Les farines animales plus rentables pour l’aquaculture
À partir de juin, les farines animales seront à nouveau autorisées pour nourrir les poissons. Une mesure censée soulager la filière aquacole, notamment en réduisant ses coûts de production.
Pour Guillaume Garot, le ministre délégué chargé de l’Agroalimentaire, le feu vert de Bruxelles au retour des farines animales pour nourrir les poissons « tombe mal », en plein scandale sur la viande de cheval. Pour la filière aquacole, en revanche, cette mesure est plutôt une bonne nouvelle. La réintroduction des protéines animales transformées (PAT), effective au 1er juin, est censée lui permettre de réduire le coût de l’alimentation des poissons d’élevage, qui est principalement à base de farines et huiles de poissons et matières premières végétales depuis l’interdiction des farines animales après la crise de la « vache folle ».
La pisciculture française consomme environ 50.000 tonnes d’aliments concentrés, selon le Conseil national de l’alimentation (CNA), qui a publié un rapport sur l’utilisation des PAT l’an dernier. Cette alimentation a subi de plein fouet l’«augmentation structurelle» des prix des matières premières, déplore le Comité interprofessionnel des produits de l’aquaculture (CIPA), cité dans ce rapport. D’après ses calculs, l’utilisation de PAT de porc ou de volaille à hauteur de 7 à 15% dans la formulation des aliments destinés aux poissons d’élevage pourrait représenter une économie, par exemple dans le cas de la truite, comprise entre 1,5 et 5% du coût de production total.
Les PAT ont aussi l’avantage d’être très riches en protéines, un critère sur lequel les céréales ne peuvent rivaliser. Cette alternative est d’autant plus nécessaire, selon les éleveurs, que la pêche est toujours plus encadrée et que les petits poissons utilisés pour nourrir les élevages se raréfient. La filière se reporte donc en masse sur les farines et huiles de poissons, ce qui fait grimper leurs prix. Un cercle vicieux auquel Bruxelles entend apporter une solution en autorisant à nouveau les protéines animales. Cela « améliorera la durabilité à long terme du secteur de l’aquaculture », a fait valoir la Commission européenne jeudi.
« Sens politique d’une huître »
Pour faire passer sa mesure, à laquelle la France s’était d’ailleurs opposée, la Commission insiste autant sur ses bénéfices économiques que sur ses garanties sanitaires. « Elle est conforme aux avis scientifiques les plus récents selon lesquels le risque de transmission d’ESB entre animaux non-ruminants est négligeable », précise Bruxelles. Des arguments qui ne convainquent pas la délégation socialiste française au Parlement européen, échaudée par l’affaire de la viande de cheval. « Faut il avoir le sens politique d’une huitre pour abimer ainsi la perception que se font de l’Europe les citoyens ? Nous demandons à la Commission de revenir immédiatement sur cette décision », déclare la députée Isabelle Thomas dans un communiqué. Face à ce tollé, le CIPA assure ce vendredi que « les décisions qui seront prises par la filière ne se feront que sur la base d’un consensus sociétal et uniquement avec des garanties de traçabilité totale de ces PAT ».
Dans le sillage du scandale de la viande chevaline, c’est justement la traçabilité qui inquiète les associations de consommateurs. « Il faut que, sur les étals des poissonniers, les produits d’élevage nourris aux farines animales soient signalés comme tels, avec un étiquetage clair », revendique Thierry Damien, président de Familles Rurales. « Le consommateur doit pouvoir faire son choix en connaissance de cause. » D’autres contestent l’intérêt économique de la mesure. « Ces protéines animales sont très utilisées sur le marché de l’alimentation pour animaux, à un prix déjà élevé », souligne Olivier Andrault, chargé de mission alimentation chez UFC-Que Choisir. Selon lui, « la demande supplémentaire issue de la filière aquacole devrait encore faire grimper les prix ». Autre bémol : « Si les éleveurs parviennent à faire baisser leurs coûts de production, on peut s’attendre à ce que les négociations avec leurs débouchés soient plus difficiles. » L’industrie agroalimentaire et la grande distribution, en effet, chercheront aussi à augmenter leurs marges.
