[Procès de Clichy-sous-Bois à Rennes] Les journaflics travaillent

JUSTICE
Mort de Zyed et Bouna : procès des policiers 10 ans après les faits

Dix ans après les faits, deux policiers comparaissent à partir de lundi à Rennes pour «non-assistance à personne en danger» après la mort de deux jeunes dans un site EDF à Clichy-sous-Bois, un drame à l’origine de trois semaines d’émeutes dans les banlieues françaises.

http://juralib.noblogs.org/files/2015/03/121.jpgLe 27 octobre 2005, peu après 17 heures, un véhicule de police appelé à intervenir sur un chantier de Seine-Saint-Denis met en fuite un groupe de dix mineurs. Parmi eux, Muhittin Altun, Bouna Traoré et Zyed Benna qui s’enfuient en direction d’un bois, avant d’escalader le mur d’enceinte d’un site EDF, protégé par un mur en parpaings d’environ quatre mètres. Bouna Traoré, 15 ans, et Zyed Benna, 17 ans, sont mortellement électrocutés par un arc électrique. Muhittin Altun est grièvement blessé. Le gardien de la paix Sébastien Gaillemin, 41 ans, qui était sur place, et Stéphanie Klein, 38 ans, qui était au standard du commissariat, sont tous les deux accusés de non-assistance à personne en danger.

Le procès, à l’issue duquel ils encourent au maximum cinq ans de prison et 75’000 euros d’amende, doit durer cinq jours. «Les éléments constitutifs de la non-assistance à personne en danger ne sont pas réunis», considère Me Daniel Merchat, l’avocat des policiers. «Mes clients n’ont jamais eu la certitude qu’il y avait des individus dans le site. Comment voulez-vous qu’on fasse appel à des secours quand on ne sait pas qu’il y a des gens en danger ?», fait-il valoir. «Les trois gosses sont des victimes, deux d’entre eux sont morts dans des conditions atroces. Et cela aurait pu être évité», réplique Me Jean-Pierre Mignard, l’avocat des familles. «L’idée qu’il fallait porter secours à des jeunes des cités qui étaient en danger de mort ne leur a pas traversé l’esprit», dénonce-t-il.

Dix ans de procédure

Il aura fallu dix ans pour parvenir à cette audience depuis l’ouverture de l’information judiciaire pour non-assistance à personne en danger au tribunal de grande instance de Bobigny en novembre 2005. Un an plus tard, une plainte avec constitution de partie civile pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui est jointe à l’information judiciaire. Même si le procureur conclut à l’absence d’infraction constituée, les juges d’instruction rendent en octobre 2010 une ordonnance écartant le chef de mise en danger délibérée de la vie d’autrui, mais renvoyant les deux fonctionnaires devant le tribunal correctionnel pour non-assistance à personne en danger. Le procureur, tout comme l’ensemble des parties civiles, font appel. Le 27 avril 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris estime qu’il n’y a lieu de poursuivre quiconque dans cette affaire. Mais en octobre 2012, la chambre criminelle de la Cour de cassation annule cette décision et demande à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes de réexaminer le dossier. Celle-ci va finalement rejoindre en septembre 2013 l’avis rendu en 2010 par les juges d’instruction de Bobigny et renvoyer les deux fonctionnaires de police devant le tribunal correctionnel pour le seul chef de non-assistance à personne en danger.

«Certains n’ont jamais voulu que cette affaire soit jugée», critique l’avocat des parties civiles. Selon lui «il y a eu une volonté d’exténuer cette procédure en la retardant au maximum. Ça a failli réussir». «Mes clients sont soulagés de pouvoir être enfin entendus, parce qu’ils ont la conviction de n’avoir commis aucune faute, aucune erreur», commente Me Merchat. Les deux policiers sont toujours en fonction. «L’inspection générale de la police nationale n’a relevé aucune faute à leur encontre. Il n’y a pas eu de procédure disciplinaire», rappelle l’avocat. La mort des deux adolescents avait été suivie par trois semaines d’émeutes dans les banlieues françaises. Le gouvernement avait dû décréter l’état d’urgence.

