[Joyeux Noël ! Prenez tout, payez rien] « Cette ombre persistante de 2001 qui plane sur l’Argentine »

Nouveaux affrontements, deux morts et l’ombre persistante de l’impuissance gouvernementale

On a coutume de dire, en Argentine, qu’il suffit d’une étincelle pour mettre le feu au champ, et c’est probablement vrai. Pendant que j’écris, des images d’affrontements avec la police et de saccages de supermarchés envahissent les écrans de télévision, les journaux et les nouveaux médias obligeant l’opinion publique à revenir à l’état d’esprit de 2001. Et pourtant tout ne revient pas en arrière, tout n’est pas si clair et limpide, de sorte que la frontière entre le vrai et le faux tend à être occultée et incorporée dans le débat politique.

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Mais revenons aux faits. D’une part, nous voyons que les pillages se répandent comme une traînée de poudre à travers toute l’Argentine, s’approchent de la capitale, enflamment sa périphérie et se transforment rapidement en affrontements violents avec les forces de l’ordre : on compte de nombreux blessés, deux morts et des centaines de personnes sous les verrous. D’autre part nous constatons que certaines organisations politiques liées à l’opposition et aux syndicats de la droite péroniste, ont non seulement pris la tête et détourné les protestations mais en ont souvent été les organisateurs.

Le chef de l’État a aussitôt déclaré que le gouvernement national de Cristina Fernandez condamne vigoureusement les attaques de supermarchés qui ont eu lieu dans les provinces de Buenos Aires, Santa Fé et Neuquèn, il a en outre précisément  accusé le syndicat des camionneurs lié à la CGT de Moyano. À son tour le syndicat de Moyano a déclaré que « les événements en question sont le résultat de la gestion politique gouvernementale » et qu’il ne tolère aucune accusation de qui que ce soit. Des secteurs de la droite argentine et certains médias accusent par contre les anarchistes et la gauche indépendante ou même, avec des accents racistes, la population d’origine indigène prise de « furie indigéniste ».

Entre-temps, la situation s’est aggravée à Rosario avec 2 morts et 50 blessés, et à San Fernando où, durant les affrontements entre plus de 300 manifestants et les forces anti-émeutes,  les cocktails molotov et les pierres répondaient aux projectiles et aux gaz des policiers, affrontements provoquant la fermeture de l’autoroute panaméricaine et l’arrestation de 20 personnes. Ce qui apparaît avec le plus de clarté dans ces événements, c’est cette ombre persistante de 2001 qui plane sur l’Argentine, ombre dont les contours sont marqués du spectre de l’impuissance gouvernementale et de la profonde instabilité faite de précarité et de rapports clientélistes.

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Une idée exacte de ce qui se passe est très difficile à acquérir, car il s’agit d’une situation dans laquelle la propagande, le crime organisé, l’appareil répressif et les pouvoirs politiques, qu’il s’agisse des partis politiques ou des syndicats, naviguant de concert, partagent la même soif de pouvoir et de contrôle.

L’impression que nous tirons, pour l’instant, c’est que, si à Bariloche la protestation est le fruit du désespoir économique, dans de nombreux autres cas, les manifestations ont surgi à la suite d’initiatives venant d’en haut pour souligner les rapports de force qui sous-tendent la gestion directe du pouvoir.

Bien sûr, dans le contexte social de l’Argentine ainsi que celui des périphéries de ses grandes villes, il n’est pas difficile de catalyser les besoins et les attentes des populations les plus pauvres pour transformer la rage et la frustration en révolte qui risquent de déstabiliser les rapports  de force en question.

Cela fait partie d’un jeu de massacre pervers, orchestré avec un art consommé, dont la victime prend le regard de l’enfant cherchant sa pitance dans un monceau de détritus. Comme une allégorie de sa propre vie. Il faut comprendre à qui profite cette situation dont, jusqu’à présent, l’unique certitude que l’on retire, c’est que c’est la partie la plus humble de ce pays qui est instrumentalisée, faite de personnes obligées de vivre dans des banlieues-dortoirs sordides, sans aucuns droits et sans possibilité d’imaginer un futur un tant soit peu différent du présent. Mais quand on joue avec la rage, la nécessité et la frustration, on joue avec le feu, et il n’est pas dit que seront toujours les mêmes qui en sortiront vainqueurs.

Traduit de l’italien (dionisiaco&apollineo, 22 décembre 2012) par un camarade


Argentine : deuxième jour de pillages et d’émeutes, de Bariloche à Rosario et Buenos Aires

Selon la presse argentine d’aujourd’hui (22/12), les pillages qui ont commencé jeudi à Bariloche (en Patagonie) se sont étendus jeudi dans la nuit puis vendredi à Viedma et Cipoletti (provinces de Río Negro, comme Bariloche), mais aussi à Rosario (3e ville du pays, province de Santa Fe) et dans une moindre mesure aux provinces de Entre Ríos et du Chaco. Mais vendredi toute la journée, les pillages ont surtout touché la province de Buenos Aires (à Campana — camions bloqués sur l’autoroute Panamericana puis pillés + nombreux commerces et l’hypermarché —, à San Fernando à 30 km du centre-ville — hypermarché Carrefour pillé en deux vagues — à Malvinas Argentinas, à Mercado Central et à Pablo Nogués). Dans le cas des hypermarchés de San Fernando et Campana, ce sont des foules de 600 à 800 personnes (selon les keufs) qui ont attaqué puis mis à sac la structure.

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San Fernando

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http://juralib.noblogs.org/files/2012/12/155.jpg Supermarché à Rosario

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Station service Esso, San Fernando

Des affrontements avec la police se sont aussi produits dans la proche banlieue de Buenos Aires-ville (comme à Malvinas Argentinas, Virreyes, Beccar y José C Paz), tandis que plusieurs quartiers à l’intérieur de la capitale fédérale (San Martín, Escobar, Pilar, Luján, Caseros, Palomar, Tres de Febrero, Lanús, Avellaneda et Lomas de Zamora) sont tous sous occupation policière pour empêcher les pillages de se diffuser encore plus, provoquant ici ou là de nouveaux affrontements.

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http://juralib.noblogs.org/files/2012/12/185.jpg Campana, pillage de camions sur la Route n° 9

Hier, dans la seule province de Buenos Aires, ce sont pas moins de 378 personnes qui ont été arrêtées, et 523 en moins de 48 heures à l’échelle de tout le pays (selon le ministère). Il y a des centaines de blessés (et plein de flics aussi), tandis que Bariloche est désormais en état de siège avec 400 flics en plus. Tous les flics en permission et tous les procureurs en congé pré-Noël ont été rappelés par l’État pour être en service.

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Campana, la police arrive après le pillage de l’hypermarché Yaguar

Selon des chiffres officiels, au 4e trimestre 2011 ceux sous le seuil de pauvreté étaient 21,9% de la population, et les « indigents » 7,8% … tandis que l’inflation était à 24%.

Brèves du désordre, 22 décembre 2012

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