[Chambéry, le 25 mai] Ne pas se laisser enfermer dehors

À la mémoire de Zoé, pour que les procédures qui ne nous tuent pas nous rendent plus poreux et plus forts

Alors que se déroule à Paris le premier procès antiterroriste pour six camarades, sur fond de fantasme de « la mouvance anarcho-autonome » et dans une disproportion délirante par rapport aux faits reprochés, à Chambéry quatre personnes passent en procès. Cette fois-ci, les faits ont été requalifiés, ce ne sera pas donc un procès anti-terroriste. L’affaire a coûté la vie à une copine et grièvement blessé son ami. Les flics, pour lesquelles la moindre amitié est suspecte, ont harcelé pendant plusieurs années leurs potes. Ils passent maintenant en procès, soutenons-les !

C’est l’histoire banale d’un accident qui mériterait pas vraiment qu’on s’y arrête, si l’État n’était pas venu y fourrer son gros nez. Si les polices européennes n’avaient pas fait de l’ultra-gauche l’une des nouvelles menaces terroristes prioritaires. Une histoire tragique qui aurait pu rester entre nous, avec des regrets. Une expérience qui tourne vinaigre.

Dans la nuit du 30 avril au premier mai 2012, à Cognin, près de Chambéry, soufflé-e-s par l’explosion d’un engin explosif artisanal, Zoé mourait, presque sur le coup, tandis que Mike, grièvement blessé, parvenait à sortir de l’usine abandonnée dans laquelle ils se trouvaient.

La police et les secours débarquent vite sur les lieux, alertés par le voisinage. Mike et le corps de Zoé sont identifiés. Manifestement, l’addition des dossiers de nos deux camarades et de leur implication dans un accident de ce type fait sonner quelques sirènes d’alerte à Paris, à la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI), qui héberge la Sous-Division Anti-Terroriste. Dès le lendemain arrivent donc à Chambéry les fonctionnaires chargés par l’État de lutter contre les menaces à son encontre. Quelques jours plus tard, trois perquisitions sont exécutées dans trois maisons squattées. Celle où vivait Zoé, un lieu d’habitation pour quatre personnes devant lequel restait en général garé le camion de Mike, ainsi que Les Pilos, lieu d’habitation et d’activités proche du centre-ville.

Mike est déjà placé en détention préventive au régime grand blessé à l’UHSI (Unité Hospitalière Sécuritaire Inter-régionale) de Lyon. Il y restera deux mois. Puis Raphaël, Joris, William, et N1N1 seront successivement interpellés, dans des conditions variées. Tous, à l’exception de William, passeront un moment en tôle. Respectivement un mois et demi, deux semaines, et trois mois. Tous seront ensuite placés sous contrôle judiciaire, sous un régime plus ou moins strict (assignations à résidence chez les parents, interdiction de se rencontrer, de sortir de tel et tel département ou de France, obligation de pointer chez les flics du coin toutes les semaines…).

En 2011, les gros malins du parquet antiterroriste de Paris se déclarent incompétents, tout penauds de n’avoir pu trouver la preuve accablante qu’un attentat se préparait dans les cuisines des squats locaux. La fin de l’instruction est alors confiée au tribunal de Grande Instance de Chambéry, qui accepte la levée de tous les contrôles judiciaires, sauf celui de Mike.

Enfin, une convocation tombe pour le 25 mai, toute la journée, devant un tribunal correctionnel de Chambéry.

C’est là qu’on voudrait inviter celles/ceux qui le voudront à faire le déplacement, soit pour assister aux audiences, soit pour prendre le temps de marquer un soutien devant le Tribunal. Il y aura des tables d’infos, une soupe végétalienne, des occasions d’échanger, de se rencontrer, de faire du bruit sur une place lisse et raide comme la Justice.

La cour devra statuer sur la responsabilité de Raphaël, William et Joris, accusés de « destruction ou soustraction des documents ou objets de nature à faciliter la découverte d’un crime en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité, la recherche de preuves ou la condamnation des coupables », tandis que Mike devra répondre des faits de « fabrication d’engin explosif et d’élément ou substance destinés à entrer dans la composition du produit explosif, la détention de produit explosif ainsi que la détention de substance ou produit explosif ou d’éléments destinés à composer un engin explosif ».

Tout ça c’est très factuel, mais il n’est sans doute pas inutile de rappeler le contexte. Ce petit rappel en introduction n’a pas pour but de dresser un tableau candide de l’innocence éventuelle de nos camarades prévenus dans cette affaire, il s’agit d’un appel à venir soutenir des amis, des proches, des compagnons qui, déjà frappés par la tragédie de la mort d’une amie proche, se sont vu pendant quelques années devenir les objets de la machine policière et judiciaire à briser les liens et les solidarités. À partir d’un fait divers, il aura suffi de quelques connexions entre des fichiers pour qu’une armada de flics et de juges viennent décider, pour des mois, voire des années, de la suite d’existences, qui devaient se voir nivelées et normalisées pour faire leurs preuves et prouver l’intention des prévenus de se présenter devant le tribunal qui jugerait de leurs fautes. Parce que « suspectes » par la façon dont elles sont menées (vie collective en squat, absence de travail salarié pour certains, participation à des luttes sociales ou à des rassemblement surveillés, lectures subversives, liens supposés ou réels avec des personnes concernées par d’autres affaires…).

