Weld 15 : Récit d’un procès qui tourne mal
Deux ans de prison de ferme pour sa chanson « Boulicia Kleb » (les policiers sont des chiens), le rappeur Weld 15 est désormais en prison. La sévérité de sa peine a suscité une indignation parmi ses soutiens et des violences policières devant le tribunal ont clôturé la fin du procès.
Vers 10h30, Weld 15 a le sourire aux lèvres dans le café Chichkhan juste à côté du tribunal. Le jeune Alaa Eddine Yacoubi est depuis presque trois mois en cavale pour sa chanson et son clip Boulicia Kleb. Aujourd’hui, entouré de ses amis rappeurs Emino, Madou MC, Klay BBJ, Lil’ K et de son comité de soutien, il se rend librement à la justice. Sabrine Klibi, la figurante arrêtée quelques mois plus tôt et les autres rappeurs crédités à la fin du clip, qui avaient bénéficié d’un non-lieu, sont tous là pour soutenir leur ami. Le sourire tantôt spontané, tantôt un peu forcé, Weld 15, rasé de près et chemise marron bien repassée, semble aussi un peu angoissé :
« J’ai voulu me rendre librement à la justice. On a travaillé en équipe avec mes avocats et mon comité de soutien car les chefs d’inculpation ne sont pas réellement fondés et je pense que j’ai une chance de m’en sortir. »
Un manque de confiance en la justice
Mais sous son assurance, il confie à demi-mot qu’il n’a « toujours pas confiance en la justice ». Il avait prononcé exactement la même phrase au téléphone quelques mois plus tôt alors que ses camarades passaient devant le tribunal. Les chefs d’inculpation ne sont pas rassurants. Les articles, 120, 121 : complot formé pour violences sur un fonctionnaire et appel à la rébellion, 125 et 128 : outrage à un fonctionnaire, 226 ainsi que 226 bis : outrage public à la pudeur ; sont retenus contre lui. Selon le rappeur, son procès est un « test » pour la loi tunisienne mais aussi pour la liberté d’expression. À ses côtés, le journaliste Thameur Mekki qui préside son comité de soutien n’est pas non plus rassuré :
« Nous voulions qu’il se présente à la justice et qu’il assume ce qu’il a fait afin de trouver une issue légale à tout ça. Il y a eu plusieurs vices de procédures dans le dossier qui peuvent laisser espérer une sortie à l’amiable. Mais pour ce qui est de la liberté d’expression, les différentes affaires depuis quelques mois donnent plutôt un message inquiétant. Il y a un climat de répression. Aujourd’hui, la justice a l’occasion de donner un signal fort avec ce procès en évitant de tomber dans le même piège que pour les autres affaires. On verra bien. »
Changement de juge à “la dernière minute”
Plus loin, à l’écart du brouhaha du café, se tient dans sa robe noire, Maître Ghazi Mrabet, l’avocat de Weld15. Immobile, il fume calmement sa cigarette mais a le regard soucieux : « Ils ont changé le juge qui devait s’occuper de l’affaire lundi. Soit-disant, il devait partir en congé. On se retrouve avec un nouveau juge que l’on ne connaît pas, ça ne présage rien de bon » déclare-t-il. L’avocat reste pourtant sûr de sa défense. « Les chefs d’inculpation ne tiennent pas la route. L’article sur la base duquel mon client est jugé à propos de l’outrage à un fonctionnaire n’est pas forcément plausible dans son cas puisqu’il a tenu ses propos via une vidéo artistique et non pas face à un policier, en l’insultant directement. »
Mais il reste prudent, pour lui, tous les scénarios sont possibles et il attend depuis 9 heures du matin d’entrer dans la salle d’audience afin de plaider la cause du rappeur. Ce n’est que vers 13h00, que le rappeur, sa sœur, sa petite amie, quelques artistes et des journalistes accèdent enfin à la salle d’audience du tribunal de Ben Arous. Weld 15 est assis sur les bancs de l’audience. Caché derrière ses avocats, il attend son tour alors que le juge Laarbi Khemiri traite d’autres affaires.
