La conquête du pain, un enjeu d’actualité !

Révolutionnaires nous aspirons à une société garantissant l’épanouissement de toutes et tous. La satisfaction de nos besoins fondamentaux étant indispensable à cet objectif nous nous devons d’évaluer ce qu’il en est en l’état de la société capitaliste, ainsi que les luttes à porter pour augmenter le rapport de force en notre faveur et favoriser l’émergence du communisme libertaire.

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On a faim !

Les médias bourgeois s’émerveillent régulièrement des progrès toujours plus grands que nous offre à voir la société capitaliste. Pourtant, l’économie capitaliste, soit-disant source de progrès par le développement des forces productives qu’elle engendre, laisse encore aujourd’hui 870 millions de personnes en situation de sous-alimentation chronique soit 12 % de la population mondiale.

Bien que nous n’ayons plus connu de situation de sous-alimentation de masse depuis la seconde guerre mondiale dans les pays occidentaux, l’alimentation reste une préoccupation majeure pour beaucoup d’entre nous. Pour 78 % des Français·e·s, le prix reste le premier critère d’achat [Sondage TNS Soffres pour l’Ania 2008] d’un produit alimentaire malgré des préoccupations fortes sur la qualité sanitaire des produits notamment avec les crises sanitaires régulières. L’alimentation représente le premier poste de dépense, soit plus de 20 % du budget des familles des classes populaires. Ce n’est pas pour s’acheter du caviar puisque 80 % de notre budget alimentaire est utilisé pour acheter des produits de base [Insee, 2006].

En France, pays comprenant de nombreux·euses riches, plus de la moitié des pauvres — c’est-à-dire vivant avec moins de 900 euros par mois — ont une alimentation gravement déséquilibrée [Programme National Nutrition Santé : la situation nutritionnelle en France en 2007]. En effet une calorie de chips coûte 5 fois moins cher qu’une calorie de fruit (pourtant bas de gamme). Quand le budget est serré, le choix est vite fait.

On produit ce qu’il faut !

Aujourd’hui, nous sommes 7 milliards de personnes à vivre ce qui correspond à un besoin alimentaire global de 12 × 10 exposant 15 calories [Calculé avec un besoin calorique journalier de 2703 cal pour un homme et de 2010 cal pour une femme, source]. Or lorsque l’on agglomère la production mondiale des 20 produits agricoles principaux, on voit que les travailleur·euse·s de la terre produisent annuellement 14 × 10 exposant 15 calories [Chiffre obtenu avec les volumes de production mondiale donné par la FAO pour l’année 2010 et la valeur calorique des aliments donné par le site les-calories.com]. Lorsque l’on détaille avec les besoins en protéines, lipides, glucides et vitamines, on arrive à la même conclusion : les travailleur·euse·s du monde produisent en quantité et en diversité de quoi satisfaire les besoins de l’humanité.

A contrario des propagandistes du Capital, nous affirmons que loin d’assurer le progrès, l’économie capitaliste conduit à un état de fait absurde, nous produisons un surplus alimentaire et plus de 10 % de la population mondiale a faim !

Le pain, une spéculation refuge pour le Capital

Si du côté des travailleur·euse·s de la terre, la vie n’est pas rose [Lire IAL n° 90, La condition misérable de l’agriculture], il n’en va pas de même pour les magnats de l’agroalimentaire et les latifundaires.

Jusqu’en 2008, les secteurs économiques privilégiés pour la spéculation étaient le BTP (bâtiment-travaux publics) et les nouvelles technologies. L’éclatement de la bulle financière en 2008 a réorienté une partie des investissements capitalistes vers des secteurs dits refuges comme la production agricole. En effet, l’alimentation correspond à un besoin fondamental que nous sommes prêts à acheter à n’importe quel prix. Quels que soient les aléas économiques, la demande va rester à peu près stable assurant des bénéfices tout aussi stables au boursicoteur ou à la boursicotrice qui achète du blé.

Témoin symbolique de l’accentuation de la pression du capital sur le secteur alimentaire, on a vu apparaître des entreprises d’investissement en vaches laitières avec des garanties de dividendes à 5 % du capital et une relation avec les éleveurs de type métayage puisque ce sont les investisseurs qui décident du devenir des veaux de « leurs » vaches. Plus connu, l’État chinois réalise de vastes achats de terres agricoles comme ressource majeure [L’État chinois et les capitalistes chinois achète principalement en Asie du sud-est et sur le continent africain] dans l’échiquier politico-économique mondial à l’instar du pétrole.

