[« Antiterrorisme »] Bas les pattes sur Adlène Hicheur

La lutte antiterroriste a-t-elle déraillé ?

L’avocat et les mis en examen de l’affaire de Tarnac sont venus à la rescousse d’un chercheur du Cern soupçonné de liens avec le terrorisme.

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Halim Hicheur (à droite), frère d'Adlène Hicheur, et Rabah Bouguerrouma, du comité de soutien au chercheur du Cern accusé de terrorisme.

Quel rapport entre l’affaire de Tarnac et Adlène Hicheur, physicien au Centre européen de recherche nucléaire (Cern) à Genève, jugé à la fin du mois pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ? Aucun, si ce n’est une dénonciation, par les avocats des deux dossiers, du mode de fonctionnement de la section de l’antiterrorisme, qualifiée de « justice d’exception qui ignore les droits de la défense », à l’occasion d’une conférence de presse organisée jeudi matin au siège de la Ligue des droits de l’homme à Paris.

Si l’affaire de Tarnac, évoquant le sabotage de lignes de TGV en 2008, a été très médiatisée, en revanche, l’histoire de ce physicien d’origine algérienne, soupçonné de préparer un attentat au nom d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), est beaucoup moins connue. Arrêté le 8 octobre 2009 chez ses parents, à Vienne (Isère), Adlène Hicheur sera jugé, en deux demi-journées, les 29 et 30 mars prochains, pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».

Attentat contre des chasseurs alpins

Au moment de son interpellation, Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, affirme que « la France a peut-être évité le pire », tandis qu’un quotidien parle d’un « expert du nucléaire travaillant pour al-Qaida ». En fait, Adlène Hicheur, docteur en physique des particules aujourd’hui âgé de 35 ans, est, à cette époque, chercheur au Cern à Genève et enseignant à l’École polytechnique de Lausanne (EPFL). Il est soupçonné de préparer un attentat contre le 27e bataillon de chasseurs alpins, basé à Crans-Gevrier, en Haute-Savoie.

Deux ans et demi plus tard, Adlène Hicheur est toujours incarcéré à Fresnes. Pourtant, les charges retenues contre lui apparaissent assez minces. Pour preuve, le chercheur se retrouve seul sur le banc des accusés. C’est pour le moins curieux quand on évoque une « association de malfaiteurs ». En clair, la justice ne peut guère lui reprocher que des échanges d’e-mails en arabe avec un certain Mustapha Debchi, vivant vraisemblablement en Algérie et présenté comme un responsable d’al-Qaida au Maghreb islamique.

Une discussion par Internet

Les propos tenus par Adlène Hicheur dans sa correspondance ne sont, en effet, pas innocents. Le 10 mars 2009, il écrit : « Il s’agit de punir l’État à cause de ses activités militaires au pays des musulmans (Afghanistan) alors, il support (sic) d’être un pur objectif militaire (comme exemple base d’aviation de la commune de Karan Jefrier près de la ville d’Annecy, en France). Cette base entraîne des forces et les envoie en Afghanistan » (traduction littérale d’un e-mail en arabe).

Assis sous le portrait d’Alfred Dreyfus, au siège de la Ligue des droits de l’homme, Patrick Baudouin, avocat d’Adlène Hicheur, souligne qu’il ne s’agit que d’une discussion par Internet. « Il n’y a jamais le moindre début d’intention, de mise en œuvre d’un projet précis relatif à la préparation d’un acte terroriste concret. » Prenant ensuite la parole, Halim Hicheur, frère d’Adlène, rappelle que celui qui a menacé un adversaire politique d’être « pendu à un croc de boucher » n’a pas été inquiété par la justice.

Les jeunes de Tarnac

Étrangement, l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris du juge Christophe Teissier ne mentionne que très anecdotiquement l’interrogatoire de Mustapha Debchi par la justice algérienne, qui remonterait à février 2011. On ignore même si cet homme, présenté comme un responsable de l’Aqmi, est actuellement emprisonné.

