6 mai 2012 : Situation des migrants à Calais

Situation des migrants à Calais, 6 mai 2012 et dernier jour des élections présidentielles

La situation est très difficile pour les migrants à Calais, je pense qu’elle n’a jamais été aussi mauvaise, même si j’ai été témoin de la destruction des jungles et la chasse quotidienne aux migrants de ces trois dernières années.

La plupart des squats ont fait l’objet d’expulsions et il est impossible pour les migrants de se réinstaller où que ce soit, la police ferme immédiatement les nouveaux squats. L’attitude de la police a été de faire une chasse opiniâtre des migrants jour et nuit, les arrêter, les expulser de partout, ne pas même les laisser dormir sur le bord de la route.

Ce genre de harcèlement effréné dure depuis la fermeture du camp de Sangatte, en 2002. Pourtant, les efforts pour nettoyer Calais de ses migrants se sont intensifiés depuis 2009. Après la destruction immensément médiadiatisée de la jungle Pachtoune, le 22 septembre 2009, ils ont vidé et rasé toutes les autres jungles et squats de Calais. Cependant, jusqu’à présent, les migrants sont toujours arrivées à se réinstaller ailleurs, en se rendant encore plus invisible et dans des conditions encore plus précaires et dangereuses, avec un harcèlement policier accru, sous la forme de rafles presque quotidiennes et d’arrestations en grand nombre, de même que de destructions de couvertures, tentes et de biens.

On assiste depuis peu à un nouveau tour de vis. Dans une tentative de refouler les migrants hors de Calais, probablement liée aux Jeux olympiques qui s’annoncent, les migrants ont été chassés de tous les abris. Le mois dernier a été le plus pluvieux de ces cent dernières années, et froid presque hivernal.

Combien des migrants y a-t-il à Calais ? Les gens sont nombreux aux distributions de repas, et on a distribué cent tickets à la dernière distribution de vêtements,  mais beaucoup de gens n’y vont pas, soit qui ils n’ont pas besoin, soit par crainte de la police, il y a souvent des policiers en civil, et toujours des voitures de police à proximité de la distribution de repas, et des policiers espionnant les migrants, souvent avec des jumelles et des caméras. Les policiers ne devraient pas arrêter les gens qui vont à la distribution de repas, vingt minutes avant et vingt minutes après, mais ils le font très souvent. Les associations qui distribuent la nourriture se sont plaintes beaucoup de fois, mais en vain. Les Albanais en particulier se tiennent hors de vue le plus souvent, après que beaucoup de leurs compatriotes aient été arrêtes et renvoyés en Albanie. Ils ont généralement de l’argent pour acheter leur propre nourriture.

Je pense que 150 migrants présents à Calais serait une bonne estimation approximative au moment où j’écris, mais c’est vraiment difficile à calculer, avec tous les gens qui se cachent, et ceux qui s’en vont pour échapper aux difficultés à Calais, et ceux qui reviennent. Il y a une étrange et troublante accalmie, depuis quelques jours la police, bien que toujours remarquablement présente, a cessé de faire des descentes et des arrestations en nombre. Cela pourrait être l’effet des élections. Cependant, la veille du premier tour, la police a ratissé les rues et fait des arrestations arbitraires pires que d’habitude, un samedi soir et la veille des élections ! Après le second tour, je crains que les activités policières ne reprennent, et peut-être s’intensifient encore : ceci pourrait être le calme avant la tempête !

Palestine House, le dernier grand migrant squat de Calais, fait l’objet d’une procédure d’expulsion. Ils ont reçu des arrêtés d’expulsion et pourraient être expulses à tout moment.

