Montréal, Victo, ça pète des coches

Nouvelles d’une semaine de rage
(Plus ça dure, plus ça fait mal !)

Depuis une semaine, ça n’arrête plus. Lundi dernier, dans la manif de nuit du 30 avril, on a vu apparaître une dizaine de tracts différents dénonçant les pacifistes violents (alternativement surnommés « paci-flics », « fascifistes », etc.) ou faisant l’apologie de la cagoule etc. Les événements de la semaine d’avant, où on a vu des manifestants enragés péter la gueule à des gens masqués ou carrément les livrer aux flics, en ont ébranlé plusieurs, et l’absence de discours par rapport à cet enjeu semble avoir donné une impression d’unanimité anti-casseurs. Or, cette unanimité est loin d’être réelle, et personne ne peut plus raconter avec sérieux que ceux qui portent le masque et s’en prennent aux flics ne sont qu’un groupuscule de 20 trouble-fêtes non-étudiants infiltrés dans les manifestations. Le lendemain, la manif anticapitaliste du premier mai allait donner l’occasion à la plèbe de resurgir sans craindre la collaboration de la foule avec la police. Le contexte favorisant, c’est probablement le plus gros rassemblement non-syndical du 1er mai depuis des décennies, et définitivement le plus déterminé à s’affirmer au mépris de la loi. Aussitôt aux abords de la rue Ste-Catherine, une série d’explosions de grenades assourdissantes a coïncidé avec l’effondrement d’une série de vitrines de banques et boutiques chics. La manif « illégale » s’est poursuivie vers le nord-est du centre-ville, au pas de course, et plusieurs camarades sont tombés entre les pattes des cochons, et/ou sous les coups de leurs matraques. Plusieurs cas de blessures sévères, fractures du crâne multiples (y compris pour les pacifistes) etc. Comme à l’émeute du Plan Nord (20 mai), la manif ne se disperse qu’en reformant plusieurs attroupements sauvages qui continuent d’occuper les flics. La soirée était tendue, une partie de la manif syndicale (prévue dans le nord de la ville) ayant rejoint le centre-sud et autre manif nocture se rassemblant au carré Berri à 20h30.

L’enthousiasme du printemps n’en est qu’attisé. Avec les rumeurs d’un déclenchement imminent des élections provinciales, et le congrès prévu du parti Libéral (au pouvoir depuis 9 ans) les 4, 5 et 6 mai, la suite logique des événements allait porter les hostilités à Victoriaville où le parti avait décidé de déplacer l’événement — croyant ainsi éviter la liesse populaire des rues de Montréal… Mais rebelotte à Victoriaville, petit bled de 42’000 âmes, où 5 minutes après que la manif (d’environ 3000 personnes) eut atteint les clôtures d’enceinte de l’hôtel hébergeant la gang à Charest, une vraie partie de ce nouveau jeu de balle(s) s’est mis en route pendant près de 2 heures. Situé au milieu d’un espace ouvert, fait de parkings, de petits champs et de grandes pelouses, le terrain n’était pas propice à un encerclement de la foule. Les flics étaient principalement en mode défensif. Les modestes clôtures derrière lesquelles l’hôtel était « protégé » ont immédiatement été démontées puis utilisées pour charger les lignes de la SQ (police provinciale) qui ont répliqué aux gaz, d’abord les blancs (facile à renvoyer) puis les jaunes (dont l’éclatement de la capsule fait plus de dommages que les gaz qu’ils libèrent). Sous une petite pluie, et sous les pales d’un hélico particulièrement bas, la foule est restée massée au plus près de l’hôtel toute la durée de la bataille. Bravant les gaz et les balles de plastique, la fanfare insurrectionnelle n’a jamais cessé de rythmer les avancées et reculs du front et les tirs groupés de cailloux et de morceaux de trottoirs lancés sur la flicaille. Le visage couvert de maalox séché, même des vieux et des vieilles retournaient en première ligne défier les canons des forces de l’ordre. Plus le temps passait, plus la tension montait : à un moment ou un autre, tout le monde a pu constater le sérieux des coups infligés. Ici, un homme à l’oreille arrachée, là, un autre inconscient a perdu son œil, l’arcade sourcilière explosée. Plus loin, une fille n’a plus de dents derrière ce qui reste de sa lèvre inférieure. Étrangement, l’image des trois singes de la sagesse prend un sens brutal.

