[Montpellier] « Faire les poubelles pour subsister ou se faire condamner pour un vol alimentaire »

http://juralib.noblogs.org/files/2015/01/0311.jpgHérault : des glaneurs de poubelles au tribunal

Deux hommes et une femme ont été reconnus coupables d’avoir volé des denrées périssables à la date de consommation dépassée dans un supermarché à Frontignan (Hérault) en mai dernier. Ils ont toutefois été dispensés de peine, hier, par le tribunal correctionnel de Montpellier.

Les trois jeunes squatters qui avaient récupéré des produits alimentaires dans les poubelles d’un supermarché de Frontignan le 27 mai 2014 ont été condamnés hier pour cette infraction mais dispensés de peine.

Ce soir-là, Mike Adrien et Léa, étudiants ou intermittents du spectacle, désargentés, frigo du squat vide avaient sauté le mur de clôture pour soutirer des poubelles six sacs de denrées alimentaires dont la date de vente était dépassée du jour même mais qui restaient parfaitement consommables.

«Ce jour-là, c’était juste énorme ce qu’on avait découvert : des fraises et aussi du fromage de riche qu’on ne peut pas s’offrir, du chèvre particulièrement moelleux», explique Léa, 24 ans étudiante allemande qui garde un pénible souvenir de la garde à vue qui avait suivi l’opération récupération.

«Nous n’avons fait que récupérer des produits destinés à être détruits et abandonnés» a poursuivi Adrien, ingénieur du son, en squat et qui vit avec 300 € par mois.

Lors de ses réquisitions le parquet a argumenté sur le volet judiciaire strictement.

«Il y a eu pénétration dans un domaine privé sans autorisation. Il aurait été plus simple de demander la permission au directeur de l’établissement» a fait valoir le vice-procureur Patrick Desjardins, estimant que l’infraction de soustraction frauduleuse de denrées alimentaires avec circonstances aggravantes comme le vol en réunion était avérée, il a réclamé une condamnation assortie d’une dispense de peine.

«Dans cette affaire, il n’y a eu ni effraction, ni préjudice. Les aliments dans la poubelle n’ont plus de valeur financière, juste une valeur alimentaire et ces jeunes n’avaient pas l’argent nécessaire pour faire les courses» a plaidé Me Jean Jacques Gandini qui a réclamé la relaxe des trois, dénonçant le scandale des centaines de tonnes de marchandises jetées à la poubelle en France, la cinquième puissance mondiale.

Deux heures plus tard, les juges ont suivi les réquisitions du parquet. Ils ont confirmé l’infraction et dispensé de peine. Les militants altermondialistes présents en nombre dans la salle ont applaudi du bout des doigts avant de se féliciter de cette décision. Léa et Adrien qui continuent toujours à fouiller les poubelles pour manger ont dix jours pour faire appel. Et ainsi imposer un nouveau débat contradictoire et une mobilisation.

Le gaspillage alimentaire à l’Assemblée

L’Assemblée nationale débat demain de l’utilisation à des fins humanitaires des aliments invendus. Aucune décision ne sera prise toutefois, dans l’attente fin mars d’un rapport au gouvernement.

Dans sa version initiale, le texte déposé par le député UMP du Nord Jean-Pierre Decool proposait que les supermarchés concluent des conventions avec des associations d’aide alimentaire pour la collecte de denrées alimentaires invendues encore consommables mais aussi de faire évoluer les dates de péremption des produits.

Mais la commission des affaires économiques de l’Assemblée préfère attendre fin mars, lorsque le député PS Guillaume Garot aura remis au Premier ministre un rapport sur la lutte contre le gaspillage alimentaire. Une proposition de loi devrait être déposée dans la foulée.

Leur presse (Christian Goutorbe, LaDepeche.fr, 4 février 2015)

 

Le procès des ventres vides

Trois jeunes sont cités à comparaître ce matin pour « soustraction frauduleuse » de produits périmés dans la poubelle d’un supermarché.

Tout commence par un frigo vide, un soir de printemps. Nous sommes le 27 mai, à Montpellier. Léa, Mike et Adrien, étudiante, chômeur et technicien du spectacle, vivent de récupérations et de débrouilles. Depuis trois ans, avec d’autres, ils squattent un immeuble du centre-ville qu’ils ont rebaptisé « le Kalaj ». Pour manger, ils ont pris l’habitude de faire les poubelles des supermarchés. Un mode de consommation parallèle basé sur les tonnes de produits consommables jetés chaque jour par la grande distribution. « Les produits sont périmés de la veille ou du jour même, mais ils sont toujours bons, assure Adrien, vingt-cinq ans. Ce soir-là, il y avait plein de foie gras et de saumon, c’était une bonne pêche. On avait de quoi nourrir huit personnes pendant deux semaines. »