Beaucoup de Soudanais, la plupart du Darfour, se sont installés dans Palestine House, après avoir été expulsés des préfabriqués universitaires où ils avaient trouvé un abri, et d’un autre squat où ils avaient essayé de se réinstaller. Il y a des gens qui viennent du Tchad et d’autres pays africains, quelques-uns sont des mineurs non accompagnés, le plus jeune a quinze ans. Il y a beaucoup de Palestiniens et d’autres Arabes. Il y avait un groupe plutôt gros d’Afghans mais ils ont déménagé, plus précisément ils ont été mis à la porte par certains des Soudanais. D’autres ont dormi à la maison palestinienne à l’occasion ou étaient en visite. Le squat semble osciller entre deux tendances, un endroit ouvert et multi-ethnique où tout le monde est bienvenu, ou dominé par des Soudanais et autres arabophones. On n’y trouve pas de femmes, d’ailleurs il n’y a presque pas de femmes à Calais en général maintenant, et presque pas d’enfants, probablement à cause des difficultés excessives et du stress. Deux petits garçons habitent à la Palestine House depuis deux jours avec leur père.

Les conditions de vie sont incroyables, et je pense qu’il serait difficile de trouver une habitation aussi dégradée et dépourvue d’équipements que Palestine House dans les quartiers les plus pauvres de Calcutta ou du Caire, mais vous n’avez pas besoin d’aller plus loin que le nord de la France pour trouver des gens et des familles dans la jungle ! Beaucoup parmi ceux qui sont forcés de vivre dans ces conditions effarantes sont instruits, ils étaient enseignants, de professions libérales ou étudiantes dans leur pays, et à leur propre avis il est incroyable que la France et l’Europe, qui défendent les Droits Humains, puissent traiter des gens ainsi. La plupart des migrants sont des réfugiés venant des pays les plus ravagés par la guerre dans le monde : Darfour, Érythrée, Éthiopie, Kurdistan irakien, Afghanistan. Il y a un bon nombre d’Iraniens fuyant les persécutions de la dictature. Ils sont déjà traumatisés par les expériences vécues dans leur pays et par le voyage parfois épouvantable qu’ils ont dû endurer pour tenter de sauver leur vie. La politique de l’État français, après Sangatte, est de les traumatiser à nouveau, pour les ‘persuader’ de quitter Calais.

Les Érythréens et Éthiopiens vivent surtout dans des foyers, comme nombre d’entre eux ont demandé l’asile en France, quelques-uns dorment dans des endroits secrets. Ils ont aussi subi des expulsions répétées, leur squat, Paradise House, a été fermé après la mort violente et mystérieuse de l’un des occupants, Zenebe, qui était notre ami et un homme tranquille et doux.

Beaucoup des Érythréens ont l’habitude de faire des visites fréquentes à la Palestine House, le soir. C’est le seul feu qui reste.

Quelques personnes ont eu recours aller au lieu distribution de repas pour dormir. Après avoir été expulsés encore et encore de maisons qu’ils essayaient de squatter, ils eurent l’impression de ne pas avoir une autre solution. La plupart sont Iraniens et autres qui parlent farsi, mais il y a aussi quelques Africains, Arabas et autres. La police y est allée très souvent, à une occasion six fois dans une nuit, pour vérifier leur papiers et les empêcher de dormir, et leur a demandé de partir. Finalement, le 4 mai à 8 heures, la police les a expulsés, arrêtant sept migrants. Ensuite, des employés de la mairie ont emporté les couvertures, et toiles de protection. Dormir n’est pas autorisé dans l’aire de repas. C’est aussi très inconfortable, il n’y a pas de réel abri contre la pluie, seulement une étroite bande de toit pour les gens qui font la queue pour la nourriture, et l’endroit est une sourcière, il n’y a pas d’issues si la police y va pour arrêter, l’endroit est entouré d’un haut grillage, c’est un parfait exaemple d’architecture raciste ! Les gens doivent faire la queue pour leur repas, qui consiste invariablement en une bouillie de pâtes ou de riz trop cuits, et manger par terre, ou sur les poubelles, il n’y a pas de tables, pas de chaises, pas même un toit.

Beaucoup parmi les migrants à présent à Calais sont demandeurs d’asile, et beaucoup sont à la rue, en dépit du fait que la loi prévoit qu’ils devraient être hébergés. Certains veulent rester en France, certains ont demandé l’asile simplement pour qu’on les laisse tranquilles, qu’on ne les emmène pas au commissariat à tout bout de champ, ou pire au centre de rétention, mais les demandeurs d’asile aussi sont arrêtés très souvent, de même que des gens qui ont un titre de séjour de dix ans, sans raison !

