À propos des meurtres de Toulouse

Les faits, tout le monde les connaît, ils ont été ressassés jusqu’à l’extrême, jusqu’à l’obscène (direct live sur la traque, sur la souricière, sur l’assaut…). Chacun a pu se prendre, l’espace d’un instant, pour un enquêteur.

Reste l’essentiel : de quoi ces meurtres sont-ils significatifs ? Là aussi, laissons la description du meurtrier de côté : la presse, les politiques ont assez parlé là-dessus pour chacun tirer la couverture à soi ou étayer leurs propos plus ou moins nauséabonds.

On ne peut pas non plus se contenter des déclarations bateau qui tentent d’empêcher toute possibilité de penser cette situation (au choix : « il n’y a rien à dire, c’est de l’islamisme, du terrorisme », ou bien : « ce sont les conditions sociales qui ont créé le terrain propice à ces actes meurtriers inexcusables »).

Non, il faut penser ces meurtres, parce que ce sont des meurtres d’aujourd’hui, dans la France d’aujourd’hui, et qu’ils disent quelque chose du pays dans lequel nous vivons, de ce qu’il est, de ce qu’il devient, des rapports entre les gens qui y vivent, et des possibles qui nous sont proposés : malgré les différentes tentatives des politiques et des média pour « externaliser » le meurtrier, il s’agit d’une affaire franco-française, qui s’enracine, s’alimente et éclôt dans la société française d’aujourd’hui, et qui nous parle de la France d’aujourd’hui. C’est là-dessus qu’il faut réfléchir.

1°) Les meurtres qui ont eu lieu, ce passage à l’acte ignoble, n’ont rien à voir avec une quelconque idée de la justice, du droit des gens, du respect des gens. Ils ne sont en réalité que l’exacte réplique de la proposition étatique actuelle : tout se traite, se pense, s’appréhende et se « résout » par la violence et le mépris des gens. Mohamed Merah, ses actes, sa pensée ne sont que le revers de la médaille étatique : les gens n’y ont aucune place, les principes pour tous n’y ont aucune place, l’intérêt général n’y a aucune place.

2°) Il y a plus de 10 ans maintenant que l’État et les partis n’ont d’autre proposition que la violence étatique brute pour résoudre tout conflit ou toute situation nouvelle (voir par ecemple les répressions des mouvements contre les licenciements – Arcelor et autres). Il n’y a plus de « rapports négociés » possibles : seule compte la raison d’État. Les gens, eux, leur vie, ce qu’ils peuvent dire, faire, penser, demander… n’ont aucune importance, aucune légitimité. Il n’existe que la décision étatique, qui doit être appliquée. Les exemples sont innombrables : la retraite, les expulsions massives et la fabrication de nouveaux sans-papiers par les préfectures et le CESEDA, les mesures brutales et racistes contre les Roms, les décisions brutales de fermetures de classes, de suppressions de postes, etc.
Le tout justifié par un discours d’exclusion, de division, de stigmatisation d’une partie de la population : étrangers, chômeurs, musulmans, malades, pauvres… accusés de « coûter cher » et de « frauder ». Appels incessants à la haine et à la violence, qui ne peuvent rester sans effets !

3°) Dans les faits, l’État « laisse tomber les gens » : il dit et pratique le fait que ce qui arrive aux gens ordinaires ne l’intéresse pas, ne fait pas partie de ses soucis, de ses devoirs. Son rapport aux gens, c’est le mépris affiché, c’est la violence pure au travers de sa police et de ses lois, pour protéger les privilèges des politiques et des capitalistes, auxquels les lois ordinaires ne s’appliquent plus (voir les affaires Bettencourt, Woerth, etc.). Tout ce qui pourrait permettre une vie meilleure, dans les domaines du logement, de la santé, de l’éducation, des services, de l’emploi … est remanié dans le seul objectif d’une rentabilité maximale au profit des puissants.

4°) À l’extérieur aussi, la violence guide la politique : la France est un pays en guerre depuis maintenant plus de 20 ans (Yougoslavie, Irak, Afghanistan, Libye, Côte d’Ivoire, peut-être demain l’Iran…). L’État a pris et prend seul les décisions d’interventions armées dans des pays étrangers. Qu’il justifie la guerre au nom de « l’humanitaire, les droits de l’homme, la démocratie… » n’en change pas la nature, cela la rend juste « acceptable » pour une partie des gens, la normalise et permet, là encore, de présenter quiconque conteste la justesse de ces guerres comme un dangereux agitateur, une graine de terroriste.
Sous la direction de l’État, la guerre devient le mode de relation à l’autre, à l’intérieur comme à l’extérieur. Quoi d’étonnant dans ces conditions à ce que des tueurs plus ou moins isolés commencent à se réclamer de « causes » où ils ne se sont d’ailleurs jamais engagés (Palestine, Afghanistan, religion…) pour justifier leurs meurtres ?

5°) Mais on n’est pas obligé de penser comme et avec l’État ! On peut penser, agir, décider autrement, à partir du réel, de ce qu’on vit, de ce que vivent les autres avec nous, et non de ce que l’État nous en dit ou nous en présente. Il faut arrêter de se penser, de penser les autres, avec les étiquettes que nous collent l’État et les média : il n’y a pas plus « dʼimmigrés » que de « Français de souche » : il y a des habitants qui vivent ensemble, qui ensemble font le pays, affrontent des difficultés et cherchent à les résoudre.
Et pour les résoudre, il y a soit le possible de l’État, sa proposition du « chacun pour soi, chacun contre les autres », soit un autre possible, celui de la capacité de chacun à penser la situation à partir de principes pour tous, dans l’intérêt général, et à agir pour leur mise en œuvre :
• le pays doit être pour tous,
• chaque personne dans le pays doit compter à égalité avec quiconque.

Des gens y travaillent ici ou là, à leur échelle. On peut, on doit, rendre visible, faire connaître et soumettre à la réflexion de tous lʼintelligence collective produites par ces expériences. Alors, des idées, des pensées, des interventions dans le réel deviennent concrètes, ont des effets et transforment les choses dans la durée. Il est clair qu’il existe d’autres possibles que celui de l’État, et qu’il revient à ceux qui le veulent de les mettre en œuvre.

Autrement dit, il est urgent ET POSSIBLE de poser des limites au présent actuel de crimes, de mépris, de violences contre les gens, et à la pensée unique qui le justifie, en élaborant des principes pour tous, en décidant d’être garants de l’intérêt général. C’est ce travail, que certains font déjà, que nous appelons chacun à faire, en son nom, par sa présence, sa pensée, sa proposition.

Ceux qui veulent le Pays pour tous
Toulouse, le 31 mars 2011

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