[ZAD partout / Avignon] « La terre, c’est le nerf de la guerre »

À Avignon, la possibilité d’une ZAD

Mené par un agriculteur à la chevelure grisonnante juché sur son tracteur, le cortège du collectif LEOpart est jeune et bariolé, en ce samedi humide de fin avril. Cheveux rouges, dreadlocks ébouriffées, foulards noirs remontés sur le nez, entre 200 et 300 personnes ont défilé dans les rues d’Avignon au rythme d’une petite batucada, un ensemble de percussions, en croquant des noix et en refaisant le monde. Partie du vieux centre de la cité des papes, la manifestation s’est enfoncée dans la périphérie avignonnaise, où les barres d’immeubles laissent peu à peu la place aux haies d’aubépines, aux prés, aux serres maraîchères.

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Menés par un tracteur rouge, les opposants à la liaison Est-Ouest partent défricher et replanter un champ.

C’est ici, au beau milieu de la ceinture verte qui borde la ville, que doit être construite la liaison Est-Ouest (LEO), une quatre-voies qui fait la jonction entre les autoroutes A7, en direction de Marseille, et A9, vers Barcelone. Son ambition, affirment ses promoteurs, est de désengorger la ville et sa rocade, asphyxiées par les camions. Mais sur les plans, son tracé dessine une large rayure sur la zone d’agriculture périurbaine qui persiste ici, entre des lotissements et une voie de TGV. C’est sur l’emplacement de cette future autoroute, sur un terrain appartenant à la SNCF, que les manifestants terminent leur marche, pour organiser un camp.

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Le projet de LEO, présenté par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.

« On a envie que ce soit le début de quelque chose », lance Nicolas, du réseau européen Reclaim the Fields (« Reprenons les champs »), venu soutenir les locaux qui militent contre la LEO. Ce quelque chose est encore flou. Mais, alors que le campement se monte, le premier atelier auquel s’attèlent les militants est la plantation d’un champ de patates – prélude d’un squat agricole en gestation. Sur la ceinture verte, une maison, au moins, est déjà squattée par quelques jeunes, point de ralliement pour organiser la défense à plus long terme de la cinquantaine d’hectares de terres menacées. Et deux semaines plus tard, l’occupation se poursuit : après une première assemblée générale du mouvement ce samedi 11 mai, les militants s’attaqueront dimanche à une journée de « chantier collectif » pour consolider, en dur, leur installation.

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La ceinture verte est une zone au sud d’Avignon qui a été jusque là remarquablement préservée de l’urbanisation.

« ON EST TOUS DES MANGEURS »

Si la plupart des « LEOpart » sont de nouveaux venus, débarqués à l’occasion de cette « manif-occupation », ils viennent se greffer à une bataille que des associations locales mènent depuis des mois, voire des années, contre la disparition programmée de cet îlot d’agriculture périurbaine. À l’origine de cette convergence, un échange avec le Collectif pour la défense des terres agricoles, fondé il y a un an par des habitants d’Avignon et des agriculteurs de la ceinture verte. Parmi eux, Hélène, installée en maraîchage bio sur ces terres, distribuait en vente directe des paniers de légumes à quelque 110 familles du coin. Elle a dû déménager son exploitation, ses propriétaires ayant vendu leur terrain menacé par la LEO.

Au fil des années, les friches agricoles se sont multipliées sur la ceinture verte d’Avignon, soumise à la pression foncière et à l’incertitude qui pèse sur son avenir. « Les agriculteurs n’allaient pas investir alors qu’ils risquaient l’expropriation », explique Hélène. « C’est aussi une bonne façon pour les pouvoirs publics de vider une zone, pour ensuite venir construire une route en arguant qu’elle est délaissée et peu attractive, alors que ce sont justement eux qui ont gelé son activité en faisant peser un projet d’aménagement pendant plusieurs décennies », analyse Mathieu, également membre du Collectif pour la défense des terres agricoles.

Le jeune homme habite dans la ville d’Avignon et, même s’il n’a pas grand chose à voir avec le monde agricole, il se « sent concerné » par cette mobilisation, d’abord pour préserver « la vocation nourricière de la ceinture verte ». « Parce qu’on est tous des mangeurs, et qu’il faut retrouver le lien à la terre et se réapproprier notre alimentation », croit-il. Aussi parce qu’il ne croit plus, à l’inverse, au bétonnage, « au règne du tout-voiture et à l’idéal de la vitesse ».

« ZAD PARTOUT »

Ces problématiques plus globales ont pu former un terreau propice à la rencontre entre ces militants du coin et ces jeunes venus d’ailleurs, qui rechignent un peu à expliquer d’où ils affluent ainsi. Force est de constater, néanmoins, que le mistral qui souffle sur la ceinture verte d’Avignon a des parfums de Notre-Dame-des-Landes. La débrouillardise et le « Do It Yourself » qui règnent dans le bocage nantais ont indubitablement donné des idées, et de l’expérience, à certains.

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Après la manifestation de fin avril, le campement accueille une yourte dortoir et un hectare de terres s’apprête à être remis en culture.

En quelques heures, et malgré la bruine fraîche, une yourte est ainsi montée pour faire office d’infirmerie, aux côtés d’un « point-info », d’un bar en bois, d’un chapiteau pour la cantine, d’un autre pour la fête – animé le soir-même par un concert punk, de toilettes sèches… Des ateliers pour fabriquer un poulailler collectif et une ruche sont prévus, certains partent en quête de plantes sauvages comestibles. Une caravane-bergerie est installée dans un champ adjacent, libérant quelques chèvres qui grignotent les ronces et aident ainsi au défrichage de la zone.