Nous voudrions laisser le soin à la Cour de statuer, de notre côté nous considérons que le fond de l’affaire n’importe pas tant que ça. Que la culpabilité ou l’innocence éventuelle des inculpés ne nous intéressent pas. Qu’il y a derrière cette procédure un exemple supplémentaire de la manière dont l’État s’appuie sur ses juridictions d’exception pour servir des intérêts tout à fait prosaïques. Derrière les procès en terrorisme intentés à l’encontre des mouvances « ultra-gauche », « anarcho-autonome » (ou tout autre nom qu’on voudra bien donner à l’ensemble disparate d’idées et de pratiques anti-autoritaires dans lequel nous nous reconnaissons d’une manière ou d’une autre), il y a ce spectre qui hante l’Europe, le fantôme de révoltes populaires échappant au contrôle de la classe dominante. Cette inquiétude de nos gouvernants s’avère bien sûr particulièrement aigüe en ces périodes de crise qui se rejoue en miroir, dans le temps infini et sans histoire qu’ont su imposer les démocraties occidentales. Plus rien ne doit jamais arriver.

Les exemples de répression à l’encontre de mouvements de lutte ou de groupes d’individus liés au sein de ces mouvements se multiplient. On pense à Tarnac, bien sûr, mais aussi à l’affaire dite de la « dépanneuse », jugée ces jours-ci à Paris (à ce sujet, beaucoup d’infos disponibles dans Mauvaises Intentions n° 3, à lire impérativement, ici par exemple), à l’affaire de Labège près de Toulouse (un blog de soutien exhaustif par ici), aux vagues d’arrestations qui s’abattent régulièrement sur des camarades italiens, au mouvement NO TAV (contre le TGV Lyon-Turin) qui commence à intéresser sérieusement les flics de toute l’Europe, et la liste est encore bien longue.

L’application des dispositifs d’exception nous semble guidée par un triple objectif : la terreur (il faut terroriser les terroristes potentiels, leur faire peur, leur montrer ce qu’ils ont à perdre) ; la démonstration de force (on s’occupe des fauteurs de trouble et de ceux qui ont le culot d’envisager avec sérieux des perspectives politiques radicalement antagonistes) ; enfin, le renseignement : c’est pratique ces très longues gardes à vue sans avocat pendant les premières 72 heures, c’est bien utile de pouvoir retourner le domicile des gens au premier soupçon de « menace ». On met à jour les petites fiches, on cartographie des réseaux, des amitiés, des relations. On range ça sous une belle étiquette, et c’est plié.

Comme le disent très bien les CAFards de Montreuil (collectif de chômeurs et précaires, texte L’Enfer des Bonnes Intentions, trouvé sur Indymedia Paris) :

« La Justice fait son travail. Isoler, constituer des groupes pour les rendre responsables de pratiques largement partagées (grèves et manifestations sauvages, sabotages), et ainsi redéfinir la frontière entre dialogue social acceptable et pratiques de luttes à réprimer ; enfermer quelques-uns pour faire peur à tous. Mais aussi, ici par l’invocation de l’imaginaire sanglant du “terrorisme”, dépolitiser toute critique radicale, en la mettant sur le terrain moral du Bien et du Mal. Car puisque des mauvaises intentions suffisent à définir “l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”, le “terroriste” n’est au fond qu’un mauvais citoyen qui veut cracher dans la soupe, et mérite ainsi le régime carcéral.

Des drames comme la tuerie de Toulouse – contre lesquels l’augmentation des pouvoirs de police ne peut pas grand chose – sont pain béni pour justifier les procédures antiterroristes, et plus généralement pour renforcer tous les dispositifs de gouvernement par la peur. En créant des épouvantails (islamistes, anarcho-autonomes…), de telles procédures permettent aussi de fabriquer, en creux, une nouvelle définition de la bonne citoyenneté, où chacun est enjoint non seulement de respecter la loi, mais aussi de faire preuve de bonne volonté, de se mobiliser activement pour la perpétuation de l’ordre social, c’est-à-dire pour l’économie, le capitalisme triomphant.

[…]

Il nous faut construire les moyens collectifs de s’attaquer à ces dispositifs qui cherchent, au tréfonds de nous, dans un binarisme absurde, soit à nous faire plaider coupable, en faute et en dette face à cette société, prêts à subir le châtiment, soit à nous épuiser à donner des preuves de notre innocence et de notre bonne volonté. »

Nous parlons contre l’État, sa justice, son économie, la République française, sa prétention stupide à nous gouverner, et à nous figer dans ces identités tièdes et transparentes de citoyens sans histoire ni culture populaire. Nous disons que pendant la crise les travaux doivent continuer de plus belle, que le capitalisme ne s’effondrera pas tout seul, et que nous continuerons de chercher à lui nuire, par les moyens que nous jugerons opportuns, avec celles et ceux qui sont ou seront nos complices.

Ne nous laissons pas enfermer dehors.

Pour plus d’infos sur le rassemblement du 25 mai à Chambéry, écrire à soutien25mai

Indymedia Paris, 18 mai 2012

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