Le procès de la liberté d’expression
Quand son nom est appelé, Weld 15 part se tenir debout face au juge, donne sa version des faits, puis ses avocats prennent la parole. La défense se basera surtout sur la question de la liberté d’expression. Maître Ghazi Mrabet fait allusion aux autres rappeurs de la révolution qui avaient été arrêtés pour leurs propos sous Ben Ali, comme le célèbre El Général. Il demande au juge s’il connaît ce rappeur, ce dernier acquiesce, soulagement de l’avocat, sourires dans l’audience. Et pourtant, le procès est loin d’être fini. Les autres avocats plaident en faisant valoir que le rappeur n’a pas voulu viser certains policiers en particulier mais une institution policière en général qui opère les mêmes pratiques que sous Ben Ali. Or, argumentent-t-ils, il n’y a pas d’article dans le code pénal qui condamnerait « l’atteinte morale à l’institution policière » contrairement au code de justice militaire, donc, selon les avocats, la plainte n’a pas lieu d’être. Un autre tente de mettre en valeur le rôle contestataire des rappeurs dans la révolution. Il montre le fait que ce genre de vidéos, postées sur des sites de partage, soient leur seule ressource pour se faire connaître en tant qu’artistes ne pouvant pas produire de disques ni être diffusés sur les radios à grande écoute.
Dans la salle, la tension est palpable surtout que les policiers entrent un par un discrètement et se font de plus en plus nombreux. Alors que le procès semble toucher à sa fin, le juge demande au jeune rappeur s’il a une carte professionnelle, lui reconnaissant son statut d’artiste. Son avocat répond directement que ce n’est pas le cas, ce genre de carte étant fournie par le Ministère de la Culture. Le rap n’est pas reconnu en Tunisie comme faisant partie de la culture institutionnelle, les rappeurs ne bénéficient donc pas de cartes ni de subventions de l’État. Après une délibération d’une dizaine de minutes, le juge se lève et son verdict tombe comme un couperet : « Deux ans de prison ferme ». Le rappeur a bénéficié d’un non lieu pour les articles 120 et 121 mais il est condamné sur la base des quatre autres. Les policiers se précipitent sur Weld 15 qui disparaît pour être incarcéré aussitôt.
Violences et brutalité policière
Dans la salle, c’est la stupeur et l’indignation. La sœur de Weld 15 s’effondre tandis que la journaliste Hind Meddeb, fille du célèbre islamologue Abdel Waheb Meddeb, commence à crier sur les policiers. On nous presse vers la sortie, on nous pousse. La jeune journaliste finit par lancer en arabe d’une voix hystérique « Les policiers sont bien tous des chiens » et là, c’est la ruée. Les policiers nous empoignent et nous poussent violemment vers la sortie, n’hésitant pas à taper bien fort s’il le faut. À l’entrée du tribunal, la confusion règne et les soutiens de Weld 15 commencent à se révolter. En tentant de sortir à l’extérieur, la fumée d’un gaz nous surprend et tandis que dehors, certains toussent et vomissent, nous attendons à l’intérieur que le calme se rétablisse.
Cet épisode de violences n’est pourtant pas terminé. Dehors, le comité de soutien ne se résout pas au verdict. Les avocats crient à une décision « illégale » tandis que Thameur Mekki se révolte contre une justice sans mercis qui rappelle durement les années de la dictature. En haut des marches, les policiers les interpellent et veulent les inciter à partir. Quand tout à coup, ils commencent à courser certains rappeurs et journalistes en dehors du tribunal. L’un de nos collègues à Nawaat, Emine Mtraoui se fait tabasser alors que l’on tente de lui enlever sa caméra tandis que deux membres du comité de soutien se font arrêter. L’un d’eux est ramené brutalement vers le tribunal, les policiers n’hésitent pas à le brutaliser, aux yeux de tous.
Le procès Weld 15 se termine ainsi. Ses avocats ont l’intention de faire appel dès le lendemain même s’ils ne croient plus trop en ce qu’il venait défendre : la liberté d’expression. « Boulicia Kleb » entend-t-on dans la bouche de quelques rappeurs encore sur place qui viennent d’avoir selon eux, la confirmation en direct de ce que dénonçait Weld 15 dans sa chanson.
Lilia Blaise – Nawaat, 13 juin 2013