Décès de mon frère Wissam : pour que l’enquête avance
Le 9 janvier 2012, mon frère Wissam est décédé suite à une interpellation par la police. Deux ans plus tard, l’enquête piétine : nous devons nous battre pour que justice soit faite.
Dans la nuit du 31 décembre 2011 au 1er janvier 2012, mon frère Wissam el-Yamni tombe dans le coma après avoir été interpellé par la police. Il meurt neuf jours plus tard. Deux ans après ce drame, notre famille cherche toujours à connaître les raisons de sa mort. Au-delà de la souffrance physique et mentale que mon frère a subie, au-delà de notre souffrance de ne plus le voir assis autour de la table à nous faire rire, nous sommes très en colère de la manière dont l’enquête et les analyses médicales sont menées et avons le sentiment que beaucoup refusent de rechercher la vérité.
Aidés par nos avocats, nous continuons à nous battre pour obtenir justice et lançons une pétition sur Internet car nous ne pouvons pas accepter ce traitement. Nous demandons des réponses aux questions qui nous semblent légitimes. Je vais tenter ici d’expliquer tous les évènements, les hypothèses qui ont été évoquées et tout ce qui donne à notre famille l’impression de vivre un mauvais film.
Les faits
Le soir du 31 décembre 2011, mon frère est arrêté, soi-disant pour avoir jeté des pierres sur un véhicule de police. Quelques dizaines de minutes plus tard, au commissariat de Clermont-Ferrand, il est allongé inconscient face contre terre dans le couloir, le pantalon baissé et sans ceinture. Que s’est-il passé entre temps ? Il arrive à l’hôpital avec le visage très marqué et de gros bleus dans le cou.
La première équipe médicale qui l’examine évoque une strangulation. Quelques heures après les faits, des témoins et des procès-verbaux mentionnent des photos prises qui devraient être jointes au dossier mais qui ont disparu. Le lendemain, l’équipe médicale prend des photos (voir pièces jointes). Plusieurs jours plus tard, la police en fait à son tour : à ce moment, les marques au visage ont déjà cicatrisées et sont beaucoup moins visibles. Le 9 janvier 2012, Wissam décède.
L’enquête de l’IGPN
Dans les jours qui suivent, l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) est censée réaliser une enquête sur cette mort suspecte, et alors que le scandale provoque des émeutes dans Clermont-Ferrand. Le récit des faits par les policiers est confus, incohérent : le procureur lui-même annonce qu’au maximum trois voitures étaient présentes sur les lieux de l’interpellation (un parking) – on apprendra plus tard qu’il y en avait une dizaine, les policiers disent que Wissam était conscient lors de son arrivée au commissariat et que, si son pantalon était baissé, c’est parce qu’il l’avait accroché à une porte lors du transport (nous n’avons aucune explication sur la disparition de sa ceinture, alors qu’on le voit avec sur une vidéo sur ces mêmes lieux !).
Surtout, ils racontent qu’ils ont utilisé la technique du « pliage » pendant le transport, c’est-à-dire qu’ils lui ont maintenu la tête entre les genoux, ce qui l’aurait empêché de respirer. Cette technique a été utilisée jusqu’en 2003 par la police de l’air et des frontières lors des opérations de reconduite à la frontière de clandestins. Elle a été interdite car elle a provoqué deux décès – mais durant des durées de transport beaucoup plus longues que celle de Wissam. C’est pourtant cette hypothèse que les agents de l’IGPN retiennent : pour eux, le décès de Wissam est dû à ce « pliage » – avant même les résultats de l’autopsie ! Nous n’avons jamais cru à ce scénario, monté de toutes pièces, et qui cherche à mettre la mort de Wissam sur le compte d’une simple erreur.
L’ouverture de l’enquête par le procureur
Le procureur de Clermont-Ferrand ouvre une information judiciaire dont le chef d’inculpation devient après la mort de Wissam « violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Il vise les deux policiers de la brigade canine qui ont procédé à l’interpellation et transporté Wissam au commissariat. Ces policiers n’ont pas la moindre égratignure, difficile de croire qu’ils ont fait preuve de la force strictement nécessaire : Wissam n’était pas un danger et plusieurs policiers affirment d’ailleurs qu’il était parfaitement calme.
