[Chronique de Youv derrière les barreaux] Partie 69 – « Faut savoir qu’en taule personne te voulait du bien, travailleurs sociaux, administration, leur seul souci est que tu effectues ta peine même à plat ventre ça leur était égal, tu n’étais qu’un numéro d’écrou parmi des milliers en France »

Partie 69

Si tu veux t’imaginer mon univers, ce que je vis depuis bientôt neuf ans, éteins la lumière de ta chambre et dis-toi que y a des gens qui ouvrent et ferment ta porte, peuvent contrôler tes faits et gestes et mettre main basse sur ton cerveau, et plus tu résistes et plus ils réduisent ton champ de vision, ta marge de manœuvre était limitée, c’était ou tu en prenais un en otage ou tu prenais sur toi car tout passe, c’était trop facile de céder à une pulsion de colère qui prolongerait mon séjour carcéral, j’ai déjà fait un an de mitard en faisant parler ma rage de banlieusard. Mais [j’aurai] beau crier, me taper la tête au plafond, j’effectuerai ma peine de gré ou de force. Donc alors je me suis calmé, j’ai pris sur moi, mon cœur était rouge de rage mais à l’extérieur j’étais la crème de la crème, ils seraient trop contents de me voir un genou à terre. Donc je laissais rien percevoir, faut savoir qu’en taule personne te voulait du bien, travailleurs sociaux, administration, leur seul souci est que tu effectues ta peine même à plat ventre ça leur était égal, tu n’étais qu’un numéro d’écrou parmi des milliers en France.

Y a que pour rentrer en prison qu’ils te demandaient pas ton CV ni de lettre de motivation, ils te déshumanisaient constamment, un jour il y a eu un mec qui est mort en cellule, j’ai craqué les matons rentraient dans la cellule en plaisantant, à proximité du corps comme si c’était un animal qui venait de mourir, c’était à toi de prendre soin de toi, si tu comptais sur eux, t’avais le temps de mourir deux fois. Fallait être un bonhomme car le meilleur de la prison c’était le bon de sortie.

C’était fini le temps où ça flambait, ou ça marchait les poches remplies de billets de banque, frais, qui sortaient des coffres de l’État, là c’était bons de cantine, pâtes thon riz, rythmaient nos gamelles, on avait beau faire cinquante plats différents ils avaient le même goût.

Et quand une fois par an à Noël, ils autorisaient nos familles à nous amener, 5 kg de nourriture c’était le seul vrai moment où tu mangeais sans risque d’être empoisonné. La famille trichait toujours ils mettaient toujours 3, 4 kg en plus des 5 kg réglementaires, mais des fois tu tombais sur un maton qui a dû sûrement se faire racketter dans sa jeunesse par des renois ou rebeus, lui laissait rien passer, 5 kg c’était 5 kg mais bon de la part de ces gens-là on ne s’attendait pas à mieux.

Un jour Kamel et moi dans nos débuts, pour se faire la main on a braqué beaucoup d’Intermarché, on avait carrément un journal avec indiqué tous les Intermarché de France. Minipouce était pas encore prêt pour ce genre d’expédition, mais un jour il a tellement insisté pour venir voir donc j’ai accepté, il est resté à l’arrière du véhicule tellement le trajet était long il a fini par s’endormir, l’Intermarché était en plein quartier de province, une cité ouvrière tranquille, on était arrivés à l’aube Kamel et moi, on s’est préparés dans la voiture, Minipouce dormait encore, trente minutes avant l’arrivée du personnel, Kamel et moi sommes sortis du véhicule pour se mettre en place avant le feu d’artifice mais ce que l’on savait pas c’est que dans ces Intermarché de province situés en pleine cité, ils se méfiaient beaucoup avant l’ouverture, ils mettaient en place une panoplie de systèmes de sécurité. Chaque jour avant l’ouverture, un vigile qui habitait le bâtiment juste en face se mettait par sa fenêtre, équipé d’un téléphone et donnait le feu vert si il trouvait que la voie était libre, là où on était planqués il avait une vue directe sur nous, on n’avait rien remarqué, on était concentrés sur l’entrée du magasin. Cinq minutes avant l’arrivée du personnel, Minipouce nous fait des appels de phares incessants, il venait de se réveiller et avait tout compris du manège du vigile, on est revenus urgent à la voiture, Minipouce nous a expliqué, on a démarré la voiture et on est partis en trombe. Sur le chemin menant à l’Intermarché, une voiture de police arrivait sur le sens inverse en file indienne, Minipouce nous avait sauvés, on venait d’échapper à une lourde peine dans une prison de province.

DES FOIS CELUI QUE TU PRENAIS POUR UN AMATEUR T’ÉPATE TEL UN PROFESSIONNEL.

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