[Cosette moderne] Les esclaves travaillent

En Malaisie, les immigrées traitées en esclaves domestiques

Quand les ambulanciers ont trouvé le corps sans vie et couvert d’ecchymoses de Mei Sichan, le 31 mars dans une habitation du nord-ouest de la Malaisie, il ne pesait plus que 26 kg. L’employée de maison cambodgienne de 24 ans est morte de faim, selon le rapport de police. Le couple qui l’avait embauchée, inculpé pour meurtre, encourt la peine de mort par pendaison. En 2011, au moins neuf employées de maison cambodgiennes sont décédées à force de coups et de privations.

Environ 200’000 domestiques immigrées (dont 30’000 Cambodgiennes) travaillent légalement en Malaisie, sur un total de 3 millions de travailleurs étrangers pour 28 millions d’habitants. Mais aucun cadre juridique ne fixe les droits de ces femmes, soumises au bon vouloir de leurs patrons et des agences de recrutement. C’est cet état de fait, associé à un « climat d’abus des droits de l’homme », qui, selon l’association Jump, un réseau de soutien aux migrants et aux réfugiés, conduit à des drames tels que celui de Mei Sichan.

Des témoignages terribles d’anciennes femmes de ménage cambodgiennes en Malaisie ont été publiés en 2011 dans un rapport de l’Uniap (le Programme interagences des Nations unies sur le trafic des êtres humains). Ils corroborent ceux recueillis par les associations malaisiennes d’aide aux migrants : interdiction de sortir de la maison et d’entrer en contact avec quiconque, passeport confisqué, travail de l’aube à la nuit, sans jour de congés, salaire versé à la fin du contrat (deux ans, le plus souvent), amputé de frais à la discrétion des employeurs… Insultes, coups, sévices et violences sexuelles sont de surcroît le lot commun de ces travailleuses. Quand ce n’est pas la mort.

Un accord bilatéral a été signé sur ce sujet entre la Malaisie et l’Indonésie, son plus grand pourvoyeur de femmes de ménage. Celui-ci prévoit un salaire mensuel minimum de 700 ringgits malaisiens (175 euros), un jour de congé hebdomadaire, l’interdiction faite aux employeurs de conserver le passeport de leur employée, ainsi que le droit de cette dernière à communiquer avec ses proches et à porter plainte. Mais, excédée par le manque d’entrain des autorités malaisiennes à protéger ses ressortissantes, Jakarta a suspendu en 2009 leur envoi pendant trois ans.

Bien que cette interdiction n’ait jamais été entièrement respectée, les agences de recrutement malaisiennes s’étaient tournées vers le Cambodge. Jusqu’à ce que celui-ci n’interdise à son tour, en octobre 2011, et pour les mêmes raisons, à ses ressortissantes de travailler en Malaisie. Mei Sichan avait quitté son pays deux mois avant cette décision.

Presse esclavagiste (Charles Dannaud, Liberation.fr, 19 juin 2012)


Le dur destin des domestiques indonésiennes en Arabie saoudite

Vingt-cinq jeunes indonésiennes risquent la peine de mort en Arabie saoudite pour crimes contre leurs employeurs.

Parmi 1,2 million de travailleurs domestiques indonésiens dans le royaume, nombreux dénoncent des mauvais traitements. Djakarta échoue à les protéger.

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Jeunes Indonésiennes candidates à l’émigration au bureau de Tangerang, dans la province de Banten.

Terminal 4, aéroport de Soekarno-Hatta à Djakarta. Dika se remet tout juste de ses douze heures de voyage qu’elle vient d’effectuer depuis Riyad. Dans le terminal réservé au retour des travailleurs domestiques, elles sont plusieurs centaines de jeunes Indonésiennes à revenir d’Arabie saoudite ou de Malaisie, des pays dans lesquels elles ont été femmes de ménage ou nourrices pendant souvent plus de trois ou quatre ans.

Dika se dit chanceuse. La jeune femme de 22 ans a pu économiser un peu d’argent qu’elle va remettre à sa famille. Elle connaît le sort de nombreuses autres travailleuses domestiques à l’étranger.

En Arabie saoudite, 1700 ressortissants indonésiens croupissent en prison. Au moins vingt-cinq jeunes Indonésiennes attendent leur jugement dans les geôles du royaume wahhabite et risquent la peine de mort. « Pour légitime défense,  s’insurge Anis Hidayah de l’association indonésienne Migrant Care, qui s’occupe des travailleurs migrants. Souvent elles sont battues, même violées, et si un jour elles se défendent, ou elles s’échappent, elles risquent la peine de mort. »

« Les employeurs pensent nous acheter »

« Les familles perdent espoir, certaines femmes sont emprisonnées depuis une dizaine d’années,  explique Anis Hidayah. Depuis l’an passé, il est difficile de leur redonner courage. » En juin 2011, une femme de ménage indonésienne a été décapitée en Arabie saoudite, pour avoir tué son employeur qui la maltraitait et la retenait prisonnière.

