Les « Black bloc », nouveau visage de la contestation égyptienne
Sous une tente aux allures de campement militaire, une quinzaine de jeunes hommes reçoivent cagoulés et masqués. Droits dans leurs baskets, ils écoutent dans un silence monacal les ordres donnés par le chef de bande. Bottes et treillis, c’est lui qui attribue les missions aux membres de ce groupuscule, devenu en une semaine aussi célèbre pour la mise en scène que pour le secret dont il entoure ses actions.
« Tout a commencé le 19 novembre pendant les manifestations rue Mahmoud-Salem, au Caire. Beaucoup de nos amis ont été tués. Les officiers de police et les militaires portaient des masques. On s’est dit qu’on allait faire pareil », indique, vendredi 1er février, leur porte-parole. Après quelques recherches sur Internet, ils se choisissent pour modèle les « Black bloc », des groupes radicaux européens. Ils sont étudiants, employés ou chômeurs, ont de 20 à 30 ans, et appartiennent à une « génération issue du sang des martyrs », comme le proclame leur vidéo sur YouTube.
LA BÊTE NOIRE DES AUTORITÉS ÉGYPTIENNES
Après avoir fait une entrée remarquée lors de la manifestation du deuxième anniversaire de la révolution, le 25 janvier, les Black bloc sont devenus la bête noire des autorités égyptiennes. Leurs codes et modes d’action directe alimentent les craintes de voir le pays sombrer davantage dans la violence.
« L’action défensive est privilégiée. Une infime partie d’actions offensives est menée en réaction à des attaques, assure le porte-parole. Notre but est de protéger les bâtiments publics, les manifestants et les femmes victimes de harcèlement sexuel. » Ils auraient assuré la protection de l’hôtel Semiramis, attaqué mardi soir par des jeunes casseurs, selon les témoignages de clients.
La discrétion entretenue par ses membres et les mesures de sécurité dont ils accompagnent toute prise de contact extérieure, ne font qu’alimenter rumeurs et fantasmes. Les Black bloc ont gagné la réputation de « casseurs de flics ». Armés de bâtons et de cocktails Molotov, ils sont de tous les affrontements. Ils assurent que leur « vengeance » serait de voir « les policiers qui ont été jugés pour avoir tué des manifestants et qui ont tous été acquittés, rejugés. On a leur nom. On les a donnés au procureur général. » Place Tahrir, on les dit armés pour intervenir sur des actions éclair contre les forces de l’ordre.
« ILS ONT VOLÉ NOTRE RÉVOLUTION »
Mais leur véritable ennemi, assurent-ils, ce sont les Frères. « Depuis le premier jour, ils ont volé notre révolution », dit le jeune homme. Ils tiennent à l’œil ces milices, lourdement armées, qui viennent parfois attaquer les manifestants. « S’ils nous attaquent, on réagit. On n’a pas les armes, mais on a la foi. On continuera jusqu’à la victoire : que le président Morsi et le régime partent. Après, ça nous est égal qui sera président, du moment qu’il s’occupe du pays. »
Bien que minoritaire, cette forme de contestation inédite en Égypte commence à faire des émules. Ce qui n’a pas tardé à inquiéter les autorités. Le procureur général, Talaat Ibrahim Abdallah, a ordonné mardi l’arrestation de toute personne soupçonnée d’appartenir au groupe. Une enquête a été ouverte après le dépôt d’une plainte les accusant d’avoir mis le feu à des locaux appartenant aux Frères musulmans. Ce dont ils se défendent. Une vingtaine de membres présumés ont été arrêtés depuis. « Groupe terroriste », « sabotage, émeute et intimidation », « financements occultes », « lien avec Israël » : les autorités disent détenir de nombreux éléments à charge.
Depuis, les Black bloc se sont faits très discrets, voire quasiment invisibles. Vendredi, les spéculations étaient ouvertes sur leur participation aux manifestations. En signe de soutien, des centaines de manifestants avaient décidé de défiler cagoulés.
Presse contre-révolutionnaire (Hélène Sallon, envoyée spéciale au Caire, LeMonde.fr, 2-3 février 2013)
(…) Ces protestataires sont désormais déterminés à répondre par la violence à la violence policière et, plus significatif, à faire pression sur le pouvoir à travers des actes de sabotage. On a vu ainsi des manifestants couper des routes et des lignes de métro, perturber certains services publics, comme ce fut le cas avec le complexe administratif de la place Tahrir, ou encore attaquer des établissements publics et des postes de police, sans parler des attaques contre des sièges du Parti Liberté et Justice (PLJ), bras politique des Frères musulmans. Cette violence ne se limite pas au Caire et aux grandes villes, mais touche également les provinces. Les récents troubles intervenus à l’occasion du 2e anniversaire du 25 janvier ont frappé une douzaine de gouvernorats sur les 27 que compte le pays. Les incidents les plus graves ont eu lieu dans deux des trois villes dites du Canal de Suez, Port-Saïd (40 morts à la suite du verdict de la justice sur le drame du match de football) et Suez (9 morts). Ces deux villes, avec Ismaïliya, ont été par la suite soumises à un couvre-feu d’une trentaine de jours, annoncé par le président au troisième jour des émeutes. Mais les habitants de ces villes, en signe de défi aux autorités, ont multiplié les actes de violation du couvre-feu, dont l’organisation de manifestations et de matchs de football dans les rues. Ces actes indiquent la poursuite de l’effondrement de l’autorité de l’État. Le phénomène est apparu le jour du « vendredi de la colère », le 28 janvier 2011, au moment où les forces antiémeutes du ministère de l’Intérieur ont été défaites face aux manifestants. Deux ans après la chute de Moubarak, l’État ne s’en est pas encore remis et son autorité souffre toujours de ce discrédit auprès de la population. (…)
Presse contre-révolutionnaire (Hicham Mourad, hebdo.ahram.org.eg, 6 février 2013)
« On continuera jusqu’à la victoire : que le président Morsi et le régime partent. Après, ça nous est égal qui sera président, du moment qu’il s’occupe du pays.”
Nous voilà bien.