Juste avant la dispersion finale, la violence de l’affrontement rendait imaginable n’importe quoi. Les bus d’anti-émeutes sont saccagés, les projectiles sont de plus en plus lourds et nombreux : dans les deux camps, on vise la tête. Des flics isolés pris à partie, l’un d’eux sera même lynché, et la voiture venue à son secours manque de rouler sur des émeutiers blessés. Rapidement, la foule se disperse en comptant ses blessures, et regagne les autobus jaunes qui repartent vers différentes villes. La SQ a ensuite procédé à l’immobilisation des certains bus, ce qui a fait gonfler le nombre des arrêtés.

Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que le jour même avait lieu à Québec une rencontre entre les ministres et les délégués des administrations scolaires, des associations étudiantes et syndicats de profs. Même les porte-paroles de la CLASSE étaient présents. Une proposition y a été élaborée mais n’a été rendue publique que plus tard. Cette proposition de merde, qui veut compenser la hausse des frais de scolarité (déterminés par le gouvernement) par une baisse des frais afférents (déterminés par chaque établissement) est visiblement une opération médiatique visant à faire passer les étudiants comme empreints de mauvaise foi. Or cette compensation n’offre aucune réelle solution puisque les universités ne pourront jamais compenser cette perte de revenu et que rien ne garanti, même à court terme, un retour des frais afférents.

Ce qui est en jeu, avant tout, c’est de briser un mouvement qui est en train, plus que jamais, de sortir du cadre de la revendication scolaire ou étudiante. Ce qui freine l’élan d’une « grève sociale » appelée pour le 15 mai, c’est le cadre des lois du travail qui interdit à tout corps de métier de faire grève avant l’échéance de leur convention collective, sous peine d’amendes quotidiennes ridiculement exagérées, pour le syndicat, pour ses représentants, ainsi que pour chaque gréviste individuellement. Or, plus le mouvement dure, plus l’administration est débordée. Les flics n’arrivent plus à imposer les injonctions qui obligent les institutions à donner leurs cours aux étudiants anti-grève qui en ont gagné le droit devant tribunaux. Bien que cette semaine, au cégep Montmorency, la présence des flics ait été imposée lors de l’A.G., l’ampleur du mouvement, sans parler de son coût faramineux, laisse déjà voir l’incapacité de l’État à faire appliquer des décisions judiciaires. C’est le moment où jamais, pour les syndicats, de déclencher des grèves illégales : les chargés de cour des CÉGEP, qui seront visiblement contraints de donner leur cours cet été sans être payés, sont les premiers dont on peut souhaiter le pas de plus qui pourrait entraîner tous les autres. Mais peut-être est-il déjà trop tard. Les A.G. de la semaine vont nous dire si le mouvement saura survivre à l’offre de samedi dernier. Dans tous les cas, la suite des événements devra mettre à l’épreuve les nouveaux espaces et assemblées de lutte qui émergent timidement parallèlement aux associations facultaires et à leurs structures fédératives, afin de donner consistance à une seconde vague de grève. Histoire à suivre. Entre-temps, les manifs nocturnes se poursuivent, à Montréal et Québec, « tous les soirs, jusqu’à la victoire », et nombreux sont ceux qui ne sont pas prêts à pardonner les coups et blessures infligés à Victoriaville. Tout peut encore arriver. Vive la grève.

sans-titre-diffusion, 8 mai 2012

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