Si l’idée n’est pas de « faire un copier-collé » de Notre-Dame-des-Landes, selon Nicolas, la référence à la lutte contre l’aéroport breton est bel et bien omniprésente. À commencer par les pancartes de la manifestation : « Sème ta ZAD – occuper, cultiver, résister », ou « ZAD partout ». L’acronyme est devenu le mot d’ordre qui fédère des dizaines de comités locaux de soutien à la lutte « contre l’aéroport et son monde », qui ont germé dans toute la France.

Plus révélatrices encore que ces signes, les aspirations des personnes venues défendre la ceinture verte avignonnaise résonnent avec celles de Notre-Dame-des-Landes : refuser un aménagement du territoire vécu comme absurde et autoritaire, s’opposer à la logique de la rentabilité financière, afficher des valeurs comme la liberté, l’autonomie et la nature, concevoir de nouveaux outils de lutte qui privilégient la pratique agricole et l’implantation sur le terrain plutôt que les arguments juridiques et administratifs.

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« Sème ta ZAD », la référence à Notre-Dame-des-Landes, baptisée « zone à défendre », est bien présente.

Comme à Notre-Dame-des-Landes encore, les occupants voient, derrière les enjeux locaux d’un projet comme la LEO, un sens plus global, un système refusé en bloc, quelles que soient les affinités – écologistes, anticapitalistes, anarchistes ou autres – de chacun. Enfin, beaucoup semblent aussi venir pour vivre quelque chose de plus indicible, de l’ordre de l’expérience et du partage d’une ébullition collective. Quelque chose qu’ils ont du mal à expliquer aux journalistes, ou peut-être pas envie. À l’entrée du camp, il leur est d’ailleurs demandé de poser calepins et appareils photo. Comme si ce qui s’y vivait ne pouvait pas sortir de là sans être dénaturé.

Presse contre-nature (Angela Bolis et Antonin Sabot, LeMonde.fr, 10 mai 2013)

 

Reclaim the Fields, sans terre et sans label

Parmi les nombreux collectifs, associations et individus venus constituer le groupe LEOpart et ayant lancé le squat agricole qui s’organise petit à petit dans la « ceinture verte » d’Avignon se trouve le réseau Reclaim the Fields. Après avoir participé, entre autres, à la ferme du Sabot à Notre-Dame-des-Landes, à un camp de soutien à la lutte de paysans contre une mine d’or en Roumanie, ou à des squats de terres et à des jardins collectifs à Dijon, le réseau s’est tout naturellement retrouvé impliqué dans la lutte autour de la liaison Est-Ouest (LEO) à Avignon.

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À Avignon, Reclaim the fields et le collectif LeoPart ont organisé la plantation d’un champ de pommes de terre en protestation contre le passage prévu d’une route dans une zone d’agriculture péri-urbaine.

Sur un coin de table, en compagnie d’autres membres du réseau, Nicolas tente de résumer la philosophie d’un mouvement qui se veut plus une « constellation » qu’une association hiérarchisée et monolithique. Comme dans bien des groupes qui se retrouvent dans ce type d’actions, les frontières du réseau ne sont pas nettes et les liens se font par porosité d’un groupe à l’autre.

Venir ici, « ça pose quelque chose de concret et ça peut modifier l’attachement à la terre », explique Nicolas. Lui-même formé en agronomie, il a appris les aspects les plus concrets du maraîchage « dans des luttes comme celle-ci ». Les membres de Reclaim the Fields, comme ceux du collectif LEOpart, aimeraient que des gens reviennent cultiver les terres mises en friches sur le tracé de la LEO.

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Au cœur des actions de Reclaim the Fields, l’idée de la réappropriation des terres est essentielle.

« La terre, c’est le nerf de la guerre », affirment ces jeunes agriculteurs, inspirés par les paysans sans terre sud-américains. Dans tous les combats ou projets que mène le réseau, l’idée de la réappropriation de cette ressource est essentielle. « Parce que ça touche à l’autonomie, expliquent-ils. D’abord, il s’agit de pouvoir se nourrir. Et puis d’acquérir des savoir-faire sans passer par le parcours institutionnel. »

La remise en cause, ou du moins le court-circuitage des institutions traditionnelles du milieu agricole, est aussi une constante. Ils les jugent trop hiérarchisées et patriarcales. Chez eux, les femmes tiennent d’ailleurs une bonne place, et les réflexions sur les questions de genre sont aussi à propos que celles sur les techniques maraîchères.

Aussi attachés soient-ils à l’idée de construire une nouvelle « économie collective », les membres de Reclaim the Fields préviennent : « On ne balaie pas tout ce qui se fait par ailleurs. » Dans toutes leurs luttes, ils disent tenter de discuter avec les agriculteurs plus conventionnels. « Les pratiques de solidarité paysanne, d’échange, de respect de la nature, on ne les a pas inventées, elles existent ailleurs », dit une jeune femme. « On ne veut pas rester dans un entre-soi stérile », jurent-ils. Leur idée, c’est plutôt d’amener des discussions, de nouvelles manières de voir. Ne pas imposer de label, donc.

Presse contre-nature (Antonin Sabot, LeMonde.fr, 10 mai 2013)

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