[Royaume-Uni] La police s’arme

FLASH BOB – La police britannique à l’assaut de nouvelles armes antiémeutes

Plus efficaces que les balles en plastique… Les produits chimiques. The Guardian révèle qu’une équipe d’ingénieurs du Centre pour les sciences et technologies appliquées du ministère de l’intérieur britannique œuvre au développement d’une nouvelle forme d’arme antiémeute, axée sur des projectiles irritants (DIP, « Discrimitating Irritant Projectile »).

Selon des documents obtenus par le quotidien, en vertu de la loi sur la liberté de l’information (« Freedom of Information Act »), les violences urbaines de l’été dernier ont donné un élan aux recherches sur ces technologies alternatives de contrôle des mouvements de foule. Une réunion a ainsi été organisée en octobre, avec pour participants la police de Londres et d’Irlande du Nord, la Fédération de police, l’Agence spécialisée dans le crime organisé (Serious Organised Crime Agency) et les responsables du laboratoire technique et scientifique du ministère de la défense. Lors d’un second rendez-vous, en novembre, axé sur le développement de « technologies moins létales », il a été suggéré que les DIP soient chargés dans les armes à la place des projectiles en plastique, qualifiés d' »incapacitants » (AEP, « Attenuating Energy Projectile »). Les projectiles chimiques, qui avaient, semble-t-il, été introduits dès 2010, devraient renfermer des gaz lacrymogènes, des sprays au poivre ou tout autre irritant.

Au rayon des « technologies moins létales », il serait aussi question d’armes reposant sur des rayons de chaleur et d’armes sonores. Ces dernières font depuis plusieurs années l’objet de débat en Europe.

Par ailleurs, ajoute The Guardian, au-delà des DIP, une autre arme chimique serait sur le point de voir le jour : une sorte de boule puante que les ingénieurs rattachés au ministère de l’intérieur surnomment « huile à canailles » (« skunk oil »). Des pastilles contenant des liquides nauséabonds seraient tirées à l’aide d’armes semblables à celles utilisées dans les parties de paintball. « L’odeur qui s’en échapperait une fois les individus touchés serait telle que ces derniers rentreraient chez eux pour se changer et leurs complices seraient réticents à rester près d’eux », détaille The Guardian.

De l’attaque à la défense, le quotidien britannique précise également que les forces de l’ordre travaillent au développement d’un système les protégeant des lasers aveuglants. Une des armes préférées des émeutiers !

Blog Big Browser, 10 avril 2012


Armes sonores : le silence gênant de la France

Utilisées par les forces de l’ordre contre certaines manifestations, les armes acoustiques n’ont fait l’objet d’aucun débat public en France. Dans son livre Le Son comme arme, Juliette Volcler dénonce cette opacité.

L’essai de la journaliste Juliette Volcler fait du bruit. Dans Le Son comme arme, les usages policiers du son (La Découverte), elle veut faire le catalogue des recherches et des utilisations militaires du son. Des fantasmes de canons à infrasons aux disques de Metallica diffusés à plein volume pour torturer les prisonniers irakiens, on s’aperçoit que la palette sonore est aussi large que dangereuse. Si les pays en pointe dans ce domaine semblent clairement être les États-Unis et Israël (sur la trace des pionniers que furent l’URSS et le IIIe Reich), la France n’est pas en reste.

Tout d’abord, regardons le bon côté des choses. Notre pays n’utilise pas ces subtiles techniques de privations sensorielles lors de ses interrogatoires. Notre armée n’a pas recours aux impulsions sonores à fort volume pour rendre dingues, voire sourds, des territoires entiers. Non, nous avons une pratique « soft » des armes acoustiques. Mais c’est justement ce qui rend leur usage discret, laissé à l’écart de tout débat démocratique, et même de toute dénonciation médiatique.

Les « grenades assourdissantes » françaises

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Extrait du catalogue de Lacroix DS

Pourtant, l’arsenal existe, fourni par la société Lacroix défense et sécurité. Il s’agit de « grenades assourdissantes », dont sont pourvues armée, police et gendarmerie pour leurs opérations de maintien de l’ordre. En clair, ces outils viennent compléter les gaz lacrymogènes et les Tasers pour disperser certains rassemblements, sans risque de tuer les manifestants. On parle d' »armes non-létales ». Lors de leur mise en circulation, l’entreprise ventait leur « effet intense et psychologiquement agressif » permettant « la neutralisation rapide et efficace des manifestants dans un contexte dur et résistant ». Voilà qui est clair.

Il faut dire que la grenade en question envoie une impulsion sonore de 160 dB à 15 mètres de distance, là où le seuil de la douleur est situé à 140 dB et où le seuil légal est fixé à 120 dB. Juliette Volcler, s’appuyant sur des écrits scientifiques indépendants, explique qu’au-delà de 140 dB, un son peut provoquer « des nausées, des vertiges, des acouphènes, un perte d’audition, une accélération du rythme cardiaque ». À titre de comparaison, une sirène de police tonne déjà à 123 dB. Et précisons que les effets sont aggravés par un brusque changement de la pression acoustique. En clair : à fort volume, un son bref et soudain est plus dommageable qu’un son continu.

Sans concertation, Nicolas Sarkozy autorise les DMP

C’est en 2004 que ces armes invisibles ont fait leur apparition sous nos contrées, sous le nom de DMP (dispositif manuel de protection), en même temps que les médiatiques Taser, sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy. Et ce, alors qu’aucun test indépendant n’a pu évaluer leur dangerosité, et qu’aucun débat démocratique n’a eu lieu. Depuis, ces grenades acoustiques étant invisibles, on ne les a pas vues ! Mais certains manifestants en ont gouté les effets, sans forcément en identifier la cause.

Cela devient plus évident lorsque les dommages ne sont pas imputables au son en tant que tel, mais à l’onde de choc produite par la déflagration sonore, et aux éclats de la grenade elle-même. Ce fut le cas en 2006 à Grenoble, lors d’une manif contre les nano-technologies (une joue ouverte), l’année suivante dans la même ville (perte d’un œil, du goût et de l’odorat), et encore en 2009 à Saint-Nazaire et à Strasbourg lors d’un contre-sommet de l’OTAN (plaies, brûlures), etc. L’auteur pointe même les troubles auditifs déplorés au centre d’entraînement de la gendarmerie de Saint-Astier !

Ces cas, isolés, peuvent être balayés comme étant le résultat d’une mauvaise utilisation des DMP ou comme l’effet conjugué de plusieurs armes « non-létales ». Sans doute, mais quid des dégâts non recensés, car invisibles : une perte d’audition est moins visible qu’une blessure, mais parfois plus durablement invalidante. Pour dégager ces doutes légitimes, des expertises indépendantes et des débats ouverts sont nécessaires. Et Juliette Volcler de préciser que « les armes assourdissantes et les ‘dommages collatéraux’ qu’elles occasionnent ne font l’objet d’aucune législation spécifique, ni ne s’embarrassent de la Convention internationale qui exige proportionnalité (par rapport à la menace) et discrimination (entre combattants et non-combattants) dans l’usage des armes. »

La force du son, c’est qu’on ne le voit pas. Une lapalissade que connaissent bien les musiciens, les gens de radio, les sound-designers, mais aussi — donc — nos forces de l’ordre.

> Le livre de Juliette Volcler, pour mesurer l’étendue des dégâts sonores !
> Une version simplifiée mais gratuite
> Le collectif Escoitar, les nerds des usages policiers du son à travers le monde (en espagnol)

Blog Un monde de sons, 20 septembre 2011

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