« Si l’affaire de Tarnac a déraillé, si les juges et les policiers se sont ridiculisés, c’est parce que ce dossier impliquait de jeunes gens intelligents, diplômés, blancs, issus de la classe moyenne. La population a pu s’identifier à eux, les comprendre. Et ils ont été libérés. Malheureusement, Adlène Hicheur n’a pas bénéficié du même phénomène, car il est d’origine algérienne, il est soupçonné d’être un musulman radical », constate Jérémie Assous, avocat des mis en examen de l’affaire Tarnac.

Leur presse (Ian Hamel, LePoint.fr, 16 mars 2012)


Antiterrorisme : Hicheur/Tarnac, même combat

Lors d’une conférence de presse à la Ligue des droits de l’Homme, les mis en examen de Tarnac et les proches d’Adlène Hicheur ont fait cause commune contre les méthodes de l’antiterrorisme français.

Depuis octobre 2009, Adlène Hicheur dort en prison. Ce Lyonnais de 35 ans, docteur en physique des particules, est mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

Soupçonné d’avoir préparé des attentats islamistes sur le sol français à partir de ses conversations sur Internet, il sera jugé les 29 et 30 mars prochains au tribunal correctionnel de Paris. Deux demi-journées d’audience sont prévues, en formation antiterroriste.

Ce jeudi dans les locaux de la Ligue des droits de l’homme, à Paris, Halim Hicheur porte un T-shirt orange, floqué des “902 jours” de détention de son frère. Il s’élève contre une image fabriquée d’Adlène Hicheur, présenté comme “un loup solitaire autoradicalisé”.

Une vingtaine de journalistes a fait le déplacement. Aurait-il obtenu un tel auditoire sans ce mariage de la carpe et du lapin ? Près de lui siègent deux des “jeunes révoltés” de Tarnac, selon le mot de leur avocat. Une affaire invisible en côtoie une autre, surmédiatisée, à l’occasion d’une démarche commune : dénoncer “la justice d’exception” antiterroriste, quelles qu’en soient les cibles.

Les deux faces d’une même pièce

Pour les animateurs de la discussion, “l’affaire de Tarnac” et “l’affaire Hicheur” seraient les deux faces d’une même pièce : l’utilisation des services de renseignement comme police politique. La désignation commune d’un “ennemi intérieur”, l’ultragauche dans un cas, l’islamisme dans l’autre. Patrick Baudoin, l’avocat d’Adlène Hicheur, parle de son client quand il déclare :

“Il faut combattre la justice antiterroriste. On part d’une vérité pré-établie qu’il faut confirmer à tout prix, à partir d’un “profil idéal”. L’affirmation de la culpabilité est le seul objet qui a guidé le magistrat instructeur, censé instruire à charge et à décharge. Nous revendiquons le droit à un procès équitable.”

Mais ses propos pourraient aussi bien sortir de la bouche de Jérémie Assous, son homologue dans l’affaire de Tarnac. Celui-ci donne des billes à son confrère, en reprochant aux médias leur réflexe d’adhésion à la version policière :

“Si, plusieurs mois après les arrestations, l’affaire de Tarnac a déraillé, c’est en grande partie grâce aux médias. C’est lié à la personnalité des mis en cause : des personnes ‘de gauche’, blanches, issues de la classe moyenne. Pour Adlène Hicheur, il n’y a pas eu cette identification des journalistes. Il y a eu une espèce de confiance : ce sont des musulmans, on s’en remet à la justice.”

Dans les deux cas, le ministre de l’Intérieur s’est félicité publiquement des arrestations avant même la fin des gardes à vue. Ce qui fait dire à Benjamin Rosoux, l’un des mis en examen de Tarnac :

“Nous sommes les deux mamelles de l’antiterrorisme aujourd’hui réunies. Toute l’œuvre de la DCRI depuis sa création est une grande entreprise de communication. Les opérations antiterroristes visent à convaincre l’essentiel de la population qu’il y a effectivement une menace. Ce qui reste, c’est la première image : celle du terroriste islamiste qui travaille dans le domaine nucléaire.”

