[Moscou] Les méthodes de travail champêtres du chef de la « crime »

Vladimir Poutine consolide l’État policier russe

Arrestations, perquisitions, interrogatoires : depuis le retour de Vladimir Poutine au Kremlin pour son troisième mandat le 7 mai, « les Russes se retrouvent dans un État policier « , constate le journal des affaires Vedomosti dans un éditorial publié jeudi 14 juin.

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Alexandre Bastrykine

Le service « E » (pour extrémisme) du ministère de l’intérieur n’en finit plus de s’activer, le comité d’enquête est sur les dents, comme si les détracteurs de Vladimir Poutine — le blogueur anti-corruption Alexeï Navalny ou le léniniste de choc Sergueï Oudaltsov — constituaient à ce jour la plus grave menace pour la sécurité du pays.

Tandis qu’interrogatoires et perquisitions s’enchaînaient mercredi 14 juin pour la troisième journée consécutive, un scandale a éclaté, impliquant le chef des enquêtes criminelles de Russie, Alexandre Bastrykine, en charge des dossiers « sensibles » et réputé proche de Vladimir Poutine. Mercredi 13 juin, le journal russe d’opposition Novaïa Gazeta a accusé M. Bastrykine d’avoir menacé de mort son rédacteur en chef adjoint, Sergueï Sokolov, contraint, dans la foulée, de fuir à l’étranger pour sa sécurité.

« Vous avez brutalement menacé de mort mon adjoint, Sergueï Sokolov », accuse Dmitri Mouratov, le rédacteur en chef de Novaïa Gazeta, dans une lettre ouverte publiée par le journal.

Intervenant à la radio Écho de Moscou, Dmitri Mouratov a raconté comment, dans la nuit du 4 au 5 juin, le général Bastrykine, excédé par un article récent qui le mettait en cause, a ordonné à ses gardes du corps d’emmener Sergueï Sokolov… dans une clairière des environs de Moscou pour lui dire sa façon de penser.

Après avoir demandé aux gardes du corps de s’éloigner, le général a expliqué au journaliste qu’il pouvait aussi bien le tuer, précisant que l’enquête criminelle sur cet assassinat serait alors menée par ses propres services, autant dire à jamais enterrée.

SIX JOURNALISTES ET COLLABORATEURS ASSASSINÉS

L’épisode, « digne d’un film noir hollywoodien », selon Dmitri Mouratov, a mis le Landernau de la presse moscovite en émoi. Une trentaine de journalistes (sur les milliers que compte la capitale) ont tenté d’aller protester devant le siège du comité d’enquête, une dizaine d’entre eux ont été embarqués.

Journal d’opposition, Novaïa Gazeta frappe les esprits en raison de son triste record : six journalistes et collaborateurs assassinés depuis l’entrée en fonction de Vladimir Poutine en mars 2000.

À ce jour, trois enquêtes seulement ont abouti. Ni l’assassinat par balles d’Anna Politkovskaïa en 2006, la reporter critique du Kremlin, ni celui de Natalia Estemirova en 2009, la militante des droits de l’homme en Tchétchénie, encore moins l’empoisonnement de Iouri Chekochtchikhine en 2003, ce député de la Douma connu pour ses investigations sur la corruption, n’ont été élucidés.

Plus que la faiblesse du système judiciaire russe, c’est la volonté politique qui est en question. « Nous nous abstiendrons de citer ce que vous avez dit à Sergueï Sokolov de façon imagée sur le journal, sa politique rédactionnelle ou encore sur notre collaboratrice assassinée Anna Politkovskaïa », écrit Dmitri Mouratov dans sa lettre ouverte.

Qu’a bien pu dire Alexandre Bastrykine, par ailleurs professeur à la chaire « État et Droit » de l’académie du ministère de la justice, de la reporter Anna Politkovskaïa ?

C’est ce dernier qui dirige l’enquête sur son assassinat, sans beaucoup de succès. Le procès des tueurs à gage est sans cesse repoussé, les commanditaires restent introuvables et l’un des protagonistes du dossier, l’ancien policier Dmitri Pavlioutchenko, arrêté en août 2011, vient d’être libéré de prison dans l’attente d’une improbable comparution.

Les méthodes de travail champêtres du chef de la « crime » n’ont donné lieu à aucun commentaire officiel. « Pas de démission, pas la moindre responsabilité pour M. Bastrykine. Selon l’usage, il va certainement recevoir de l’avancement ou une médaille », prévoit Vedomosti.

Leur presse (Marie Jégo, LeMonde.fr, 14 juin 2012)

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