Publié par des larbins de la maison Poulaga (Agence Faut Payer via LAlsace.fr, 13 mars 2015)

 

Mort de Zyed et Bouna : Clichy-sous-Bois à l’heure du procès

Zyed et Bouna, «c’étaient des gamins bien, pas des voyous, et ils avaient la vie devant eux» : à Clichy-sous-Bois, on espère que le procès de Rennes servira à changer le regard sur les jeunes des cités, trop souvent «présumés coupables».

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Rassemblement le 27 octobre 2007 à Clichy-sous-Bois, à la mémoire de Zyed Benna et de Bouna Traoré.

C’était il y a dix ans. La mort accidentelle de Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, provoquait trois semaines d’émeutes en France et marquait à jamais cette commune déshéritée de Seine-Saint-Denis, où une plaque commémorative et une fresque murale rappellent le drame.

Dix ans de politique de la ville plus tard, cette commune de 30.000 habitants peut se flatter d’être enfin une ville «normale» dotée d’un commissariat et d’un Pôle emploi, bienvenu pour aider les 20% de chômeurs à trouver du travail.

Bientôt, c’est-à-dire en 2018, et après bien des reports, l’arrivée du tramway devrait en outre remédier à l’enclavement de la commune. À terme, il ne faudra plus 1H30 pour relier les 15 km qui séparent cette ville de Paris.

La seule chose qui n’a pas vraiment changé à Clichy-sous-Bois, c’est le sentiment d’injustice, toujours vivace.

En cette fin d’après-midi ensoleillée, Najla papote sur un banc avec d’autres mamans voilées. La jeune femme, qui était en classe avec Bouna, se souviendra «toute sa vie» de ce soir du 27 octobre 2005, quand une coupure d’électricité, provoquée par la mort, au même moment, des deux adolescents, a plongé la ville dans le noir.

«C’étaient des gamins bien, pas des voyous… », soupire cette Clichoise de 33 ans qui habite toujours, comme la famille Traoré, dans la cité du Chêne-Pointu, elle aussi promise à la rénovation dans le cadre de l’Anru II.

‘Mensonge d’État’

Président de l’association «Au-delà des Mots», qui soutient les proches des victimes, Samir Mihi espère qu’avec ce procès, on tordra définitivement le cou au «mensonge d’État» selon lequel Zyed et Bouna, «présumés coupables», étaient en train de commettre un vol sur un chantier.

«Ce procès, tout le monde a vraiment hâte d’y être, pour qu’on sache enfin ce qui s’est réellement passé et qu’on l’entende de la bouche des policiers. Pourquoi personne n’a réagi pendant ces vingt minutes où ces enfants étaient dans cette centrale électrique ?», s’interroge encore cet ancien éducateur sportif.

En réalité, le vol n’a jamais été avéré. Et s’ils se sont enfuis, c’est par «peur des policiers, parce que ça se passait souvent mal lors des contrôles», témoigne Fariz Allili, 25 ans, un copain d’enfance des victimes.

«Dès le premier jour du drame», se souvient le maire PS Olivier Klein, «on a appelé à connaître toute la vérité sur l’enchaînement des faits qui ont conduit à la mort de ces deux enfants de Clichy».

Policiers et jeunes se rejettent la responsabilité. Et l’absence de parole de compassion de la part du gouvernement Villepin-Sarkozy, qui au lieu «de présenter ses condoléances et reconnaître le caractère effroyable de cette tragédie», endosse la version policière, attise la colère.

À l’époque premier adjoint, Olivier Klein accompagne nuit et jour sur le terrain Claude Dilain, l’ancien maire récemment décédé, pour tenter de ramener le calme.

Aux yeux du maire cependant, qui fera le déplacement à Rennes, «rien de mieux qu’un procès public et contradictoire pour faire émerger la vérité».

Mais pour Mohammed Mechmache, président de l’association AC Lefeu, s’il devait se conclure par un non-lieu pour les policiers, cela renforcerait «le sentiment d’injustice, le sentiment que la justice est plus clémente avec les uns qu’avec les autres, les abonnés aux comparutions immédiates, ceux dont la vie est brisée par une inscription sur le casier judiciaire…»

Et de rappeler qu’il «a fallu se battre pendant dix ans pour qu’il puisse avoir lieu : alors oui, énormément de gens attendent l’issue de ce procès».

