Tarnac : la lettre du forgeron au juge
DOCUMENT E1 – Soupçonné d’être mêlé à « l’affaire de Tarnac », il écrit au juge qui l’a mis en cause.
Le ton est sarcastique mais le fond est très sérieux. Charles Torres, un forgeron d’une trentaine d’années qui avait été brièvement « placé en garde à vue », fin février dans l’affaire de Tarnac, a écrit au juge d’instruction en charge du dossier. Une lettre de sept pages, dans laquelle il démonte, et tourne en dérision, l’enquête dont il a fait l’objet. Europe 1 s’est procuré le courrier.
Un courrier plein d’ironie
Charles Torres adresse donc un mail au juge « sur [son] adresse mail parue récemment dans le Canard Enchaîné ». « Au cas où vous en auriez depuis changé, j’essaierai demain de vous l’envoyer en recommandé », précise-t-il d’emblée.
Sur le fond, le forgeron espère que la lettre permettra de lever les soupçons qui pèsent contre lui puisqu’il n’a pas été poursuivi à l’issue de ses 36 heures de garde à vue. « Cependant (…) je crains que malgré aucun élément probant, vous ne mainteniez ces soupçons en l’état dans votre instruction », écrit-il.
« Tout le monde ne possède pas deux cagoules dans son armoire »
Charles Torres justifie la présence à son domicile « de certain objets incongrus ». « Il faut bien le reconnaître, tout le monde ne possède pas deux cagoules trois trous dans son armoire », concède le forgeron. Mais selon lui, ces accessoires, trouvés dans la chambre de son frère, datent en fait d’un enterrement de vie de garçon un peu potache.
Quant à « la lunette de vision nocturne », « elle sert à mon frère pour aller observe le brame des cerfs à l’automne », assure le forgeron. Mais « il est hors de question que je vous divulgue les lieux précis. Comme chacun le sait, les places de brame c’est comme les coins à champignons, ça ne se donne pas à n’importe qui », ironise Charles Torres, qui se dit toutefois prêt à essayer de convaincre son frère d’emmener le juge sur place « à la condition que tout journaliste soit tenu à l’écart par un dispositif adéquat ».
Soupçonné d’avoir fabriqué les crochets utilisés pour commettre les dégradations sur une ligne TGV, le forgeron détaille ensuite par le menu toutes les expertises que le juge d’instruction pourrait ordonner pour déterminer l’origine des ces crochets. Selon lui, l’analyse la plus pertinente serait même une « spectrographie de masse », réalisée dans un accélérateur de particules. « Le mieux à ce propos serait certainement de faire appel à un spécialiste que vous avez sous la main : j’ai lu dans la presse que vos collègues avaient récemment envoyé un jeune et brillant expert en physique des particules en préventive pour deux ans et demi », écrit ironiquement Charles Torres, en faisant allusion au cas d’Adlène Hicheur.
« Être soupçonné d’avoir réalisé un travail de cochon est une atteinte à mon honneur »
Mais le forgeron se dit surtout vexé : « être médiatiquement présenté comme un terroriste est une chose, mais être soupçonné d’avoir réalisé un travail de cochon est une atteinte profonde à mon honneur. » « Je n’ai pas étudié la forge pendant plus de dix ans pour que l’on m’accuse d’avoir réalisé un travail qu’un enfant de 10 ans, voire un agent de la SDAT, pourrait imiter en 10 minutes », raille-t-il.
Charles Torres demande aussi au juge d’instruction d’intervenir pour tenter de compenser les effets de sa garde à vue — il aurait perdu des contrats et sa famille souffre du regard de ses voisins. « Si vous pouviez donc faire savoir à qui de droit que je n’ai rien à voir avec tout cela (…) cela m’éviterait de perdre davantage de contrats », écrit-il.
Enfin, alors qu’il est convoqué cette semaine devant le tribunal de Nanterre pour avoir refusé de se soumettre à un test ADN lors de sa garde à vue, le forgeron a encore un service à demander au juge : « ça serait vraiment sympa si vous pouviez envoyer un mail au juge de Nanterre (…) pour lui dire que tout cela n’est qu’un énorme quiproquo, que vous vous être gouré et que ce n’est pas grave car c’est en forgeant qu’on devient forgeron. »
Charles Torres n’a plus qu’a espérer que le juge a le même sens de l’humour que lui.
Leur presse (Marie-Laure Combes avec Alain Acco, Europe1.fr, 3 avril 2012)
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« TARNAC, MAGASIN GENERAL » aux Editions Carmann Lévy (500 pages)très documenté
David a mené une enquête pendant 3 ans, il est ancien Journaliste à Libération puis à Médiapart et maintenant journaliste indépendant.