Un samedi en enfer… (ou la mise en péril d’une jonction « intermittents-précaires », sur Alès, dans le Gard)

Intermittents – Précaires – Chômeurs – Intérimaires – CCD
Un samedi en enfer… (ou la mise en péril d’une jonction « intermittents-précaires », sur Alès, dans le Gard)

Pour une fois, on était resté maître de notre enthousiasme. On a attendu que la loi sur les accords de l’UNEDIC soient votés pour voir si l’invitation des travailleurs de la culture à les rejoindre, n’était pas que du bluff.

Pour bon nombre d’entre nous : hors de question de se refaire cocufier par des gens de « gauche » comme lors du mouvement contre la réforme des retraites !

Cette fois-ci, nous avons été d’une amabilité sans borne. Les travailleurs de la culture nous invitaient sur des assemblées générales. Il s’agissait de parler d’une résistance commune aux accords de l’UNEDIC. Nous avons respecté nos hôtes en leurs habitudes et nous les remercions de cette invitation…

Nous nous sommes rendus à leurs AG. Nous avons respecté les règles de ces AG. Nous avons fait des AG de 5 à 6h où les travailleurs de la culture ne parlaient que d’eux. Nous avons distribué leurs tracts et tenus leurs banderoles. Nous avons écouté leurs interminables palabres sur leurs « spécificités », sur les moyens et finalités d’une grève. Nous avons supporté des « artistes » aux égos démesurés. Nous avons consolé des techniciens dégoûtés des titres de journaux qui présentaient la grève comme une « grève pour de rire ».

Nous n’avons pas moufté pendant 4 jours. Nous avons obéi aux consignes. Au vu des raisons de notre présence (les accords de l’UNEDIC qui limitent considérablement les droits ASSEDICS de tout travailleur en CDD (80% des emplois en France)), nous avons tout de même suggéré de déplacer quelques spectacles dans les CAF et les Pôles Emplois. Jamais de réponse franche, du moins jusqu’au samedi 5 juillet au matin.

La veille (le vendredi 4 juillet), les travailleurs de la culture avaient voulu courir à poil sous la pluie et en ville. Nous avions pris ça pour du folklore de cultureux ayant maladivement besoin de se montrer, de se mettre en scène. Sans comprendre les raisons objectives de ce type d’exhibition, nous avions mis de côté l’intérêt pratique d’une attaque culturelle des institutions fliquant chômeurs et précaires. Peut-être avaient-ils simplement besoin de se détendre ?

http://juralib.noblogs.org/files/2014/07/Manif-Cratere-surface-web.jpg

Passons sur cet étrange vendredi et intéressons nous directement au lendemain : le samedi 5 juillet 2014.

Le samedi au matin, il y a encore eu une AG qui a duré plusieurs heures. Des « artistes » en ont appelé au « respect du public ». Le directeur du Cratère a appelé ses employés à « travailler avec conscience ». Lorsque quelqu’un proposa une énième fois d’aller jouer dans un Pôle Emploi, la proposition est resté lettre morte.

Avant cette AG, nous étions (consciemment) les petites mains de leur lutte. Après cette AG, nous avions le sentiment que nous étions les héros d’un dîner de con.

*

« Mais non… Faut pas dire ça ! Nous ne luttons pas que pour nous… » — et mon cul ? C’est du poulet ?

On lutte pour les gens avec qui nous luttons. L’idée que les travailleurs (hors de la culture) et les chômeurs doivent s’aliéner à la lutte des travailleurs de la culture pour que les travailleurs de la culture sauvent tout le monde, est non seulement tordue, mais aussi dangereuse.

Dangereuse, parce que nos « sauveurs » d’intermittents se prennent alors pour des vraies tronches. Ils se prennent pour un prolétariat éclairant de sa radieuse lumière avant-gardiste et christique toutes les pauvres merdes que nous sommes.

Merdes de chômeurs et d’intermittents du travail, qu’ils prétendent sauver en nous méprisant dans les faits de la lutte.

Christique… Tel est le seul qualificatif de la grève des techniciens de ce samedi 5 juillet. Les spectacles se faisaient comme dans une usine où la production continue. Comme dans une usine où la production continue, la pompe à fric fonctionnait et les vendeurs de frites et de limonade encaissaient. Comme dans une usine où la production continue, le directeur disait « comprendre » la lutte de ses employés, mais ceux-ci devaient travailler ou faire la grève, en « conscience ». C’est-à-dire : sans bloquer la production (sic & doigt dans le cul).

Cette grève n’a donc eu pour seul intérêt que de faire économiser des salaires de techniciens à la direction du Cratère. Techniciens sacrifiant leurs salaires pour dire « non », sauf que tout le monde se fout des « oui » et des « non », si ces « non » ne sont que des mots et non des actes. Ils se sont donc sacrifiés pour « l’honneur » — ce qui équivaut, selon nous à nib, que dalle, rien, macache, oualou.