Les trois juges d’instruction qui se sont depuis succédé sur ce dossier n’ont jamais pu réaliser d’enquête sérieuse. De nombreux témoins étaient présents lors de l’interpellation, et même dans le commissariat, et leur version diverge de celle des policiers. Pourtant, ils n’ont jamais été interrogés par la justice, malgré la demande expresse de nos avocats. De même, ils ont toujours pas examiné les vidéos des caméras de surveillance du commissariat ou écouter les communications radio entre les véhicules de police, et notamment celles des deux voitures sur lesquelles se portent les soupçons. Cette enquête n’est jamais allée plus loin que les conclusions arrangeantes de l’IGPN.
La première autopsie et l’hypothèse du pliage
Une première autopsie est réalisée le 11 janvier 2012. Le médecin légiste n’a pas le rapport médical de l’hôpital et ne prend pas en compte la cicatrisation des blessures. Wissam est autopsié comme s’il venait de mourir. Les différentes fractures à l’arcade et aux côtes, en voie de cicatrisation lors du coma, ne sont pas relevées.
Finalement, le médecin valide l’hypothèse de l’IGPN – qu’il a rencontrée et qui lui a donné une fausse version des faits. Les marques au cou ne seraient que des marques de frottement de vêtements : comment expliquer de tels bleus par de simples frottements ? De même, pour lui, le décès de Wissam est dû au pliage.
Il explique qu’il est mort d’« une compression des artères carotides internes, à l’origine d’un ralentissement de la circulation sanguine et de la perte de connaissance » et que cette compression résulterait d’une structure particulière des os de la tête, « des os temporaux en avant des conduits auditifs, excroissances […] qui sont particulièrement longues ». Mon frère était un grand sportif avec un cœur solide. Comment aurait-il pu mourir d’avoir eu la tête entre les genoux quatre à cinq minutes ? Et quel est le rapport entre une compression du cou et un pliage ? Aucun. Cette hypothèse sera reprise par le procureur pour écarter la suspicion d’une mort d’origine traumatique, une version largement diffusée par la presse.
Le corps non-conservé rend impossible toute expertise antérieure
Nous demandons immédiatement une contre-autopsie. Mais la justice refuse et souhaite d’abord faire une expertise. Pendant ce temps, rien n’est fait en parallèle pour que l’enquête avance, comme s’il fallait la faire durer pour mieux l’enterrer. C’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui.
Autre problème : pendant six mois, le corps de Wissam n’est pas placé en chambre froide et aucune mesure n’est prise pour le conserver. Du fait de la décomposition, la contre-autopsie du second médecin légiste ne peut se baser que sur le dossier médical. Nous enterrons enfin mon frère en juin 2012, soit six mois après son décès.
L’ « expertise » et la thèse du « cocktail toxique de drogues »
À notre grande surprise, l’expertise est réalisée par le même médecin légiste que la première autopsie, comme s’il fallait lui donner un moyen de « se rattraper » avant la contre-autopsie. Pourquoi lui donner l’opportunité de faire une expertise de sa propre autopsie, qui devrait elle-même être une expertise ?
Le médecin revient alors sur son hypothèse du « pliage » et soutient cette fois que Wissam est mort à cause d’un « cocktail de drogues ». Or, les quantités de drogues retrouvées sont en faibles quantités et ne sont pas létales, même en cas de mélange.
La contre autopsie de juin 2012 à avril 2013
La deuxième autopsie est quant à elle réalisée par un médecin de Poitiers, d’où vient justement le procureur de Clermont-Ferrand. Les résultats devaient nous être transmis en septembre 2012, ce qui est déjà anormalement long, mais ils sont repoussés pendant presqu’un an, jusqu’en avril 2013.
Encore une fois, plusieurs éléments de cette seconde autopsie sont critiquables. Tout d’abord, le médecin a accès aux premières conclusions, ce qui peut influencer son appréciation. De plus, l’expertise cardiologique est réalisée par un expert en médecine générale (pourtant, la cour d’appel de Poitiers a bien un expert cardiologue enregistré). Si c’est bien une radiologue qui analyse les blessures, cette dernière n’est en revanche pas inscrite sur la liste des experts de la Cour et elle n’utilise que les radios réalisées plusieurs jours après le drame – alors qu’elle a les plus récentes.
Le problème des photos
Des photos ont été prises par la police le 1er janvier 2012 mais elles n’ont jamais été versées au dossier. À l’origine, seules y figuraient des photos prises plusieurs jours plus tard, alors que les marques avaient largement cicatrisées. Or, ces photos ont été présentées comme étant celles du 1er janvier. Lorsque nous les avons vues, nous les avons immédiatement contestées, ayant nous-même, ainsi que l’hôpital, pris des photos les 2 et 3 janvier sur lesquelles les marques sont beaucoup plus visibles.