Encore faudra-t-il que ces enseignes achètent des produits fabriqués à base de PAT… Bon nombre de distributeurs — que ce soient pour leurs marques propres (MDD) ou pour les produits vendus sous les labels « Agriculture biologique » ou « Label rouge » — excluent encore de leurs cahiers les quelques matières premières animales autorisées par la réglementation.
Presse cannibale (Isabelle de Foucaud, 15-16 février 2013)
UE : le retour des farines animales sème le trouble
Les farines de porc et de poisson pourront nourrir les poissons d’élevage en Europe dès le 1er juin. Cette annonce faite par Bruxelles, jeudi 14 février, alors que le scandale de la viande de cheval vendue comme de la viande de bœuf s’étend en Europe, a provoqué de vives réactions. La nouvelle ne pouvait pas tomber plus mal pour les promoteurs du retour des farines animales dans les élevages européens.
Publiée au Journal officiel de l’Union européenne cette semaine, la décision d’autoriser les farines de porc et de poulet pour l’élevage des poissons n’est pas nouvelle. Elle a été prise le 18 juillet 2012 par les représentants des Vingt-Sept, sur proposition de la Commission européenne. Trois États, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, s’y étaient opposés pour des raisons d’ordre politico-éthiques.
L’utilisation des farines animales pour les ruminants avait été interdite en 1997 en raison des risques de contamination par l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la « maladie de la vache folle ». L’interdiction avait été étendue en 2001 aux aliments destinés à tous les animaux de consommation, dont les poissons.
ÉVITER LE CANNIBALISME
Les instances européennes, Commission en tête, ont considéré que l’interdiction totale en place depuis plus de dix ans était disproportionnée, au regard des risques encourus. « Le risque de transmission de l’ESB entre des non-ruminants est négligeable, dans la mesure où le cannibalisme est évité », fait-on savoir à Bruxelles. Les risques sont considérés comme d’autant plus mineurs que la maladie de la vache folle est quasiment éteinte : à peine 28 cas ont été identifiés en 2012, sur quelque 40 millions de têtes de bétail adulte.
Par mesure de précaution, seules les farines issues de non-ruminants seront autorisées, et un dispositif de contrôle, par le biais de tests ADN, sera mis en place. Par ailleurs, seules les parties propres à la consommation humaine seront utilisables pour l’alimentation animale. Ainsi, on ne parle plus de « farines de viandes et d’os », mais de « protéines animales transformées » (PAT). « Les poissons sont omnivores, et certains, comme les saumons, sont même carnivores », explique Frédéric Vincent, le porte-parole du commissaire chargé de la santé et de la protection des consommateurs, Tonio Borg.
Un argumentaire peu convaincant pour certains écologistes. « On n’a encore jamais vu des poissons s’attaquer à des porcs ou à des volailles », avance le député européen Vert José Bové. « Rien n’empêche, si on réintroduit les farines animales dans l’alimentation, qu’elles se retrouvent demain utilisées pour des animaux auxquels elles ne sont pas destinées. » Le député européen demande un étiquetage spécifique « Nourri avec » ou « sans farines animales ». Il appelle le gouvernement français à exiger la suspension de la mesure et promet, dans le cas contraire, d’appeler au boycottage des poissons d’élevage dès le 1er juin 2013.
PROTÉINES BON MARCHÉ
Après les poissons, la Commission entend proposer de réintroduire l’utilisation des farines animales pour les volailles et les porcs. Le « cannibalisme » étant désormais interdit, les volailles ne pourront être nourries qu’avec de la farine de porc, et inversement. Mais cette autorisation ne devrait pas intervenir avant 2014, selon un porte-parole de l’exécutif communautaire.