Léa, Mike et Adrien arrivent vers 22 h 30 à l’Intermarché de Frontignan, à une vingtaine de kilomètres de Montpellier. Ils enjambent un muret pour pénétrer à l’endroit où sont entreposés les sacs-poubelle. Une fois arrivés derrière le supermarché, ils récupèrent les sacs-poubelle remplis de victuailles. « On trie, on se sert et on nettoie derrière nous, précise Adrien. Notre objectif n’est pas de faire chier le magasin, on veut revenir. » Mais quand les trois glaneurs reviennent au camion, ils sont cueillis par la brigade anticriminalité (BAC). « La totale, se souvient Adrien. Mains en l’air, fouille au corps et du véhicule… Ils étaient persuadés qu’on avait volé dans la réserve du magasin. Quand ils ont vu que c’étaient des sacs-poubelle qui puent avec des produits périmés, ils ont compris. »

Ils risquent jusqu’à sept ans de prison et 100’000 euros d’amende

Pourtant, les trois jeunes gens sont emmenés au poste où ils écopent de douze heures de garde à vue – avec prises d’empreintes, d’ADN – et d’une citation à comparaître, le parquet ayant décidé de poursuivre. « C’est n’importe quoi ! s’emporte Adrien. La pauvreté est criminalisée et la BAC protège le profit d’une entreprise, au lieu de garantir la sécurité des citoyens. » Les trois « délinquants » doivent comparaître ce matin devant le tribunal correctionnel de Montpellier (Hérault). On leur reproche la « soustraction frauduleuse de denrées périssables avec date dépassée », délit assimilé à un vol, et aggravé ici par trois circonstances : « De nuit, en réunion et par escalade. » Ils risquent jusqu’à sept ans de prison et 100’000 euros d’amende. Ce type de procès n’est pas le premier. À Nantes, en juillet, un « zadiste » de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) avait pris trois mois de prison avec sursis et 105 heures de travail d’intérêt général (TIG) pour « vol » de denrées périmées dans les poubelles d’un Super U. « Je suis confronté à ce genre de poursuites assez régulièrement, raconte l’avocat nantais Stéphane Vallée, qui avait défendu le jeune homme. Avec les Roms dans les déchetteries, c’est exactement la même volonté de pénaliser la misère. Ça paraît incroyable que le simple fait de prendre ces denrées, destinées au camion-benne, soit considéré comme du vol. Dans le cas des zadistes, les produits “volés” leur avaient été restitués, ce qui montre la difficulté des poursuites… » Les trois Montpelliérains avaient, eux, dû verser leur butin sur le trottoir devant le commissariat, mais se sont arrangés pour en garder une partie. Avec la crise économique, les glaneurs, que filmait déjà la réalisatrice Agnès Varda en 2000, se sont multipliés. Ce système D, s’il témoigne de la pauvreté grandissante, met aussi en exergue le gaspillage alimentaire de la grande distribution. « Il y a urgence à mettre en place des mesures législatives pour régler ce problème, soutient André Chassaigne, député communiste, signataire d’une proposition de loi en juillet pour astreindre les grandes surfaces à proposer leurs invendus alimentaires à des associations caritatives. On ne peut pas, d’un côté, laisser partir à la benne des produits certes périmés mais consommables, et, de l’autre, reprocher à des gens de faire de la récupération parce qu’ils sont en grande précarité. »

Pour une dépénalisation
de la récupération

Pour dénoncer ce gâchis, le collectif les Gars’pilleurs a une démarche intéressante : ils récupèrent des produits la nuit dans les poubelles des commerces (supermarchés, boulangerie, etc.) et les redistribuent le lendemain sur la place publique. « On fait surtout ça pour que les supermarchés se bougent et redistribuent eux-mêmes les denrées, explique Léo, membre de ce 
collectif. Quand on n’aura plus à le faire nous-mêmes, on aura gagné ! » Ce glaneur espère que le procès montpelliérain mettra ce problème sur la place publique et exige, à terme, une dépénalisation de la récupération. L’avocat des trois Montpelliérains plaidera la relaxe – ou au moins la dispense de peine – en invoquant « l’état de nécessité ». « Vu leurs revenus très faibles, ils ont trouvé ce palliatif pour se nourrir », argumente Me Jean-Jacques Gandini. L’audience 
devrait être renvoyée en raison d’une journée de grève des avocats. Mais aussi parce que les prévenus réclament une collégialité de jugement, à la hauteur des années de prison en jeu…

Leur presse (Marie Barbier, Humanite.fr, 3 décembre, 2014)

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