Comme la demande est stable, une faible variation de l’offre engendre une forte variation des prix. Comme pour les logements locatifs [2 millions de logements seraient vides pour maintenir un prix élevé des loyers, voir les nombreux articles dans les IAL précédents à ce sujet], une situation de  pénurie chronique entretient des prix élevés à la consommation faisant le bonheur des capitalistes et le malheur des travailleur·euse·s.

Pour ce qui est des produits transformés, il faut ajouter à la captation de plus-value par la spéculation sur les matières premières, celle réalisée par les actionnaires des usines de transformation. Nestlé réalise 5,1 milliards d’euros de bénéfice net en 2002, Danone 911 millions d’euros en 2012, Lactalis 1 milliard d’euros…

Une économie agricole volatile, source de famine

Cet accroissement de la pression du capital sur l’économie agricole est une des sources majeures de la volatilité des prix, source de famines.

En effet, la mise en concurrence de toutes les structures productives agricoles a eu pour effet de spécialiser les secteurs d’export des différents pays ou sous-régions. On retrouve pour finir quelques pays dont la production représente une part importante des volumes échangés. Par exemple sur le marché du lait en poudre, la Nouvelle-Zélande (4,3 millions d’habitant·e·s et une superficie de la moitié de la France) assure près de 40 % des exportations mondiales [Pour les céréales c’est essentiellement les USA et l’Australie. Pour la viande de poulet, le marché est dominé par le Brésil…].

Donc il suffit d’un aléa climatique, une épidémie, bref, d’un incident qui fasse chuter la production dans un des pays très exportateurs pour que le prix mondial varie fortement, compte tenu de l’élasticité des marchés agricoles. Comme les boursicoteur·trice·s connaissent les caractéristiques de ce type de marché à court terme, il·elle·s vont spéculer rapidement à la hausse en cas de chute prévisionnelle de la production d’un pays exportateur majeur. Cette spéculation à un effet levier qui amplifie rapidement la hausse des cours liée à un accident de production sur des marchés structurellement volatiles.

Pour être clair, les capitalistes maximisent leurs gains lors d’une petite situation de pénurie (très relative car le volume de céréales stockées représente le quart de la production annuelle) en profitant du besoin inconditionnel de la population à s’alimenter.

Vers de nouvelles émeutes de la faim ?

Les émeutes de la faim de 2008 ont eu lieu avec un prix du blé qui avait doublé en un an et les autres céréales de base qui avaient largement augmenté. À l’origine de cette flambée des prix, il y a une sécheresse en Australie (récolte 40 % inférieure à la moyenne) et des inondations aux USA en 2007. On a eu deux pays « faiseurs de prix » sur le marché du blé qui ont des exportations faibles, avec une démultiplication de l’incidence sur les prix par un forte spéculation à la hausse.

Cette année la récolte de blé a été bonne en France et en Amérique du Nord mais elle a été catastrophique en Ukraine et en Australie, victime une nouvelle fois de la sécheresse. On a assisté à un phénomène spéculatif à l’automne qui s’est un peu estompé entraînant une augmentation de 30 % des cours du blé. On peut craindre que pour le printemps prochain les prix flambent de nouveau si la campagne 2013 se passe mal avec le retour d’émeutes massives dans les pays où nos camarades sont très pauvres.

À plus long terme, la tendance des prix agricoles à la consommation est largement à la hausse pour la décennie à venir, entre 15 % et 40 % en valeur réelle (pondérée par l’inflation) pour 2019 [Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2010-2019, p. 16]. Le réchauffement climatique engendre une augmentation des accidents climatiques, sécheresse ou inondation. Le contexte de concurrence mondialisée entraîne encore une spécialisation toujours plus grande des zones de production et l’abandon des surfaces de maigre potentiel productif. La demande alimentaire va augmenter de pair avec l’augmentation de la démographie.

Sur la décennie à venir, on voit que les éléments structurels d’une forte volatilité des prix ainsi que leur maintien à des niveaux de plus en plus hauts vont s’accentuer. On peut craindre que nos camarades africain·e·s et asiatiques ne doivent encore se battre pour échapper aux famines auxquelles les condamne l’économie capitaliste.