Tous les jours, mille travailleurs domestiques reviennent en Indonésie, selon l’association Migrant Care.  La majorité raconte la vie sordide que leurs employeurs leur ont fait subir. Ibu Eli a été domestique pendant plus de dix ans, en Malaisie puis dans les pays de la péninsule arabique, pour finalement être vendue en Irak. Plusieurs années qu’elle décrit comme de l’esclavage moderne.

Lorsqu’elle est partie, jeune fille, elle croyait pouvoir trouver une échappatoire à une vie qu’on lui promettait difficile. « En Indonésie, même après des études, il est difficile d’obtenir un travail. Alors sans qualification, comment fait-on ? Le travail à l’étranger reste une alternative pour beaucoup de femmes,  raconte-t-elle. Les employeurs payent une somme importante aux agences de recrutement pour obtenir une employée de maison, ils pensent alors nous acheter, et nous devenons de vraies esclaves. »

18 heures par jours, des coups en retour

Dans le bureau de l’aide juridique de Migrant Care, Yeni Larasati brandit tremblante la photo de sa jeune sœur, la dernière qu’elle ait d’elle. Elle date d’il y a cinq ans. Ernawati, lycéenne, avait alors 15 ans. C’était avant qu’elle parte pour l’Arabie saoudite. « Le recruteur d’une agence de placement est venu dans notre village de l’est de Java, il l’a convaincue en lui parlant d’argent facile à gagner, dix fois plus qu’un salaire indonésien », raconte tristement Yeni Larasati.

Sa sœur a rejoint le centre de formation des employés de maison à Djakarta où elle a reçu une courte formation au repassage et à la cuisine. « L’agence de placement a falsifié sa date de naissance, pour établir son visa de travail. Ils ont aussi imité la signature de mon père pour l’envoyer au plus vite à l’étranger. »

Six mois après son arrivée en Arabie saoudite, Ernawati contacte sa sœur pour se plaindre de mauvais traitements. Elle travaille 18 heures par jour et ne reçoit aucun salaire. Plusieurs mois plus tard, elle appelle à nouveau sa sœur apeurée : elle vient d’être battue, son crâne est ouvert. Elle pleure son désir de rentrer.

Des employeurs rarement inquiétés…

Yeni Larasati, affolée, se rend au ministère des affaires étrangères. Sa plainte est bien enregistrée, mais on lui rétorque que l’ambassade d’Indonésie est trop éloignée du lieu de travail de sa sœur à Riyad. Ernawati ne reçoit donc aucune protection.

Deux mois plus tard, elle reçoit un appel de l’hôpital de Riyad : sa sœur est décédée sous les coups de son employeur. Depuis, la jeune femme essaie de faire condamner l’agence de recrutement, en vain. L’employeur non plus n’a jamais été puni. Il a depuis une nouvelle employée de maison.

« Il est très difficile de faire jouer les assurances, explique Agustinos de l’institution Komnas Perempuan. Elles sont valables uniquement deux ans, le temps d’un contrat type. Car souvent les employeurs gardent leur domestique plus de deux ans pour amortir les frais nécessaires à sa venue (1400€). Il n’y a alors plus aucun recours. »

… et un gouvernement « corrompu »

Plus d’un million d’Indonésiennes travaillent comme employées de maison en Arabie saoudite. En 2008, le gouvernement indonésien a signé un moratoire dans lequel il déclare ne plus envoyer de travailleurs domestiques en Malaisie et en Arabie saoudite. Malgré le moratoire, chaque année 20’000 travailleurs indonésiens entrent en Arabie saoudite.

« Le gouvernement ne contrôle pas les 598 agences de placement de travailleurs domestiques. Elles falsifient les documents. Certaines Indonésiennes sont d’abord envoyées dans d’autres pays du Golfe en transit ; à d’autres on établit un visa spécial, sur lequel est inscrit que la jeune femme part en pèlerinage à La Mecque, le rêve pour tout musulman. En réalité, elles restent à Riyad et deviennent esclaves », explique Anis Hidayah.

