actions rassemblant un grand nombre de gens ne sont pas toujours compatibles avec la cible choisie. En témoigne la liste d’actions « réussies », recensées par RTE et qui étaient principalement des actions clandestines ou en nombre assez restreint, pour celles qui étaient publiques. Qu’elles continuent alors d’exister !

Rendez-vous donc en septembre, en Saône-et-Loire, pour apprendre à se connaître, discuter et débattre de questions pertinentes. Comme par exemple : quelle pourrait-être la prochaine cible faisant l’objet d’une action de perturbation massive contre l’industrie nucléaire et son monde ?

Un individu participant à l’initiative de Montabot
Le 18 juillet 2012

Ce contenu a été publié dans Aménagement du territoire - Urbanisme, Luttes antinucléaires, Luttes pour la terre, avec comme mot(s)-clé(s) , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.