Au regard des perspectives pour la décennie, il est peu probable que la famine refasse surface en Europe de l’Ouest. Néanmoins, la situation économique de beaucoup d’entre nous va se durcir si les prix alimentaires augmentent de 20 % d’autant que les plans de rigueur que l’on nous impose ont sacrement tendance à nous vider le portefeuille. Les Restos du cœur ne risquent pas de désemplir avec de telles perspectives !

Se battre contre les accapareur·e·s de grains

Si l’alimentation reste une préoccupation importante malgré l’état d’abondance effective dans lequel nous sommes, c’est parce qu’il est dans l’intérêt de la classe capitaliste qu’il en soit ainsi pour maximiser ses profits.

Si notre situation alimentaire se dégrade, c’est parce que notre force collective s’est affaiblie. Les capitalistes pompent le Travail sur deux tableaux : sur la production, principalement par le biais des fermages et des institutions bancaires, et sur la consommation, par la spéculation sur les matières premières et les dividendes des entreprises agroalimentaires et de distribution.

L’enjeu pour le camp du travail est de développer des luttes revendicatives pour obtenir rapidement un allègement de la pression du capital sur la production et la distribution des produits alimentaires. Obtenir un accès inaliénable pour toutes et tous à une alimentation diversifiée, encadrer les prix à l’achat et à la vente des produits alimentaires, socialiser les stocks de grains… sont des pistes de revendications immédiates que nous pouvons porter dans nos luttes contre le poids du capital sur nos vies.

Parallèlement, nous allons avoir besoin de construire des solidarités immédiates dans nos quartiers et nos villages pour que les plus fragiles d’entre nous ne se retrouvent pas dans une trop grande précarité. Le développement de cantines populaires régulières est une piste possible pour éviter le désœuvrement des camarades pauvres et en situation d’isolement.

Socialisons la terre et les produits qui en sont issus !

Pour l’alimentation comme pour le reste de nos vies, le capitalisme structure des situations sociales dramatiques. Puisque les intérêts de la classe capitaliste sont structurellement divergents de ceux de la grande majorité, nous pensons qu’il faut détruire le capitalisme et construire une économie collectiviste dont le fondement serait la satisfaction des besoins.

La révolution espagnole en 1936, a montré qu’une production agricole et une distribution des produits collectivisée était non seulement juste mais très efficace. Bien que le contexte productif soit largement différent notamment par le niveau d’industrialisation de l’agriculture, le communisme libertaire reste pour nous la seule option pour organiser l’agriculture comme le reste de la société.

Nous produisons un volume alimentaire suffisant pour nourrir l’humanité, mais les dégradations des terres par une intensification, par les engrais, par un travail mécanique excessif… sont très importantes et en train de s’accentuer. Le communisme libertaire permettrait d’abord de remettre en culture des territoires en déprise, car moyennement productifs, et aussi de diminuer la pression sur les grandes plaines céréalières. La collectivisation de la production maximiserait les intégrations entre les différentes productions limitant le besoin en intrants…, permettrait de s’organiser collectivement face aux dégradations écologiques qui nous menacent dans un avenir relativement proche.

Organisé·e·s collectivement et sans propriété, nous pourrions choisir des assolements plus rationnels, des intégrations entre cultures et élevages plus justes, une meilleure mutualisation des outils, assurer correctement les pics de travail saisonnier par une solidarité structurelle entre travailleur·euse·s [Je livre ici un témoignage personnel. Ouvrier agricole, j’ai vu de nombreux hectares productifs laissés à l’abandon, vécu des galères que l’on aurait évitées facilement à plusieurs ou avec un outil plus adapté, des outils coûteux sous-utilisés alors que des voisin·e·s en auraient besoin… Pour qui veut y prêter attention, le cloisonnement par la propriété privée entraîne un gâchis monumental sans pour autant que les hommes et les femmes qui travaillent la terre soient de mauvaise intention.].

Si la révolution sociale est l’espoir d’un monde meilleur, elle devient chaque jour plus urgente pour les travailleur·euse·s de la terre comme pour celles et ceux qui consomment les produits agricoles.

Johann, liaison Jura

Infos et analyses libertaires n° 94, février-mars-avril 2013 – trimestriel de la Coordination des groupes anarchistes

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