Et de souligner que les agences « brassent beaucoup d’argent et ont des soutiens au sein du gouvernement. Le pays est très corrompu. »

Une petite victoire des associations

Contrairement aux Philippines, le gouvernement indonésien ne réussit pas à protéger ses travailleurs à l’étranger, qui ont rapporté 6 milliards d’euros l’an dernier au pays. Le 12 avril, les associations de défense ont cependant remporté une petite victoire avec la ratification par leur gouvernement de la convention internationale de protection des travailleurs étrangers de 1990.

« C’est une première étape, il faut maintenant qu’il conforme les lois nationales au droit international », explique Anis Hidayah de l’association indonésienne Migrant Care. « Depuis, plusieurs jeunes femmes indonésiennes sont mortes en Malaisie sous les coups de leurs employeurs… »

Presse esclavagiste (Anne-Fleur Delaistre, LaCroix.com, 27 juin 2012)


[Côte d’Ivoire] Travaux domestiques : Comment on se sert des servantes

Lors de notre visite dans des quartiers d’Abidjan des filles de ménage aux abois pataugeaient entre ennui, angoisse et galère. Un récit qui retrace leur quotidien de plus en plus dramatique. Certes la capitale économique est un pole d’attraction pour les filles de toutes les régions qui n’ont pas eu la chance d’être scolarisées ou ayant abandonné tôt l’école, faute de moyens financiers de certains parents. Ainsi, pour se faire une place au soleil certaines d’entre elles préfèrent devenir fille de ménage à Abidjan. Mais cette aventure connait des fortunes diverses.

Pour avoir ce boulot, ces filles prennent contact avec des agences de placement de servantes qui leur proposent des emplois périlleux. Ces filles déposent une demande auprès des agences, qui les confient à des patronnes désireuses d’avoir une fille de ménage. Tout cela se fait moyennant une somme de 5000 Fcfa qu’elles paient à l’agence. Tant que l’agence ne trouve pas aux filles de famille un ok, elles sont obligées d’être à l’écoute ou même de passer des jours à l’agence dans l’espoir de se trouver du travail. Souvent certaines filles déboursent des fortunes avant d’avoir un débouché. Car certaines payent plus de 5000Fcfa dans plusieurs agences. Ce qui est devenu une véritable source de richesse, voire un gigantesque marché pour ces maisons qui pullulent à Abidjan. Les agences ne se préoccupent pas de la moralité des familles d’accueil. Tout ce qui les intéresse c’est leur argent. La plupart de ces agences n’ont aucune existence légale. De la manière les employeurs trouvent ces filles dans un état désespéré dans les agences, c’est aussi de cette manière qu’ils n’accordent pas du respect à ces filles. Mais est-ce une raison de régner en maitre face à une personne en détresse ? Ces filles n’ont-elles pas de droits à revendiquer ?

Le calvaire des filles de ménage

Une fois ce boulot décroché, c’est le début de souffrance, d’esclavage pour certaines. Lors de notre visite à Cocody (riviera Golf) qui est l’un des principaux pôles d’attraction à Abidjan aux environs de 6 heures et demie du matin, nous avons découvert la petite Traoré Salimata âgée de dix sept ans qui affichait une mine grise défraichie, visiblement noyée dans les soucis. « Je travaille dans cette maison. Et on m’y interdit de dormir. Je dors tous les jours à la terrasse. Mensuellement je ne reçois que 20’000Fcfa. Avant de signer le contrat, ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient payer que 30’000Fcfa à condition que je ne dorme pas chez eux. Et que si je dors ici, le salaire ne dépassera pas les 20’000Fcfa, or mes tuteurs vivent à Yopougon. Cette distance m’a poussée à dormir ici ». nous a-t-elle confié.

Crise de confiance…

La confiance entre les employeurs et ces dernières est aujourd’hui brouillée. Certaines patronnes confirment qu’elles sont toujours victimes de ces filles. Car elles les considèrent comme des voleuses. Une situation qui fait que les employeurs n’acceptent plus qu’elles dorment sur les lieux de travail. « J’ai adopté une fille de ménage comme ma propre fille. Nous avons passé près de six ans ensemble et elle était devenue pratiquement ma confidente. Il a fallu un seul, jour pour que cette confiance se dégrade. Or c’est elle qui gardait la clé de ma chambre. Un jour en rentrant du travail, j’ai constaté qu’elle avait emporté tous mes bijoux et l’argent que je gardais sous le lit. Donc depuis ce temps je n’ai plus eu confiance en ces filles. Moi je préfère qu’elle viennent travailler et retourner à la maison le soir », nous confiait, Mme Loukou Assistante de Direction à la riviera Faya.

