[Chronique de Youv derrière les barreaux] Partie 59 – « À partir du moment où tu étais condamné, ils avaient aucun scrupule à te réduire au silence dans tous les sens du terme »

Partie 59

La plupart des matons étaient des prolétaires aigris qui avaient raté l’examen d’entrée chez la police et pour lot de consolation sont devenus gardiens surveillants pénitentiaires, je généralise pas mais j’ai vu des scènes en live que même la plus grosse crapule de ma rue n’aurait jamais osé faire, à quinze sur un mec et le terminent avec une piqûre qui plongerait le plus solide d’entre nous dans un coma des plus profonds. Et au réveil tu devenais qu’une espèce de légume, ils appelaient ça la camisole chimique. T’as beau me lire attentivement, tu pourras jamais ressentir ma douleur et ma frustration quand j’assiste impuissant à la mort mentale à petit feu qu’entraînait la seringue, ils t’introduisaient vingt centimètres d’une aiguille dans ta chair, ils venaient de briser une vie mais se félicitaient du travail exécuté, c’est la manière qu’ils ont trouvée pour éliminer les plus récalcitrants. À partir du moment où tu étais condamné, ils avaient aucun scrupule à te réduire au silence dans tous les sens du terme.

Un jour alors que j’étais censé avoir parloir avec Delphine, j’étais encore en cellule, je me faisais beau gosse et au même moment Delphine arrive à l’entrée de la prison, elle présente sa carte, elle donne mon nom et le maton lui dit d’une voix moqueuse : « Excusez-nous mais il y a un problème, votre ami a eu parloir il y a une heure avec une autre demoiselle. »

Delphine fond en larmes, elle fait demi-tour et rentre chez elle, moi content d’aller la retrouver je me dirige vers le parloir quand je croise un bon pote à moi qui me dit que sa sœur avait vu Delphine en pleurs devant la prison, affolé je presse le pas et me rends direct devant le surveillant, et lui demande si Delphine s’était présentée cet après-midi, il me répond que non, du coup je fonce en cellule pour appeler ma belle, elle décroche le téléphone anéantie par la douleur puis me dit : « T’as osé me faire ça à moi », j’ai pété les plombs puis lui demande de s’expliquer, c’est là qu’elle me sort : « Les matons m’ont tout dit, que tu voyais une pute au parloir. » Je lui en ai voulu longtemps d’avoir cru sur parole les matons mais c’était pas le moment de lui reprocher quoi que ce soit, je fais appeler d’urgence le directeur de la prison, j’étais pire qu’en colère, je lui explique la situation, il se rend au parloir puis revient et me dit : « Nous sommes désolés, c’était un malentendu, le surveillant vous a confondu avec un autre détenu, je vous prie de faire rappeler votre amie, je la fais rentrer sur-le-champ et vous laisse une prolongation de une heure », moi je savais très bien que c’était pas une erreur, c’était volontaire, car ils ne supportaient pas qu’une jolie femme t’attendait pendant des années à l’extérieur alors que eux-mêmes étaient dehors et avaient personne, ils se réjouissaient à faire du mal gratuitement. J’ai mis une heure à réconforter Delphine même si elle savait qu’il n’y avait qu’elle ça n’empêchait pas le traumatisme engendré par le porte-clés sur pattes, jamais je leur pardonnerai le comportement détestable qu’ils ont envers les familles qui viennent nous voir au parloir.

Y avait des matons qui faisaient leur taf correctement je l’avoue mais ils étaient très très rares, je m’en rappelle sur Bois-d’Arcy j’ai croisé un maton qui habitait ma propre cité, j’ai halluciné quand je l’ai vu la première fois en uniforme ; je pensais qu’il allait nous mettre bien mais la première fois qu’on se croise dans les couloirs il était devenu amnésique comme si il ne me connaissait même pas. C’est vrai qu’au quartier il n’y avait aucune affinité entre nous, il sortait rarement de chez lui, il n’avait aucun ami dans le quartier, il a grandi dans son balcon LOL mais là on était dans un autre contexte, il s’est avéré qu’il était pire que les autres, il laissait rien passer, les petits de la tess criaient tout le temps son nom de famille dans les couloirs avec les menaces qui vont avec MDR, il a osé venir me voir et m’a dit : « Dis-leur d’arrêter de m’afficher » je lui ai répondu : « Ah tu as retrouvé la mémoire ? Maintenant tu me connais ? » tellement les petits l’ont mis à bout, il a demandé à travailler à l’infirmerie comme si les petits de la cité ne tombaient jamais malades et ne le croiseraient pas là-bas MORT DE RIRE.

À l’aube de ma neuvième année pleine, sans avoir vu la lumière de la liberté la trentaine me faisait réaliser que j’avais pris de l’âge même si en apparence rien ne bougeait, le temps ne s’était pas arrêté au portail de la prison, les sourires de mes neveux et nièces que j’ai pas vu naître me le rappelaient tous les jours.

TOUT PASSE Y A QUE LES MURS ET LES MATONS QUI RESTENT EN PRISON.

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