En novembre 2012, la chambre d’instruction a ordonné une datation des photos dans le dossier ce qui, à ce jour, n’a toujours pas été fait.
Une nouvelle contre-expertise en cours
En juin 2013, nous faisons une nouvelle demande d’expertise, menée par de véritables experts. Faute de réponse, nos avocats saisissent la chambre d’instruction en novembre 2013. Un jour avant qu’elle ne se prononce, le 14 janvier 2014, le juge d’instruction désigne enfin un collège d’experts
On nous dit que cette expertise aura lieu dans les cinq mois, ce qui est anormal. De plus, il est clair qu’elle n’aura aucune valeur si elle se base encore une fois sur les mauvaises photos. Mais le procureur dit à la presse que la justice est déterminée à rechercher la vérité. Nous avons encore espoir en la justice mais nous espérons que cette expertise ne débouchera pas sur une énième fuite sur les raisons de la mort de Wissam. La justice va-t-elle enfin faire preuve de transparence ?
Nous nous battons parce qu’on ne peut pas accepter de supprimer la vie de Wissam comme on écraserait un insecte. Wissam était très aimé, il n’était pas un insecte. Nous nous battons aussi pour vous, vos amis, vos enfants, pour qu’ils soient en toutes circonstances protégés des autres et d’eux-mêmes. Si vous les aimez, si vous vous aimez, il est de votre devoir comme du nôtre d’agir pour bâtir une société juste, fraternelle. On est tous Wissam.
Farid EL-YAMNI – maveritesur.com, 26 février 2014
Mort après avoir été interpellé : bataille d’expertises médicales
Deux ans après la mort de Wissam El Yamni, tombé dans le coma suite à son interpellation le 1er janvier 2012, la justice s’enlise dans les rapports médicaux.
Il y a deux ans, Wissam El Yamni, chauffeur-routier clermontois de 30 ans, décédait après neuf jours de coma au CHU de Clermont-Ferrand, où il avait été conduit inanimé par les policiers après une interpellation houleuse la nuit du 1er janvier 2012. Le jeune homme était manifestement comateux dès son arrivée au commissariat où les policiers l’avaient déposé dans un couloir face contre terre, menotté et le pantalon abaissé.
Depuis, trois juges d’instruction se sont succédé sur le dossier. Aucun d’eux n’a entendu les deux policiers de la brigade canine, visés nommément par le réquisitoire introductif. Et pas davantage les témoins, malgré les demandes répétées des avocats de la famille de Wissam El Yamni. Mais le 15 avril 2013, le procureur de la République de Clermont-Ferrand, Pierre Sennès, s’était empressé de convoquer une conférence de presse pour annoncer les résultats d’une expertise, arrivée à peine trois jours plus tôt sur le bureau du juge d’instruction. « Nous n’avions même pas encore eu connaissance du rapport », s’étrangle Me Jean-Louis Borie, un des deux avocats de la famille El Yamni. La raison de cet empressement ? Ce dernier rapport écarte toute responsabilité policière dans l’arrêt cardiaque du jeune homme, causé selon l’expert par « une action toxique aiguë de la cocaïne » associée à l’alcool et à une autre molécule (pseudoéphédrine). Le taux de cocaïne (4 ng/ml) relevé est très en deçà du seuil minimal de détection utilisé pour le dépistage routier (50 ng/ml). Mais selon l’expert, médecin légiste au CHU de Poitiers, même à ces concentrations, « cette situation créait un risque important et connu de troubles de la conduction cardiaque (attestés par un allongement du QT) ». Dans cette bataille d’expertises médicales, chaque détail compte : le juge d’instruction avait fait appel à un expert de la cour d’appel de Poitiers, ville où exerçait auparavant le procureur de la République de Clermont-Ferrand. Une coïncidence que les avocats de la famille trouvent « un peu curieuse ».
Dans son premier rapport de synthèse, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), chargée de l’enquête, avait d’abord envisagé la piste d’une mort consécutive à une « compression des artères carotides internes » lors du transport de Wissam El Yamni après son interpellation. Elle mettait en cause la technique policière du « pliage » consistant à maintenir la tête appuyée sur les genoux pour contenir une personne agitée. Une hypothèse exclue par l’expert de Poitiers, de même que celle d’une strangulation, avancée par la famille au vu des ecchymoses sur le cou du jeune homme et de la disparition de la ceinture qu’il portait ce soir-là. Lors de son admission aux urgences dans la nuit du 1er janvier 2012, le dossier médical mentionne des « traces de strangulation au niveau de la région cervicale ». La dernière expertise requalifie ces traces de simple « frottement par les vêtements » ou « frottement appuyé sur une surface »… Quant à la « fracture du nez et de l’orbite gauche » révélée par le premier scanner, il s’agit selon l’expertise de « lésions osseuses anciennes, très antérieures aux événements » au caractère « bénin », du type de celles causées par un coup de poing.
