Le changement, est-ce pour maintenant ?
Nous avons appris, de source généralement bien informée, qu’un certain nombre de mesures fortes étaient en préparation au ministère de l’Intérieur. Tout d’abord, reprenant une initiative avortée de Pierre Joxe, en 1988, les policiers seraient désarmés en dehors des opérations ponctuelles visant le grand banditisme ou la lutte anti-terroriste. Par ailleurs, serait sérieusement à l’étude la suppression des flash-ball et des pistolets à impulsion électrique Taser, armes dites non-létales, mais finalement jugées dangereuses. Enfin et c’est sans doute la plus grande avancée promise par Manuel Valls, qui veut limiter la répression brutale : les BAC (Brigades anti-criminalité), trop souvent à l’origine de bavures, vont être supprimées et les policiers les constituant renvoyés à la circulation, avec en main un simple bâton lumineux. Soyons sérieux. Seuls des esprits malades pourraient imaginer de telles avancées. Le 1er mai est peut-être une journée de luttes ouvrières, mais ce n’est quand même pas le 1er avril…
Roms, dehors !
Depuis le 31 mars 2013, les expulsions de campements de Roms ont repris sur une grande échelle – avec cœur et humanité, sans doute, disait Jean-Louis Debré lorsqu’il présidait à l’évacuation des sans papiers de l’église Saint-Bernard où ils se réfugiaient, en août 1996. En fait, malgré la trêve hivernale prolongée, les expulsions n’ont jamais cessé. C’est ainsi qu’au cours du premier trimestre 2013, environ 4.000 Roms, répartis sur 28 terrains, ont été priés d’aller voir ailleurs pour constater que Manuel Valls n’y était pas. L’injustice morale de ces opérations, conduites par les forces de l’ordre est telle, révélait Le Monde, daté du 8 avril, que le préfet du Rhône avait été condamné, le 4 avril 2013, par le tribunal administratif, à héberger dix familles après leur expulsion. Une photo publiée par Le Monde, ce même jour, montrait, à l’évidence, la détresse des familles expulsées, la veille, d’un campement situé à Ris-Orangis. Selon un recensement récent, il y aurait en France plus de 19.000 Roms, répartis dans 459 terrains. La plupart étant originaires de Roumanie et de Bulgarie. Il est bien évident que ces opérations d’expulsion ne peuvent qu’exacerber la xénophobie des riverains peu portés à la solidarité. D’autant plus, que, dans la plupart des cas, les expulsions sont réalisées sans solution de relogement.
Mal être policier
Entre le 1er et le 4 avril 2013, trois policiers de la région parisienne, dont un capitaine affecté à la direction de sécurité de l’agglomération, ont mis fin à leurs jours avec leur arme de service. C’est un phénomène récurrent dans la police de ce pays. Après un pic de 71 suicides, en 1996, ce sont environ 50 cas par an qui frappent le monde policier. Bien sûr, il y a désormais des cellules psychologiques mais les raisons de cette autodestruction sont multiples. Ne serait-ce que la qualité des ordres donnés, tout comme la culture du résultat mis en place par la hiérarchie, au temps de Claude Guéant et Nicolas Sarkozy. Ces méthodes de l’administration policière ne semblent pas avoir été remises en cause depuis l’arrivée de Manuel Valls, au ministère de l’Intérieur.
Plus ça change
Le 21 avril 21012, Amine Bentounsi était abattu d’une balle dans le dos par un policier. Le 26 avril suivant, le flingueur ayant été mis en examen pour « homicide volontaire », une centaine de véhicules de police, gyrophares allumés, bloquaient es Champs-Élysées, pour soutenir leur collègue. Suite à cette manifestation, et comme pour justifier la colère des petites casquettes, Nicolas Sarkozy avait suggéré la nouvelle notion de « présomption de légitime défense ». Face à la morgue policière, sourdement soutenue en haut lieu, la sœur de la victime, Amal Bentounsi, ne pouvait manquer de réagir sur son blog « urgence-notre-police-assassine », où elle attaque : « Si on laisse passer une balle dans le dos, c’est qu’il n’y a pas de justice en France ! » Ce qui lui valait une plainte de Manuel Valls pour « diffamation envers une institution représentant l’ordre public ». Plainte suivie d’une convocation devant la police le 21 février 2013. Depuis, la procédure scandaleuse suit son cours. C’est pourquoi une pétition était lancée, en mars 2013, pour exiger le retrait de la plainte du ministère de l’Intérieur, et l’abandon des poursuites contre Amal Bentounsi. Il est encore possible d’envoyer des signatures de soutien.
Cette quasi impunité des exactions policières ne peut que produire des effets pervers. Ainsi, le 28 mars 2013, à Montigny-en-Gohelle (Pas-de-Calais), un homme d’une trentaine d’années était abattu à son domicile, après son interpellation par des policiers. Ce dangereux « individu » était recherché pour avoir tenté d’extorquer de l’argent à la gérante d’un hôtel. Selon les policiers, qui étaient au nombre de trois pour cette opération l’homme se serait jeté sur eux avec une paire de ciseaux en main ; d’où la nécessité de tirer sur lui en le blessant mortellement. Il est vrai qu’en école de police et, plus généralement dans les stands d’entraînement au tir, les cibles ne comportent que la tête et le tronc – d’où la difficulté d’apprendre à tirer dans les jambes. Est-il nécessaire de préciser que dans les bavures évoquées ici, les victimes sont originaires de pays du sud ?