« Le but de l’antiterrorisme est de raconter une histoire qui fait peur »

En Suisse, où travaillait Adlène Hicheur, la justice a clos le dossier. Faute de preuves, explique l’un de ses collègues. “Il est très difficile de savoir exactement ce qui lui est reproché”, renchérit Jean-Pierre Lees, le président de son comité de soutien. Il cite une phrase du procureur français pour en démontrer l’acharnement : “Je ne pense pas que deux ans de prison suffisent pour le faire revenir sur ses opinions radicales.” Malgré une vingtaine de demandes de remise en liberté, le chercheur est toujours enfermé à Fresnes.

Les mis en examen de Tarnac, eux, sont tous libres depuis belle lurette. Pourtant, Mathieu Burnel estime qu’il n’y a “aucune raison d’attaquer l’antiterrorisme dans notre cas et de ne pas le faire pour Adlène Hicheur”.

“Le but de l’antiterrorisme n’est jamais vraiment de saisir des faits, mais de raconter une histoire qui fait peur, pour ensuite mieux rassurer.”

Dénonçant le “marketing sécuritaire”, Patrick Baudoin soulève plusieurs points problématiques dans la procédure qui frappe son client : “l’absence d’éléments nouveaux” en deux ans d’instruction, un procès-verbal d’interrogatoire tronqué en Algérie, des “traductions approximatives ou inexactes de l’arabe au français”, des “tentatives de subornation de témoin”.

Dans quinze jours, l’affaire Hicheur pourra être débattue publiquement. Pour celle de Tarnac, l’instruction est toujours en cours, depuis trois ans.

Leur presse (Camille Polloni, LesInrocks.com, 16 mars 2012)


L’affaire Hicheur, « emblématique des dérives de la lutte antiterroriste »

Adlène Hicheur, physicien du Cern (Centre européen de recherche nucléaire), a été interpellé le 8 octobre 2009, soupçonné d’avoir envisagé des actes terroristes. Il est en détention provisoire depuis plus de deux ans, et sera jugé les 29 et 30 mars prochains. Ses soutiens dénoncent aujourd’hui « une justice d’exception » contraire aux droits de l’homme.

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Les soutiens d'Adlene Hicheur (ici son frère et son avocat) dénoncent une enquête à charge.

« On l’a présenté dès le départ comme le coupable idéal », s’insurge Me Patrick  Baudouin, l’avocat d’Adlène Hicheur. Pour lui, son client est la victime du « rouleau compresseur de la justice antiterroriste ». Le président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme dénonce lui une « justice d’exception, qui ignore largement les droits de la défense et piétine un certain nombre de nos principes ». Les soutiens du physicien tentent aujourd’hui d’attirer l’attention sur son cas, plus de deux ans après son incarcération.

« Une instruction totalement à charge »

D’autant que pour eux, le dossier est quasiment vide. L’accusation s’appuie sur des mails échangés entre Adlène Hicheur et un chef d’Al-Qaeda. L’avocat parle lui d’une « instruction totalement à charge », et d’un « marketing sécuritaire », consistant à « partir d’une vérité pré-établie qu’il faut conforter à tout prix ». Il évoque notamment des manipulations, des traductions arabe-français « à charge », ainsi que des tentatives de subornation de témoin. « Que reste-t-il ? Des échanges de mails. Mais tout est resté au stade de l’échange. Il refuse tout, il n’accepte rien. Il n’y a jamais de la part de Hicheur de début d’intention de mise en œuvre d’un projet précis et terroriste. »

Le 8 octobre 2009, Adlène Hicheur est interpellé à Vienne (Isère) et mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Il est placé en détention provisoire quatre jours plus tard et y est toujours aujourd’hui : ses quinze demandes de remise en liberté ont toutes été refusées. « C’est Guantanamo ! » s’insurge aujourd’hui Me Baudouin. « La justice a du mal à reconnaître ses erreurs. »

Leur presse (Olivier Bénis, FranceInfo.fr, 15 mars 2012)


Les mystères de l’affaire Hicheur

Adlène Hicheur, un physicien de 35 ans, sera jugé les 29 et 30 mars pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Ses proches se mobilisent.

