CITOYENNISME ET INSURRECTION
Sur la pertinence des voies citoyennes pour lutter contre les prisons
Entre la prison et son extérieur, il n’y a qu’un mur
L’horreur ordinaire et quotidienne au sein des prisons de tous types n’est plus à démontrer. Nous ne savons que trop bien qu’il y règne une atmosphère de terreur, de haine et de frustration. Faire la liste des tortures psychiques ou physiques que l’État inflige régulièrement à tous et toutes les « indésirables » nous ferait pénétrer dans une routine morbide qu’il est temps de briser. Ce qu’on oublie en revanche, c’est que la prison n’est que la concentration et l’expérimentation de méthodes de contrôle, de surveillance et de soumission que l’on retrouve à l’extérieur : la ville-prison. Au travers des caméras, des contrôles de police, du fichage institutionnel (ONEM, CPAS, Banques, ADN et empreintes digitales…), des politiques d’urbanisme, de la promotion du « bon citoyen »… s’exprime une réelle volonté de gérer la population pour s’assurer qu’elle ne quitte pas le droit chemin. Droit chemin balisé par ceux et celles qui ne souhaitent pas perdre leur pouvoir et leurs privilèges. Tout est pire que dehors en prison, et pourtant tout est tellement pareil. Une réflexion sur la prison qui ne critique pas le monde qui la produit est une réflexion amputée.
Qui sont ces gens que l’on enferme ?
Violeu.se.r.s, braqueu.se.r.s, voleu.se.r.s, meurtri.ère.er.s, sans-papiers, révolté.e.s… Une erreur commune est de considérer que derrière chaque personne enfermée, il existe un cas individuel auquel apporter une solution individuelle. Un.e tell.e sera violent.e, psychopathe, perturbé.e, asocial.e, prédisposé.e à la délinquance etc. Sans tomber dans un discours victimisateur et déresponsabilisant, nous sommes en partie le produit du monde dans lequel nous vivons. Ce monde qui prône la richesse, la réussite individuelle par la compétition, réduit les corps à des objets publicitaires, porte la guerre et l’exploitation dans certains pays pour assurer la prospérité d’autres territoires, et dont le mécanisme même ne peut que laisser des milliers de gens sur le carreau. Ce même monde qui feint l’indignation lorsqu’après avoir créé les conditions de la misère (affective, sociale, sexuelle, intellectuelle), certaines personnes vont chercher les moyens de leur satisfaction là où ils se trouvent, ou ceux de lutter contre ce qui les oppresse. Ce qu’elles ont toutes en commun, c’est de mettre en danger la stabilité de ce système socio-économique qu’est le capitalisme. Capitalisme dont l’État est le premier défenseur, son rôle principal étant de le faire accepter par la population ou, le cas échéant, de l’y contraindre.
Lutter contre l’État tout en lui serrant la main ?
Il paraît donc paradoxal d’attendre de l’État qu’il fasse quoi que ce soit qui aille à l’encontre des intérêts économiques qu’il défend et de la paix sociale qu’il met en place. Cependant, pour éviter les écueils de la dictature, l’État a dû au cours de son développement consentir à créer des espaces bien délimités qui permettent l’expression de la contestation tout en restant gérables. C’est pourquoi il martelle que les seuls moyens de s’exprimer sont ceux-là mêmes qui ne peuvent en aucun cas mettre en péril les fondements du système politique : voter, manifester pacifiquement, faire circuler des pétitions, monter associations et syndicats… en résumé : participer activement à la démocratie. Agir dans ces cadres hyper réglementés apparaît donc comme étant une perte d’énergie, en plus d’un aveuglement incroyable quant aux échecs répétés de ces méthodes de « lutte ». Comment imaginer changer quoi que ce soit par les actes précités alors qu’au sein des taules, les détenu.e.s doivent se mutiner avec violence pour obtenir la simple possibilité de prendre une douche ? Retirer les œillères du légalisme, c’est élargir son champ de vision aux multiples gestes subversifs du quotidien.
Comment s’aimer et se soutenir par-delà les barreaux ?
