Dans la soirée du 31 décembre, des feux d’artifice ont été tirés autour de la Maison d’Arrêt de Varces, accompagnés de phrases criées à l’attention des prisonniers : « Pour les bonnes résolutions : ni prison, ni maton, mais plein d’évasions », « Liberté ! Solidarité ! », « Détruisons les prisons », « Ni prison ni maton n’arrêteront nos rébellions ».
Les cris des prisonniers à l’intérieur sont rapidement venus s’ajouter aux bruits de pétards et aux cris à l’extérieur. On espère que cela aura un tant soit peu contribué à gâcher le réveillon des matons en poste ce soir-là et à briser la mortifère monotonie carcérale.
Alors voilà, ça s’est passé le 31 décembre mais on n’était pas là pour souhaiter une bonne année, parce qu’on pense que les vœux de fin d’année ne sont qu’une manière de se souhaiter que rien ne change alors qu’en vrai, nous, on veut tout changer.
On n’est pas venu souhaiter une bonne santé.
Parce que la réalité de la taule produit plutôt l’inverse : ça abime les corps à vitesse « grand V ».
Des plombes pour voir un.e dentiste pour une carie qui finira par tourner en rage de dent (en rage dedans ?…).
La bouffe dégueulasse qui, si elle n’est pas complétée en cantinant (cher…), ne permet pas d’avoir une alimentation équilibrée.
Le cercle vicieux de la fatigue psychique qui diminue les défenses immunitaires alimenté par le manque d’activité physique et les troubles du sommeil.
Les troubles de la vue générés par le fait qu’en cellule, le regard ne porte jamais bien loin ; les murs, les barreaux et les grilles fatiguent les yeux de celles et ceux qui cherchent l’horizon.
La réalité des soins en taule c’est aussi le cachetonnage massif, avec la complicité des soignant.es, de celles et ceux qui sont trop « agité.es » aux yeux de l’administration pénitentiaire.
Combien de rebelles endormi.es par la camisole chimique ne sont plus ainsi en mesure de se reconnaître les un.es les autres ?
La santé mise à mal par l’enfermement provoque parfois des malaises, réels… ou simulés, comme celui qui a permis à un taulard de s’échapper de Corbas (maison d’arrêt ultra moderne et sécurisée de Lyon), lors d’un transfert, le 8 décembre.
Il a pu se planquer durant deux heures sous un véhicule dans les environs, avant d’être balancé par un habitant du quartier. Même dans ces bunkers, il reste des failles…
On n’est pas non plus venu souhaiter la réussite professionnelle.
Parce que le travail en prison est un moyen d’occuper ses journées, de rapporter un peu de thunes, de dépenser son énergie, mais sous étroite surveillance et dans des conditions dégueulasses [L’absence de droit du travail en taule permet aux entreprises de s’enrichir grassement sur le dos des taulard.es qui bossent pour elles en les payant en moyenne 3 euros de l’heure].
Mais pour qui en fait ?
Pour des entreprises comme Eiffage, Sodexo au chiffre d’affaire extrêmement élevé (jusqu’à plusieurs milliards annuels) qui en plus de se faire du fric en gérant des prisons, imposent aux prisonnier.ères qui veulent bosser ce terrible paradoxe de devoir participer à l’entretien des murs qui les enferment.
Le travail en prison c’est des prisonniers.ères esclaves et une source de profit facile pour des entreprises comme Renault ou Orange qui font de la sous-traitance et peuvent éventuellement prétendre participer à la réinsertion de celles et ceux qu’elles exploitent. Il paraît en effet que c’est un bon moyen de s’intégrer, et pourtant c’est tellement difficile de trouver du travail après avoir été en taule.
Et puis s’intégrer à quoi ?
C’est plutôt un moyen de pacification en prison comme ailleurs parce qu’en travaillant on peut gagner un peu d’argent, être moins dans la misère.
L’administration pénitentiaire a tout intérêt à ce que les détenu.es passent leur énergie au travail, c’est encore un des meilleurs moyens pour mater l’esprit de révolte.
À l’intérieur, on peut malgré tout apprécier le fait de quitter la cellule, de voir d’autres prisonnier.ères, de savoir utiliser des machines et outils… ce qui peut avoir de multiples usages !
On n’est bien sûr pas venu pour souhaiter « du succès dans les amours ».
Parce que la taule isole de celles et ceux qu’on aime. Elle observe de ses sales yeux inquisiteurs les moments de retouvailles, en lisant les lettres échangées, en surveillant les parloirs, en transférant selon son gré les personnes loin de leurs proches. La taule cherche à abîmer les liens qui nous sont précieux, à créer / entretenir une misère affective qui isole et détruit encore plus.
En même temps, elle impose le contact avec d’autres qu’on n’a pas choisi, et en premier lieu avec les uniformes : contacts physiques imposés lors des fouilles à répétition, contacts quotidiens pour manger, aller en promenade, avoir son courrier. Quand le maton fait partie du paysage et que les personnes qu’on aime sont (généralement) de l’autre côté des barreaux, est-ce qu’on peut encore parler de « vie sentimentale » ?
Est-ce qu’on est libre de s’aimer dehors ?
D’aimer qui on veut, hommes et / ou femmes, comme on le veut, en dehors de la famille, de la religion et des conventions ?
Ces normes, si pesantes au dehors, sont encore plus lourdes à l’intérieur dans cet univers complètement hostile. À la misère affective et à l’isolement, nous voulons opposer la solidarité, et des cœurs qui battent sans foi ni loi !
On ne veut souhaiter ni bonheur, ni prospérité, ni réussite…
Images d’une vie parfaite dans un monde en toc, qui se garde bien de montrer l’envers de son décor !
C’est bien la réussite sociale individuelle, cette carotte qui nous fait accepter de perdre notre vie à la gagner, en espérant pouvoir s’acheter une maison, une voiture et fonder une famille, après avoir trimé des années.
Ce pauvre rêve de mettre un collier doré autour de son cou ne nous fait pas envie, et nous savons en plus qu’il reste inaccessible à beaucoup. Souvent, les heures passées au boulot ou à la débrouille ne servent qu’à payer difficilement les factures et maintenir la galère, et il faudrait en plus faire semblant d’aimer ça…
La carotte fonctionne bien parce qu’elle s’accompagne du bâton. Le bâton des contrôles réguliers sous ses différentes formes (la CAF, le Pôle Emploi, les travailleurs sociaux, les flics). Le contrôle plus diffus de la bonne morale, du voisinage, des caméras…
La peur de s’écarter du « droit chemin », d’être désigné du doigt, de finir en prison, la résignation à une pauvre vie.
Le capitalisme ne laissera jamais à tout le monde la possibilité d’avoir une place au soleil ; la démocratie laisse croire que si on en discute, on trouvera des arrangements.
C’est parce qu’il y a des prisons que ce monde en toc se maintient.
Nous ne voulons pas l’améliorer, mais le renverser !
Pour 2012, pas de réveillon, mais de belles rébellions !!!
Indymedia Grenoble, 5 janvier 2012.