Juste avant l’expulsion du dernier squat soudanais, dans les préfabriqués universitaires, de nombreux Soudanais ont été emmenés au centre de rétention de Coquelles, et placés devant l’alternative de demander l’asile en France ou être renvoyés au Soudan. Un Soudanais arrêté à Calais et trois arrêtés à Paris ont été renvoyés au Soudan. Pour les gens du Darfour il est très facile en ce moment d’obtenir l’asile en Grande-Bretagne, ceci leur fait perdre leur chance. Au Royaume Uni, au moins, les demandeurs d’asile sont hébergés, on ne les laisse pas dans la rue comme en France (quoique ceux dont la demande est rejetée soient sans abri et dans la misère). Au Royaume Uni il est beaucoup plus facile qu’en France de trouver du travail.

Après l’arrestation en nombre, la détention et la menace d’expulsion vers le pays d’origine, le nombre des Soudanais à Calais s’est réduit considérablement, et beaucoup ont demandé l’asile, non parce qu’ils voulaient rester en France, mais parce qu’il était impossible pour eux de faire autrement !

Après les Soudanais et les Albanais, c’est au tour des Palestiniens, Tunisiens et autre Arabes. Beaucoup sont au centre de rétention de Coquelles. Il y a eu une grève de la faim de grande ampleur des détenus, mais elle est terminée, ensuite beaucoup de gens ont été expulsés vers divers pays européens selon les accords de Dublin. Les No Borders ont organisé diverses manifestations bruyantes devant le centre de rétention. Nous aussi soutenons les détenus en visitant et téléphonant.

Est-que les élections vont changer quelque chose ?  Sarkozy, les fils d’immigrants, a excelle dans la répression de la liberté de circulation et s’est approprié des certains des slogans de l’extrema droite. Hollande d’autre cote a promis qu’il –« combattrait sans relâche l’immigration illégale » en un moment ou toutes les routes de l’immigration « légale » sont presque fermées. Même pour ceux qui fuient la persécution et la guerre.

Chiara Lauvergnac

Pour plus ample information et chronologie détaillée des arrestations et expulsions consultez notre blog

Calais Migrant Solidarity (alias « les noborders ») sont un réseau transnational qui ont suivi l’agissements de la police à Calais depuis 2009 et dénonce la situation. Notre travail est dans une large mesure la continuation du travail que Marie-Noëlle Gues a fait seule, pendant de nombreux années jusqu’à sa mort prematurée suite à une longue maladie, en 2011.


Témoignage personnel d’une personne détenue à Coquelles (février 2012)

Tout le monde connait la situation au Soudan, et tout particulièrement au Darfour. Les gens n’ont aucun endroit, alors pourquoi la France nous y renvoie-t-elle ? Il n’y a pas non plus de droits pour nous ici en France, nous ne sommes pas traités comme des êtres humains.

Au Darfour, en 2003, 500 personnes ont été tuées en un jour, c’était mon village, Anka.

Ils ont détruit le village, violé les femmes, jeté les enfants au feu. Comme le démon. À ce moment-là, j’ai souhaité mourir. J’ai vu des charniers.

Depuis 2003 les gens ont quitté le village. À ce jour, ils ne peuvent pas rentrer. Les gens ne peuvent pas quitter les camps. Il n’y a pas de sécurité dans la région.

Pourquoi les Nations Unies se taisent-elles ? Les Nations Unies aiment l’argent, non les gens. Pourquoi sont-ils allés en Lybie se battre ? Pour du pétrole et de l’argent. Ils ne viennent pas au Soudan même quand le président commet des atrocités.

Nous les noirs ne sommes pas traités comme des êtres humains. Ça ressemble à un mauvais rêve, mais ceci est la réalité, un cauchemar.

J’ai passé un an en prison au Soudan, voici mes cicatrices, vous pouvez voir où ils m’ont torturé avec de l’eau bouillante sur mes jambes. Après ma libération je devais venir pointer chaque semaine pour ne pas me faire tuer, je me suis enfui.

Liste Migreurop, 6 mai 2012

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