« Présomption de légitime défense »
Il paraît que nous avons changé de régime. Un ministre de l’Intérieur présumé socialiste ayant remplacé depuis un an un proche de Nicolas Sarkozy. Tandis que quelques têtes tombaient au sommet de la hiérarchie policière. Pourtant, les mœurs habituels des petites casquettes sont restées les mêmes, tandis que la Justice trouve toujours mille raisons pour se comporter avec indulgence envers les serviteurs de l’ordre public qui ont failli. Tout comme par un passé récent, les juges prennent pour argent comptant les déclarations des fonctionnaires assermentés. Lesquels la main sur le cœur, jurent leurs grands dieux qu’ils étaient en situation de légitime défense. Il est vrai qu’au temps où il était encore président, Nicolas Sarkozy avait imaginé, comme nous l’avons rappelé plus haut, la « présomption de légitime défense ».
Si l’impunité policière était monnaie courante, jusqu’en avril 2012, il semble que rien n’aurait changé depuis. Comme si l’institution judiciaire tremblait toujours autant devant la police. En effet, sans défaillir, les juges trouvent toujours mille raisons aux policiers flingueurs qui « défouraillent » sans motif. Le Monde daté du 29 mars 2013, revenait sur trois grosses bavures de ces dernières années, dans une enquête titrée : « Violences policières : la justice prononce trois non-lieux successifs ». Le quotidien du soir rappelait une triste habitude française de non-lieux pour les policiers auteurs de graves dérives, pourtant dénoncées à maintes reprises par les organisations de défense des droits de l’homme. Qu’importe : en ce mois de mars 2013, la cour d’appel de Versailles confirmait trois ordonnances de non-lieux. Décisions justifiées par les « divergences entre experts ». Sans entrer dans les détails (nous avons déjà relaté ces « faits divers » dans nos bulletins précédents), notons une nouvelle fois que, dans un cas, la famille de la victime avait porté plainte pour « torture et actes de barbarie ayant causé la mort. » Dans un autre cas, un homme arrosé de gaz subissait ensuite 17 tirs de pistolet à impulsion électrique (Taser) dont certains à bout portant. Une troisième victime perdant la vie suite à une interpellation suivie de la technique du « pliage », geste prohibé, bien qu’enseigné en école de police. Mis à part de Défenseur des droits,, qui s’est fait entendre en ces occasions, nul n’a vu réagir Manuel Valls qui en ces circonstances, s’est déclaré « respectueux » des décisions de justice.
Enchères infernales
C’est une information brutale dans sa froideur. Le 5 avril 2013, la direction de l’hôtel des ventes Drouot décidait de retirer des enchères une tenue de déporté politique des camps nazis. Vous savez l’un de ces tristement célèbres pyjamas rayés que portaient les victimes des bourreaux nazis. Quelque soixante dix ans plus tard, le salaud, l’imbécile ou l’inconscient, avait proposé une mise à prix de 400 euros pour cette horrible défroque dont le porteur devait se contenter pour supporter le froid intense, durant les heures d’appel en plein hiver. Qui a pu avoir l’idée de se livrer à cette minable spéculation ? Il est vrai que, dès l’annonce de cette mise en vente, de nombreux appels indignés provoquaient l’annulation de la vente. En fait, il est possible de se poser cette question essentielle : comment a-t-il pu se trouver un commissaire-priseur qui, sans vergogne, se serait appliqué à faire monter les enchères ? Les organisateurs, tout comme celui qui n’avait pas hésité à faire cet appel d’offre, peuvent être comparés à de tristes complices de ces SS qui, au comble de la mégalomanie meurtrière, sélectionnaient les déportés tatoués pour récupérer leur peau, les faire tanner afin de confectionner des abat-jour. Imaginons le brave commissaire-priseur éructer : « …400 euros à gauche, qui dit 450 euros ?… J’ai 500 euros au téléphone… 600 euros devant moi. Qui dit mieux pour cette pièce, sinon unique du moins de plus en plus rare ? Cela vaut beaucoup plus ! C’est un document témoin de la barbarie nazie… »
Qui a dit que la police de ce pays pourrait être complice d’une telle stupidité ? Ce qui est certain, c’est qu’il s’était trouvé un vendeur, tout comme de possibles acquéreurs dans notre pays, terre de liberté. Avec la certitude de réaliser une belle affaire car, avec le temps, ces oripeaux de la barbarie pouvaient prendre de la valeur. Imaginez un instant la préfecture de police mettant en vente les quelques étoiles jaunes récupérées dans les archives du Commissariat général aux affaires juives. Cela ferait un beau scandale. Toujours est-il que le triste individu, possesseur de la tenue, tant recherchée par quelques collectionneurs indécents, ne se vantera pas de sa petite cupidité.
La France n’a pas le monopole des violences policières.
