Communiqué sur la prison d’Annœullin

Bonjour,

Vous trouverez ci-dessous le communiqué d’un prisonnier détenu au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin, suivi d’une brève explication de l’atmosphère et des stratégies d’humiliations et de mises sous silence qui gouvernent cette prison.

Nous insistons, tout comme les prisonniers qui ont témoigné, sur l’importance de faire la lumière sur les différents aspects de la situation que connaissent les détenus du Centre Pénitentiaire d’Annœullin. Les regards journalistiques, associatifs et militants seront tous nécessaires dans les prochains mois afin de parvenir à ce but.

Par avance, merci.

Le Groupe Enquête Prison


Communiqué d’un détenu sur la situation au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin

« En juin 2007, certaines lettres de prisonniers filtraient de la prison de Sequedin, prison construite en 2005 près de Lille. Elles dénonçaient les humiliations, le racisme et la violence dont la population pénale était victime.

En juin 2011, le centre pénitentiaire d’Annœullin ouvrait ses portes. Cet établissement, inscrit dans un plan national de construction, se veut être une prison moderne, confortable, plus humaine, prenant le relais du centre de détention de Loos, dont la vétusté et la surpopulation étaient les critères dominants. Or, force est d’admettre que, loin d’avoir résolu quelque problème que ce soit, ce centre d’expérimentation pénitentiaire, à l’instar de ce que fut Sequedin en son temps, fait subir à ceux qu’il enferme les souffrances de la déshumanisation carcérale.

À ce jour, il nous appartient derechef de briser le mur du silence en dénonçant conjointement la violence de l’institution et son insolent pouvoir axé sur le musellement des enfermés. Par ces divers courriers, notre dessein est d’alerter l’extérieur sur les conditions de détention intrinsèques à la prison d’Annœullin. Ces témoignages divulguent le comportement de certains surveillants et autres gradés, faisant état d’une intimidation régulière, d’abaissements constants et de brimades usuelles. Ils sont aussi ce que vous voudrez bien en retenir. Certains prétendront qu’il ne s’agit là que d’excès et d’abus de pouvoir d’une minorité. Ce à quoi nous rétorquerons qu’il en est de la marque de fabrique des lieux, représentant son fonctionnement en lui-même.

Pour imaginer pouvoir résister, il faut commencer par pouvoir parler. Pour s’organiser, il faut pouvoir échanger des idées et c’est cela que tente d’empêcher l’administration gardienne. Nous n’avons alors d’autre option que de braver cet interdit en dévoilant ce qui doit l’être.

Construire de nouveaux établissements n’a jamais servi à humaniser le système carcéral sachant que prétendre humaniser les prisons, c’est tenter d’humaniser les cimetières.

Construire de nouvelles prisons ne répond qu’à une logique de surenchère,à savoir enfermer toujours plus et toujours plus longtemps et n’obéit qu’à une optique de rentabilité assimilant le stock humain à une matière première économiquement exploitable.

La torture ne s’aménage pas, elle se supprime. »

Lettre de Xavier Vanlancker, septembre 2012

 


Les faits

 

L’inculpation de Malin Mendy en juin 2012, alors détenu à la prison d’Annœullin, pour « agression volontaire sur surveillant pénitentiaire et rébellion », alors qu’il était manifestement celui sur qui cette violence volontaire s’est exercée, est l’un des seuls événements en provenance des prisons de Lille qui soit parvenu à attirer l’attention de la presse, locale et régionale. Pourtant, depuis l’ouverture de ce centre pénitentiaire, une succession d’actes relevant de la torture psychologique, du harcèlement quotidien et de la brutalisation constante des prisonniers n’a cessé de rabaisser ceux-ci au rang de sous-hommes. Combien de suicides dans des circonstances douteuses, de corps dénudés traînés à terre jusqu’au « mitard », d’insultes racistes, et de pratiques déshumanisantes de la part de l’administration pénitentiaire, visant à imprimer la peur et à infantiliser les détenus ? Quiconque refuse cet état de fait risque de voir se déployer l’arsenal des sanctions disciplinaires, doublé des condamnations supplémentaires allongeant des peines déjà trop longues forment la base quotidienne de la survie à la prison d’Annœullin.


Expérimentation dans les prisons du Nord

En 2007, les révoltes de Sequedin avaient permis de faire sortir des murs certaines informations sur des exactions commises à l’intérieur et avaient révélé que les prisonniers étaient prêts à tout pour protester contre les violences institutionnelles et la déshumanisation provoquée par l’enfermement. La répression des révoltes avait, quant à elle, mis en avant que les autorités carcérales ne comptaient pas changer leur mode opératoire et ne se donnaient aucune limite pour faire rentrer les détenus dans le rang. Le fait que de nombreux prisonniers de Sequedin – ainsi que la direction de ce centre – furent transférés à Annœullin après les révoltes, semble indiquer que la répression sécuritaire des différentes prisons du Nord ne fait que se poursuivre tout en s’aggravant.

Plusieurs détenus d’Annœullin ont envoyé des appels au secours à l’extérieur, s’inquiétant du « climat dangereux » qui règne dans cette prison, qu’ils décrivent comme une sorte de « laboratoire » où s’expérimentent des méthodes de répression. Le fait que certaines unités de l’ancien centre de détention de Loos soient venues s’entraîner au cours d’exercices de simulation d’intervention musclée dans les couloirs de la prison d’Annœullin avant même qu’elle ne soit ouverte en 2011 ne vient que confirmer cette hypothèse. Annœullin est bien une prison « moderne », au sens de la torture psychologique et physique moderne, ou bien encore un lieu d’expérimentation de la gestion publique/privée de l’enfermement et de l’esclavage économique « moderne ». Mais Annœullin, c’est également un laboratoire où tout est fait pour que les liens les plus élémentaires ne puissent pas se tisser entre les détenus – comme le révèlent tant l’architecture des bâtiments que les techniques de gestion par la peur et l’intimidation.


Le silence des médias

Annœullin, c’est aussi le huis-clos propre à toutes les prisons, la chape de silence maintenue à tout prix pour qu’aucune parole libre des prisonniers ne filtre à l’extérieur des murs. Seule la directrice du centre pénitentiaire, Aurélie Leclercq, a le droit à la parole, dont elle profite pour s’extasier dans la presse de ses talents de jeune manager passionnée. La voix des détenus, sans cesse réprimée car discordante, ne sort jamais des murs d’enceinte. Pour certaines personnes détenues à Annœullin, le silence des médias est incompréhensible : « est-ce que ces incidents en amont ne sont suffisamment révélateurs en soi du climat dangereux entretenu ici même ? Faut-il réellement d’autres péripéties de ce type pour que [un] journaliste nous concède un indice de sincérité ? En 2007, il n’y eut pas le quart de ce qui s’est passé ici et pourtant le résultat fut là ».

Les lettres et témoignages auxquels fait référence Xavier Vanlancker dans son communiqué constituent une volonté de fracturer ce silence et de prouver que solidarité et résistance sont encore d’actualité malgré les tentatives ininterrompues de l’administration pénitentiaire de briser les détenus. Une partie de ces témoignages sont disponibles sur le blog contrelenfermement.noblogs.org

Le Groupe Enquête Prison, 4 octobre 2012

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