Des patronnes ne font pas plus d’un mois avec des filles de ménage

Au moment où elles vont chercher ces filles dans les agences, elles se montrent beaucoup indulgentes et aimables. Mais une fois la fille foule le seuil de la maison, elles adoptent un autre comportement à l’endroit de celles-ci. À peine certaines femmes arrivent à lui payer convenablement le salaire promis. Et quand elles revendiquent, les patronnes n’hésitent pas à les menacer et les mettre dans la rue, avec pour slogan : « tant qu’il y a des filles qui sont en quête d’emploi dans les agences, les foyers ne resteront jamais sans servante ». À la Riviera 2, une agence de placement de filles a refusé de confier des filles à Mme DK, qui n’arrive pas à faire plus d’un mois avec ses employées. Selon les responsables de cette agence, lorsqu’elle engage une fille, elle refuse de la payer après le premier mois. Aussi pour ce comportement toutes les filles la redoutent à cause des sévices qu’elles subissent chez elle. Elle n’est pas la seule femme à se montrer aussi désagréable vis à vis des filles de ménage. Elles sont nombreuses, ces femmes qui changent de servantes au gré de leurs humeurs.

La nourriture et l’usage de la douche et du WC sont interdits à certaines servantes

La chose la plus inhumaine qu’on n’aurait pas imaginée et à laquelle ces filles sont confrontées, c’est le fait que certaines travaillent et ne gouttent pas à la nourriture de leurs patrons. Elles sont obligées de payer la nourriture dehors ou attendre l’heure de la descente pour manger à la maison. C’est le cas de Mlle Nathalie qui dit être interdite de nourriture à son lieu de travail. « Avant de m’engager, ma patronne m’a dit que je n’ai pas droit à la nourriture que je prépare. Mais je suis payée à 35’000Fcfa dans le mois. J’y suis déjà habituée. Je ne dors pas chez eux. Je suis obligée de payer tous les jours le transport ou de marcher pour venir à Adjamé (habitat) ou je réside en passant par le pont piéton qui relie Adjamé et le lycée technique de Cocody. Quand il y a des invités je finis souvent tard et souvent je traverse ce pont piéton aux environs de 21 heures. Ce qui m’expose à de grands dangers. Ils m’ont aussi interdit à doucher chez eux », nous a-t-elle martelé. Par ailleurs certaines patronnes vont plus loin en interdisant ces filles de se soulager dans leur WC. « Ma patronne m’a interdit l’usage de ses toilettes, à Cocody Angré. Quand l’envie me prenait, je partais le faire chez un vieux gardien qui vivait dans une baraque avec sa famille. En ce moment-là, je dormais dans la cuisine. Un jour je souffrais d’une diarrhée la nuit. Comme l’accès au WC m’était interdit, j’ai décidé de déféquer dans un sachet noir dans la cuisine. Ainsi, j’allais le jeter au petit matin. Je vous assure que j’ai bien attaché le sachet de sorte que le déchet ne sente pas. Mais le lendemain comme d’habitude ma patronne se réveillait tôt. En vérifiant tout dans la cuisine, elle a découvert le sachet contenant le déchet. Malgré mes explications, et les interventions de son mari, elle m’a sévèrement menacée avec un pilon. Après quoi, elle m’a vidée de chez elle après deux mois sans salaire », s’est-elle indignée.

Présence encombrante, les femmes mariées se lamentent

Bien plus, les patronnes les soupçonnent le plus souvent d’être de petites sorcières ou d’arracheuses de maris. Et certains maris, trop accros du sexe n’hésitent pas à coucher avec ces filles en l’absence de leurs épouses. Cette situation pousse parfois des couples au divorce. Pour passer cette éventualité, certaines servantes sont interdites d’accès à la chambre conjugale. Quand elles sont présentes certaines patronnes mettent leurs maris sous haute surveillance. Elles sont nombreuses aujourd’hui, les servantes qui portent des grossesses de leurs patrons.

L’État encore impuissant

Jusqu’à ce jour l’État ivoiriens reste impuissant dans la protection des droits des filles de ménage. On pourrait même confirmer que les structures qui œuvrent pour la protection de ces filles sont quasiment inefficaces. Quand bien même le travail des filles de ménage est fortement critiqué, rien n’est entrepris par les autorités étatiques pour assainir et mieux organiser ce secteur qui est à la fois vital et indispensable. Vivement que le gouvernement y songe.

Presse esclavagiste (enquête réalisée par Fofana Zoumana, Le Démocrate via news.abidjan.com, 13 juin 2012)

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