Publié par des larbins de la maison Poulaga (Agence Faut Payer via Liberation.fr, 13 mars 2015)

 

Pour les familles de Zyed et Bouna, « une douleur qui ne part pas »

Pour aider les familles à se rendre à Rennes pour assister au procès, mais aussi à se loger sur place, une cagnotte a été lancée sur Internet.

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Hommage à Zyed et Bouna, « morts pour rien », à Clichy-sous-Bois en octobre 2007.

Dix ans d’attente, et une douleur qui « ne part pas ». Pour les familles de Zyed et Bouna, morts après une course-poursuite avec des policiers, le procès de Clichy-sous-Bois sera l’occasion de « comprendre ce qui s’est passé », pour essayer de « faire le deuil ». « On y pense chaque jour. Depuis l’accident, on a arrêté de vivre », confie Adel Benna, 39 ans, grand frère de Zyed. « Les plaies sont tellement profondes qu’elles ne se sont pas refermées. C’est comme si ça s’était passé hier. » Agent de maintenance dans une société de Rungis, le fils aîné de la famille Benna confie être « stressé » — mais aussi « impatient » — à quelques jours du procès, qui s’ouvrira lundi devant le tribunal correctionnel de Rennes. « Pour nous, c’est un moment très important. Tant qu’il n’y a pas de justice, ça ne nous aide pas à tourner la page », explique d’une voix calme le trentenaire, « marqué à jamais » par les événements du 27 octobre 2005.

Pour le frère de Bouna, Siyakha Traoré, « il y a toujours un sentiment de colère et d’incompréhension », « même dix ans après » le drame. « On se pose des questions. On veut savoir ce qui s’est réellement passé », insiste-t-il. Comme ses parents, ses frères et ses sœurs, Siyakha habite toujours Clichy-sous-Bois, banlieue populaire de l’Est parisien. Les Benna, eux, ont quitté la ville. « Mes parents sont repartis en Tunisie un an après l’accident. Rester là, c’était trop dur », explique Adel. Lundi, son père fera le déplacement à Rennes, afin d’entendre les policiers. Pas sa mère. « C’est trop fort pour elle, elle ne peut pas », précise Adel, qui porte le « combat » familial pour « rendre justice » aux deux adolescents.

« Ce n’étaient pas des délinquants »

« Il y a beaucoup de zones d’ombre. On veut que ça s’éclaircisse », souligne le trentenaire, qui attend avant tout des « explications » de la part des policiers. « Jusqu’à présent, on ne les a jamais entendus. Est-ce qu’ils regrettent ? On ne sait même pas », soupire-t-il. Pour Mariam Cissé, cousine de Bouna, et par ailleurs adjointe au maire de Clichy, « le procès va être un moment douloureux, car ça va faire resurgir des souvenirs ». « Mais c’est quelque chose qu’on attend depuis longtemps. C’est une manière de faire le deuil », ajoute-t-elle. Il y a autre chose que les familles attendent de l’audience : « rétablir la vérité » sur Zyed et Bouna. « Ce n’étaient pas des délinquants », insiste Adel Benna. « Ils rentraient d’un match de foot, ils avaient un ballon dans la main, pas des explosifs. » « Pourquoi les policiers leur ont-ils couru après ? Pourquoi toute cette force lors de l’intervention ? » s’interroge le trentenaire. « Les jeunes de banlieue ne sont pas tous des délinquants ou des types dangereux », rappelle-t-il.

Pour les proches de Zyed comme pour ceux de Bouna, pas question pourtant de faire le « procès de la police ». « On n’est pas contre les policiers. On a besoin d’une police, mais une police exemplaire », explique Siyakha, qui espère une « prise de conscience » lors du procès.

« Il n’y a pas d’esprit de vengeance, juste un esprit de justice. Chacun doit prendre ses responsabilités », complète Samir Mihi, de l’association Au-delà des mots, qui soutient les proches des deux adolescents. Pour les aider à se rendre à Rennes, mais aussi se loger sur place, une cagnotte a été lancée sur Internet, à l’initiative de l’association. « Si on a de l’argent en plus, ça ira dans les fonds mis de côté pour les frais de justice », explique Samir Mihi. « Dix ans de procédure, ça coûte de l’argent. »

Publié par des larbins de la maison Poulaga (Agence Faut Payer via LePoint.fr, 13 mars 2015)

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