Sceptiques, les avocats de la famille ont fait appel au chef du service de cardiologie du CHU de Clermont-Ferrand, qui dément ces conclusions. Dans son rapport du 29 juillet 2013, le professeur estime que les anomalies relevées à l’hôpital sur l’électrocardiogramme du jeune homme (allongement du QT) n’étaient pas liées à la prise de cocaïne, mais au fait que le patient était alors maintenu en hypothermie par le personnel soignant pour éviter des dommages neurologiques. « Soit l’expert de Poitiers est incompétent, soit il est très malhonnête, affirme Me Jean-François Canis. Les électrocardiogrammes étaient forcément anormaux, puisque Wissam était sous sédation. Et on a essayé de nous faire croire qu’on pouvait en tirer des conclusions sur la cause de sa mort. » La famille a donc demandé une contre-expertise sur laquelle la chambre de l’instruction devrait trancher dans les prochaines semaines, selon Me Jean-Louis Borie.
Autre curiosité, l’expertise de Poitiers s’appuie principalement sur les photos prises lors de l’autopsie du 11 janvier 2012, soit après neuf jours de coma artificiel. « Ce qui a laissé le temps aux blessures de cicatriser », note Farid El Yamni, 27 ans, le frère de Wissam. La famille s’est pourtant battue pour que soient versées au dossier neuf photos réalisées par le CHU de Clermont-Ferrand le 1er ou le 2 janvier 2012, sur lesquelles les ecchymoses au visage et les marques rouges au niveau du cou sont bien plus visibles. Ce sont deux de ces photos que nous publions aujourd’hui, à la demande de Farid El Yamni. « Nous aurions préféré ne pas avoir à les montrer, mais puisque les experts et le procureur racontent n’importe quoi… », regrette le jeune ingénieur.
C’est le chef du service anesthésie et réanimation du CHU de Clermont-Ferrand qui avait finalement dû remettre lui-même ces neuf photos à la justice le 13 juin 2012, plus de six mois après la mort de Wissam El Yamni. « Les médecins nous ont dit que lorsque la police des polices était passée récupérer le dossier médical, les enquêteurs n’avaient pas tout pris et avaient laissé ces photos », s’étonne Farid El Yamni. Qui s’interroge également : « Pourquoi l’expert a-t-il utilisé les photos du 11 janvier alors qu’il avait celles du 2 janvier ? Parce qu’elles montrent des éléments plus compromettants ?»
En attendant, l’information judiciaire pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique » (un crime passible des assises) semble encalminée. Jean-Christophe Riboulet, le doyen des juges d’instruction de Clermont-Ferrand, en charge du dossier, a quitté ses fonctions fin août 2013 sans être remplacé. À charge pour les trois juges d’instruction restants de reprendre les 85 affaires de son cabinet. « En pratique, elles ne pourront pas être instruites, regrettait Jean-Christophe Riboulet peu avant son départ. Seules les urgences vont être traitées. Comme les dossiers des personnes détenues, par exemple. Matériellement, on ne peut pas faire autrement. » C’est la juge d’instruction Véronique Drahi qui a hérité de l’enquête sur la mort de Wissam El Yamni. « J’espère que la juge va reprendre le dossier en main, et mener a minima l’audition des policiers », indique Me Jean-Louis Borie, qui craint que l’affaire ne s’éteigne sous les rapports médicaux. Le Défenseur des droits, qui s’était autosaisi du dossier, n’a lui non plus toujours pas entendu les policiers. Il devrait rendre sa décision au premier semestre 2014.
Leur presse (Mediapart, 31 décembre 2013)
la vidéo de nabil ennasri n´était pas nécéssaire, ce proche de farida belghoul (la femme des sms anti-gender-studies, elle même proche de la mouvance égalité et réconciliation) est l´un des intervenants du site islamotion.tv, un nouveau courant islamo-nationaliste, citoyen et pro-france, anti gender, anti mariage-gay, appellant au retour au sacré et aux valeurs patriarchales traditionnelles… bon, je doute que le bonhomme ait sa place sur le jura libertaire, a moins qu´ici aussi, on tente la convergence…