[Tunisie] La police travaille

Tunisie : un blogueur se dresse contre la brutalité policière

La police tunisienne fait tout pour démontrer qu’elle n’a été que l’instrument d’une dictature, à son corps défendant. Il est vrai que les agents étaient maintenus dans un état de frustration permanente, au nom d’une technique de management cynique, mais efficace  : traiter les policiers comme des chiens affamés pour les rendre plus agressifs.

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Le Ministère de l'Intérieur à Tunis

Depuis le changement de régime, leurs salaires ont été revalorisés et, au quotidien, les relations avec la population sont devenues nettement plus respectueuses.

Mais certains policiers tunisiens n’ont visiblement pas tiré les enseignements de la révolution, et n’ont pas compris que les méthodes de l’époque Ben Ali n’étaient plus admissibles. Zakaria Bouguerra, étudiant en médecine et jeune blogueur, détenu mardi pendant deux heures au commissariat de Bab Bnet, au centre de Tunis, en fait la douloureuse expérience, relatée par le site Naawat.

L’histoire commence le 13 novembre. L’Espérance sportive de Tunis, l’une des deux équipes de football de la capitale, reçoit celle de Casablanca.

Alors qu’ils attendent à l’aéroport leur vol de retour, quelques supporteurs marocains commencent à s’agiter et détériorent du matériel informatique. La réaction policière est particulièrement brutale et les arrestations, plus que musclées.

Zakaria Bouguerra assiste à la scène  :

« Tout un groupe de policiers (une vingtaine à peu prés) sortent avec d’autres Marocains en sang. […] C’étaient des gamins. Leurs pulls étaient déchirés et certains n’avaient plus de chaussures.

Un des Marocains tombe par terre pensant peut être diminuer la cadence des coups, mais au lieu d’avoir trois policiers sur lui, c’est maintenant une dizaine qui se ruent sur son corps à coups de brodequins sur le dos. »

«  Il veut nous mettre sur Facebook ! »

Il tente alors de filmer ce qu’il voit. Mais un policier en civil l’en empêche  :

« Il arrache mon téléphone et me maîtrise. Il appelle ses amis “Un traître  ! Un traître  !  Il veut nous mettre sur Facebook”. »

Jeté à terre, roué de coups de pieds, il est ensuite conduit au poste de police de l’aéroport.

« La porte s’ouvre. Quatre policiers baraqués me regardent et me disent “C’est toi le Tunisien ?” Naïf comme je suis, je leur réponds oui. “Non, toi tu n’es pas Tunisien ! Toi tu es un traître ! Toi, tu es un Israélien.” Ils me relèvent et se liguent contre moi.

Un Marocain s’écrie “Non, laissez-le, il a rien fait, il n’était pas avec nous !” D’un coup de botte dans la gueule, un des policiers le fait taire. »

Dans l’esprit des policiers, ce ne sont pas leurs méthodes qui les ont décrédibilisés, mais la visibilité que leur ont donnée les réseaux sociaux  :

« Un gros bonhomme s’approche sournoisement de moi. […] Il me dit tout doucement N’aie pas peur, je vais rien te faire. Tu es Tunisien ? Tu voulais filmer les policiers ? Je baisse ma garde et je hoche la tête.

Un coup, deux coups, trois coups. Ma tête résonne sous les chocs, je ne sens plus mon visage. Un poing percute ma tête au niveau de la bouche, mes lèvres éclatent dans une éclaboussure de sang. Rabbek, tu veux brûler le pays ? Les policiers sont devenus des moins que rien à cause de votre Facebook et de votre révolution !” »

Dans la suite de son témoignage, il raconte comment un policier écrase la tête d’un supporter marocain en train de vomir de douleur sur la cuvette des toilettes.

Les journaux marocains avaient dénoncé cette brutalité, sans mentionner les actes de vandalisme. Les médias tunisiens en revanche n’avaient pas mentionné le comportement des policiers. Mieux, rapporte Zakaria Bouguerra, les journalistes de la chaîne nationale et de Hannibal TV avaient demandé aux policiers de donner des pulls sans tâches de sang aux jeunes Marocains interpellés avant de les filmer. Les policiers ne sont pas les seuls à conserver les vieilles habitudes.

« C’est moi le citoyen, ton maître »

Le 20 janvier, le jeune avait croisé le policier qu’il avait vu écraser le visage d’un Marocain contre la cuvette des toilettes et qui se trouve être le secrétaire général de la section de l’aéroport du syndicat des policiers aux frontières, Issam Dardouri.

Dans le dialogue qu’il relate dans son blog, il a cette répartie impeccable quand le policier lui demande s’il veut lui apprendre son métier  :

« Oui je vais t’apprendre à travailler ! Car tu es mon serviteur ! Tu travailles pour moi ! C’est moi le citoyen, ton maître, qui paye tes salaires. »

On ne saurait mieux résumer le sens de la révolution tunisienne.

Promesse

Le 1er février, alors qu’il assiste à une manifestation en faveur de Samir Feriani (un policier au cœur d’un contentieux avec sa hiérarchie), Zakaria Bouguerra est reconnu par Issam Dardouri.

Cette fois, le policier rameute des collègues qui embarquent le jeune homme au poste de police le plus proche en le rouant de coups. L’histoire se termine par la promesse écrite des deux protagonistes de ne plus s’adresser la parole et, pour le jeune blogueur, de ne plus mentionner le nom du policier.

Ce silence imposé ne suffira pas à redonner de la respectabilité à une corporation qui se plaint d’être victime aujourd’hui de violences de la part de délinquants, mais qui peine à faire sa révolution et il faudra plus que l’audace d’un jeune bloggeur pour qu’elle mène à bien sa mutation.

Aller plus loin :

Le blogueur et activiste Zakaria Bouguerra encore une fois agressé par la police (nawaat.org)

Police tunisienne : l’opération séduction n’aboutira pas de cette façon (nawaat.org)

Quand la police a peur, elle sort ses griffes (webdo.tn)

Agressions contre les forces de sécurité intérieure : Le ras-le bol des policiers (africatime.com)

Leur presse (Thierry Brésillon, blog Rue89 «Tunisie libre », 4 février 2012)

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