À deux semaines du procès d’un jeune chercheur franco-algérien du Cern (Conseil européen pour la recherche nucléaire), soupçonné d' »association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », la défense lance la contre-offensive médiatique. Me Patrick Baudouin, conseil d’Adlène Hicheur, tenait ce jeudi matin une conférence de presse, au siège parisien de la Ligue des droits de l’homme, au côté de la famille du scientifique et de son comité de soutien.

La bataille se déroule sur deux fronts. Judiciairement, il s’agit de dénoncer un dossier qualifié de « fragile ». Politiquement, le propos se veut de portée plus générale: Me Baudouin stigmatise une affaire, selon lui, « emblématique des dérives de la lutte antiterroriste ». Deux des mis en examen de l’affaire dite de « Tarnac » (ces militants d’extrême-gauche sont soupçonnés d’avoir posé des fers à béton sur des caténaires de TGV en novembre 2008) et leur avocat, Me Jérémie Assous, étaient d’ailleurs présents à la conférence de presse.

Des emails interceptés alertent la police

Adlène Hicheur, 35 ans, docteur en physique et enseignant chercheur au Cern de Genève, est incarcéré depuis son arrestation, le 8 octobre 2009, au matin, alors qu’il s’apprêtait à prendre un vol aller et retour pour l’Algérie. Les enquêteurs de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) avaient été alertés dès 2008 par des emails interceptés: les policiers spécialisés enquêtaient alors sur une filière d’acheminement de djihadistes depuis la Belgique vers l’Afghanistan.

De fil en aiguille, certains messages électronique auraient conduit à un ordinateur utilisé par Adlène Hicheur. À cette époque, le jeune homme, cloué chez lui à cause d’une sciatique, surfe sur Internet, notamment sur des forums islamistes. Trente-cinq échanges d’email forment le socle de l’accusation, comme l’a relevé le quotidien Libération. Leur contenu, qui n’est pas contesté par la défense, laisse peu de doute sur la radicalisation du jeune homme: Adlène Hicheur est alors en contact avec un homme présenté par les policiers comme l’un des cadres d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi).

Qui est vraiment Mustapha Debchi, son interlocuteur d’Aqmi sur Internet ?

Hicheur, sollicité à plusieurs reprises par son interlocuteur, évoque la possibilité de s’en prendre à des cibles comme Total ou comme une caserne de chasseurs alpins, unité engagée en Afghanistan. Pour autant, les enquêteurs ne découvrent aucun projet concret, laissant penser que leur suspect va passer à l’action ou même qu’il cherche à acquérir les composants d’une bombe. « Ces propos [échangés sur Internet] sont critiquables, convient Me Patrick Baudouin. Mais suffisent-ils à justifier cette mise en examen et cette longue détention provisoire dès lors qu’il n’y a pas le moindre début d’intention de mise en œuvre d’un projet d’attentat ? C’est du marketing sécuritaire ! »

L’affaire illustre, en tout cas, la difficulté du passage d’une surveillance des milieux islamistes radicaux sur le Net à une phase de poursuites judiciaires. L’examen du dossier montre de ce point de vue le rôle central joué par un interlocuteur sur Internet du scientifique, Mustapha Debchi. Cet homme, qui serait membre d’Aqmi a, semble-t-il, été arrêté par les autorités algériennes. Celles-ci l’auraient interrogé en février 2011. Le procès-verbal reproduisant l’interrogatoire, et transmis à la justice française sous la forme d’une commission rogatoire internationale, « charge » Adlène Hicheur. Mais le parcours, les motivations et même l’identité véritable de Mustapha Debchi restent sujets à caution.

Adlène Hicheur, lui, doit comparaître détenu devant la 14e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris les 29 et 30 mars prochain.

Leur presse (Éric Pelletier, LExpress.fr, 15 mars 2012)

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Une réponse à [« Antiterrorisme »] Bas les pattes sur Adlène Hicheur

  1. ping dit :

    Les vidéos des interventions.
    http://www.adlenehicheur.fr/video.html

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