Il ne faudrait surtout pas imaginer que la police française soit la seule parmi les pays qualifiés de démocratiques, à compter des éléments n’ayant rien de particulièrement humanistes. Trop souvent, les Droits de l’homme sont piétinés. Comme s’il était naturel de laisser libre court aux bas instincts d’un certain nombre de gardiens de l’ordre public – comme on dit. Bien entendu, une fois encore, il ne s’agit que d’une minorité de policiers se livrant à des actes violents, et parfois même contre nature. L’exemple qui suit, relaté dans Libération daté du 16 mars 2013, est plutôt rare. Il n’empêche, les policiers auteurs d’une abominable séance de violences en réunion portaient fièrement l’uniforme des forces de l’ordre du royaume de Belgique. Quelques précisions sur un exploit conduit par des individus à face humaine :
« Ils sont six, casqués, carapaçonnés et armés de matraques, à se presser dans une cellule de 3,50 mètres carrés. Ce sont des hommes de l’unité spéciale en soutien de la police d’Anvers. Il s immobilisent au sol un homme nu, déjà KO (suivent) une grenade assourdissante, des coups de boucliers et de matraques. Brusquement, de cette massa grouillante qui, littéralement, recouvre l’homme, surgit un poing qui s’abat à cinq reprises. Du sang gicle. Un médecin entre dans la cellule et administre un calmant au détenu. Mais il est déjà mort : hémorragie interne provoquée par la rupture d’une veine abdominale et par lacération du foie – une plaie de dix centimètres. Tout cela s’est déroulé en moins de deux minutes. »
Cette exaction policière a eu lieu dans la banlieue d’Anvers, le 6 janvier 2010 mais elle ne sera révélée qu’à la fin du mois de février 2013 grâce à la diffusion d’une vidéo filmée par une caméra de surveillance. Aucun des policiers impliqués n’a encore été suspendu, à part le meurtrier présumé qui devrait être renvoyé devant la justice, mais le procès n’est semble-t-il pas pour demain. Le quotidien francophone, Le Soir, qui paraît à Bruxelles, note que les plaintes pour violences policières sont en hausse constante, en Belgique : de 2.409 en 2009, elles sont passées à 2.688 en 2011. Lorsque, dans le même temps, le nombre d’arrêts de travail de policiers, suite à une agression, était en chute constante mais, bon an mal an, moins de dix policiers avaient été condamnés pour leur dérive.
Fait divers ordinaire ?
Le 10 avril, un policier et deux informaticiens de la préfecture du Nord, soupçonnés d’avoir aidé un réseau international de cambriolage en leur fournissant des informations utiles à leur activité, étaient mis en examen puis placés sous contrôle judiciaire. Selon le parquet, le ripou et ses deux complices ont « reconnu partiellement les faits ». Le verre à moitié vide comprenant peut-être le verre à moitié plein. C’est Libération, daté du 11 avril, qui nous révélait cette nouvelle fripouillerie qui ne fait que confirmer les trop fréquentes incursions de policiers dans les dossiers de recherche, tout comme dans le fichier STIC, lorsqu’il s’agit d’informer un chef d’entreprise ami, par exemple, sur la « moralité » d’un cadre en voie d’embauche…
Les prolongements de l’affaire Merah
Le 20 mars 2012, à Toulouse, Mohamed Merah, jeune terroriste salafiste était exécuté, bien plus qu’abattu, par les policiers du RAID qui le pistaient depuis longtemps et l’avaient « logé », comme on dit en jargon policier. Il était possible, semble-t-il, de le capturer avant qu’il ne passe à l’acte, mais les fins limiers de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) ont toujours besoin de mettre à leur actif ce fameux flagrant délit qui fait la gloire des « grands flics ». Et puis les têtes pensantes de ce service ne croyaient pas vraiment à la dangerosité du garçon. Plus d’une année s’est passée, et les soupçons portés sur la DCRI, alors dirigée par un affidé de Nicolas Sarkozy, commencent à prendre corps. On apprenait en effet, le 12 avril 2013, que le patron du RAID, qui était chargé de l’élimination de Mohamed Merah, avait été « remercié » et muté à l’IGN (Inspection générale des services –plus connu sous le nom de cimetière des éléphants). Aussitôt, les bonnes âmes de l’ancien régime dénonçaient la « chasse aux sorcières » frappant les grands serviteurs de l’État.
Ce qui importe maintenant, c’est que soient dévoilés les tenants et les aboutissants d’une possible manipulation policière. Il faudrait qu’enfin les citoyens soient informés de la nature des calculs malfaisants de certaines autorités policières pouvant conduire à des drames tels que ceux perpétrés à Montauban et à Toulouse, en mars 2012, avec sept victimes qu’il serait possible de porter au débit de certains services de police. Le silence entourant certains aspects de la mort de Mohamed Merah pourrait laisser entendre – nous l’avions déjà suggéré – que le futur criminel aurait peut-être fait l’objet d’une tentative de recrutement par des agents de la DCRI. L’opération ayant échoué, il ne restait plus comme solution qu’à se débarrasser de celui qui aurait pu « passer à table » et en dire plus que certains ne l’auraient supporté.