La « grande famille de la culture » a donc repris la main sur la direction d’un mouvement social qui concerne tout le monde et que la plupart ne comprennent que comme une « grève des intermittents ». Ceci est d’ailleurs dramatique, car la conséquence directe de cette OPA sur la lutte laisse à penser que la réforme de l’UNEDIC ne concerne que les travailleurs de la culture, alors que cette réforme concerne tous les contrats de travail à durée déterminée (contrat d’intérim, CDD, contrat saisonnier, etc). Lors de cette AG de samedi, le repli corporatiste a non seulement été un crachat à la gueule des non-intermittents, mais aussi une dépossession.

Officiellement, l’Assemblée Générale était ouverte…

Officieusement, ils nous l’on mis bien profond, car bon nombre de copines et de copains se sont faits embrouillés en demandant où était l’AG par un « j’sais pas… », « vous êtes qui ? », etc.

Ce samedi, les membres de la Cellule Otto Ruhle se sont présentés au Cratère en pensant que la lutte continuait. Ils sont arrivés vers 19h… Et quelle surprise de voir un spectacle sur le parvis du Cratère ! C’était d’ailleurs nul au possible et il fallait faire la queue pour rentrer dans une caravane. Peut-être n’avons nous pas compris le concept ? — Nous ne sommes que des « précaires » après tout…

L’un de nous a été demandé aux camarades d’hier ce qui se passait. Explications balbutiantes et incompréhensibles… et réplique hurlante du membre de notre cellule. Puis, plus rien…

Les travailleurs de la culture ayant été prévenus de notre dangerosité par la flicaille (il y avait d’ailleurs pas mal de flics en civil qui étaient présents sur le parvis du Cratère) ou de notre intelligence limitée d’ouvrier par la direction du Cratère, préférèrent faire culpabiliser et menacer les quelques travailleurs de la culture qui profitèrent de nos hurlements pour dire qu’ils étaient assez d’accord avec les cons que nous sommes.

Nous avons hurlé des « traîtres », « trahisons », dans plusieurs spectacles. Dans chacun de ces spectacles, il fallait faire la queue comme au supermarché. Aucun de ces spectacles ne respectait le public : de la vraie merde ! Les sabotages spontanés d’individus et de membres de la Cellule Otto Ruhle, furent agrémentés de lancers de pétards. Ces agitations non-préparées à 2 ou 3 personnes ont permis de très intéressantes discussions avec le public qui se retrouva bien informé des quelques petits détails honteux de la lutte…

Sauf rencontre et discussion avec les camarades du Collectif Exploité-Énervés d’Alès (Chômeurs, précaires, etc.) et de la délégation du Collectif Intermittents Précaires (CIP) de Nîmes (travailleurs de la culture essentiellement), la Cellule Otto Ruhle aurait appelé à cesser toute collaboration ou jonction avec l’Assemblée ouverte des travailleurs de la culture d’Alès.

Les camarades des dits collectifs (exploités-énervés et CIP) nous ont exprimé leur dégoût et nous ont assuré de la ligne de la lutte dans laquelle nous nous étions engagés mardi et mercredi. Ils ont d’ailleurs refusé d’être associés à cette pantalonnade voulue par le Cratère, et ils ont refusé de prendre la parole devant le Saint-Public, tant la situation était honteuse et puante.

Nous saluons ces attitudes comme nous saluons les dispositions encourageantes des travailleurs de la culture de Mende et d’Avignon. Ils occupent les Pôles Emplois avec les chômeurs, ouvrent la lutte aux collectifs de retraités, font des auto-réducs dans les supermarchés avec les intérimaires : ils donnent consistance à une lutte aux enjeux globaux avec courage et efficacité.

Toutefois, et parce que nous ne tenons pas à engager des personnes dans une lutte où nous serions encore une fois instrumentalisés, nous exigeons les garanties suivantes pour les opérations à venir :

• Une multiplication des cibles opérationnelles dépassant le cadre de la « culture », en s’en prenant aux CAF, sociétés d’Intérim et aux Pôles Emplois ;

• La reformulation immédiate de la lutte, en « Lutte contre les accords de l’UNEDIC » tout en proscrivant toute référence à une corporation (chômeurs, intermittents, intérimaires, etc.) ;

• La mise en place réelle et totale d’Assemblées Populaires souveraines, ouvertes à tous et excluant toute notion de légitimité à propos du lieu (plus aucun travailleur de la culture ne doit être en légitimité contre un manutentionnaire du tertiaire sous prétexte que l’AG se déroule dans un théâtre).

Ce ne sera qu’avec la satisfaction de ces trois points que la Cellule Otto Ruhle appellera au maintiens de la lutte partout où elle est influente.

Le 6 juillet 2014, Cellule Otto Ruhle

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