Les industriels et les agriculteurs, qui ont fait du lobbying à Bruxelles pour que les farines animales soient à nouveau autorisées, espèrent ainsi accéder à des sources de protéines bon marché. « Les pays d’Europe du Sud, en particulier l’Espagne, sont très demandeurs, car le cours du soja est au plus haut », estime Jean-Michel Serres, éleveur et président de la Fédération nationale porcine.
« Les industriels de l’alimentation animale souhaitent avoir accès aux PAT pour réduire les coûts. Mais c’est un leurre économique. À terme, le prix des protéines animales pourrait s’aligner sur le cours du soja », affirme au contraire Pierre Brosseau, éleveur de porcs et membre de la Confédération paysanne.
« Les fabricants d’aliments pour animaux pensent que c’est intéressant de pouvoir choisir entre différentes sources de protéines pour arbitrer en fonction de l’évolution des prix et d’avoir ainsi une souplesse de formulation des produits », explique Olivier Andrault, de l’association de consommateurs UFC-Que choisir.
Quoi qu’il en soit, les grands industriels sont prêts. Comme Saria, par exemple, filiale du groupe allemand Rethmann, présent dans l’équarrissage et l’exploitation des sous-produits des abattoirs. Il vend aujourd’hui des protéines de poisson pour l’aquaculture et des PAT de porc et de volaille pour les fabricants de nourriture pour chiens et chats. Idem pour Glon Sanders, filiale de Sofiprotéol.
« HYPOCRISIE »
Les éleveurs sont aussi prêts à franchir le pas. « Il y a une forme d’hypocrisie, tout le monde veut bien en mettre mais sans être le premier », dit M. Brosseau, qui ajoute : « Pour ma part, je n’y serais pas opposé s’il y avait suffisamment de contrôles. Or si, pendant six mois, des industriels ont pu mettre de la viande de cheval à la place de la viande de bœuf, cela prouve qu’il y a une crise de la traçabilité. » Même prudence chez M. Serres : « Il y a quelques jours, je vous aurais parlé d’opportunité ou de risque de distorsion de concurrence.
Mais pour le moment, cela me paraît prématuré et maladroit d’expliquer cela aux consommateurs. » La suite donnée à la décision de la Commission européenne dépendra beaucoup de la sensibilité du consommateur à cette question. Pour M. Andrault, « il y a un risque d’image pour les filières d’élevage, avec la réintroduction des farines animales ». Dans un communiqué publié vendredi 15 février, l’Association de l’aquaculture française s’est empressée de souligner que « les décisions qui seront prises par la filière ne se feront que sur la base d’un consensus sociétal et uniquement avec des garanties de traçabilité totale ».
En octobre 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) avait émis un avis négatif au retour des farines animales, estimant que « les conditions permettant une utilisation sécurisée des PAT ne sont pas à ce jour totalement réunies ».
Presse cannibale (Laurence Girard & Philippe Ricard à Bruxelles, LeMonde.fr, 16 février 2013)
Poissons : un label « sans farine animale »
La ministre de l’Écologie Delphine Batho a déploré le feu vert de Bruxelles au retour des farines animales pour nourrir les poissons, et a souhaité la création d’un label « sans farine animale » pour informer les consommateurs. « Je n’avais pas vu cette décision (d’autorisation des farines animales, ndlr) qui datait du mois de janvier et qui a été rendue publique la semaine dernière par la Commission européenne, et j’en pense le plus grand mal », a déclaré Delphine Batho lors de l’émission Le Grand Entretien de RCJ (Radio de la communauté juive).
« Ce n’est pas dans la logique de la chaîne alimentaire que de donner de la viande à manger à des poissons. C’est la même logique d’absurdité financière » que pour la viande de cheval, a-t-elle estimé.
Pour Delphine Batho, « il est donc très important que la filière piscicole française s’organise pour qu’il y ait un label sans farine animale qui puisse faire son apparition sur les étalages, pour dire aux consommateurs français : le poisson que vous achetez n’a pas été nourri avec de la viande ».
Presse cannibale (Agence Faut Payer, 17 février 2013)