D’un point de vue strictement éthique, nous ne pouvons que refuser un quelconque dialogue avec les tortionnaires qui chaque jour, poussent des dizaines de gens au suicide (aussi bien dedans que dehors), quand ils et elles ne les passent tout simplement pas à tabac ou les droguent. On ne saurait plus vraiment dire si l’attitude pacifiste des syndicats et organisations politiques, a pour but de soutenir les gens enfermés ou de faire leur propre promotion en s’assurant que tout reste bien en place, car c’est cette attitude qui par sa passivité même contribue à la continuité de la violence d’État. Dedans comme dehors, c’est de liberté saccagée qu’il s’agit, et cette liberté à arracher ne saurait s’accommoder de moyens qui portent en leur sein les conditions de sa négation. Quitter les sentiers battus de la contestation spectaculaire n’est pas une simple question d’efficacité, mais bien d’adéquation entre les fins que nous visons et les moyens que nous utilisons. La question de la violence n’est rien d’autre qu’une question d’État, c’est-à-dire une façon d’en conserver son monopole tout en faisant oublier que chaque jour, il distille une dose de haine et de sadisme qu’on ne saurait ni voudrait jamais égaler.
Ce qu’il faut à l’heure actuelle, c’est une propagation de la révolte qui existe déjà à l’intérieur des geôles comme à l’extérieur. Des milliers de gestes et d’habitudes à transformer pour en finir avec un monde qui enferme, tue et mutile. Nous ne parlons pas de battre le pavé avec l’accord du bourgmestre, mais de les saisir et de leur trouver une autre utilité. Nous ne saurions établir le contact avec les prisonniers et prisonnières selon le calendrier de l’administration, nous préférons organiser des parloirs sauvages près des cours de promenade. Bien sur, ce ne sont que des propositions, libre à chacun.e de laisser vagabonder son imagination…
Ceci dit, rappelons-nous que nous parlions déjà plus haut de la ville-prison…
Ne pas s’arrêter en si bon chemin
Savoir faire le lien entre la construction d’un nouveau centre commercial et la construction d’une nouvelle prison, entre une voiture qui crâme et le suicide d’un.e prisonni.è.er.e, entre l’installation de nouvelles caméras et l’aménagement d’ailes de haute sécurité revient à arrêter de vouloir segmenter les luttes et à s’interroger sur l’aspect totalitaire du système capitaliste. Il est nécessaire de s’attaquer à la prison comme il est nécessaire de saper les fondements de la ville-prison, la première n’étant que le pendant répressif de la seconde.
« Pour que l’odeur de la poudre brise le silence de la paix sociale »
Pour aller plus loin…
Parce qu’on aime bien que les gens s’informent et réfléchissent par eux-mêmes, voici quelques pistes qu’il est intéressant de suivre.
Brochures (trouvables sur infokiosques.net) : L’impasse citoyenniste • Militantisme, stade suprême de l’aliénation • Notre planète est une prison • Paroles de retenus depuis la prison pour étrangers de Vincennes • Se battre contre l’isolement, c’est se battre contre la prison • Paroles de FIES • Comme un chien enragé • Pourquoi faudrait-il punir ? • Lavomatic – lave ton linge en public
Journaux : L’Envolée • La Cavale • Mauvaises intentions
Livres : Huye, hombre, huye de Xosé Tarrio Gonzalez • Fractures d’une vie de Charlie Bauer • Surveiller et punir de Michel Foucault • À couteaux tirés avec l’existant, ses défenseurs et ses faux critiques • Brique par brique se battre contre la prison et son monde • La joie armée de Alfredo M. Bonanno
Films : QHS et rébellion : un court métrage contre la prison • Illégal de Olivier Masset-Depasse • Celda 211 de Daniel Monzón
Une petite remarque concernant la mise en page. Le tract « Citoyennisme et insurrection » a été diffusé pour pointer du doigt la logique et les méthodes de ceux et celles qui ont organisé la manifestation. Il s’agissait d’attaquer leurs positions et de remettre en question leur façon de « lutter ». Si ça pouvait juste être précisé, qu’on ne pense pas que les deux tracts (« Citoyennisme et Insurrection » et « Vottem camp de la honte ») ont été diffusés par les mêmes organismes ou personnes, le premier n’ayant absolument rien à voir avec ces horreurs que sont le PSL, le COMAC, le PTB, la FGTB ou autres parasites des luttes sociales, qui ont organisé la manifestation.