Champ-Dollon fait face aux mutins
L’année 2011 a été marquée par une recrudescence de rébellions à la prison de Champ-Dollon. Après quelques épisodes violents successifs, à la fin de 2010 (gardiens blessés et mordus lors de rixes), l’année 2011 a connu les mêmes tensions. « Ça tiendra jusqu’à ce que ça implose », lâche Éric Schmid, président du syndicat des gardiens de prison. Sans vouloir être alarmiste, celui qui arpente les couloirs de la prison préventive depuis treize ans dresse un constat sévère : « On est dans une marmite qui va exploser. Quand ? Demain, dans deux ans… Nous sommes tous conscients de cette réalité. »
Incendies de cellules
Les hostilités démarrent le 24 janvier déjà lorsqu’un détenu boute le feu à sa cellule. Devenu tristement classique, l’événement ne fait pas de blessé, mais mobilise un nombre important d’employés. « À chaque alarme de ce type, les forces sont multipliées dans le secteur et ce sont les autres détenus qui en font les frais, déplore le syndicaliste. La tension est toujours très forte pour nous, mais les équipes sont bien préparées et comme ce sont souvent des cas isolés, les choses rentrent rapidement dans l’ordre.
La pression descend un peu dès la fin de janvier avec une chute du nombre de détenus, passant de plus de 600 parfois en 2010 à une moyenne de 480 ce printemps. « Cette baisse était liée à l’entrée en force du nouveau Code de procédure pénale, explique le gardien. Les petits délinquants n’étaient plus systématiquement envoyés derrière les barreaux. »
En juillet, l’ouverture de 100 places dans une nouvelle annexe a aussi soulagé le personnel. « On a eu jusqu’à 91 détenus dormant sur des matelas au sol. Imaginez les tensions dans des cellules prévues pour une personne où trois détenus s’entassaient. » Mais la nouvelle répartition des prévenus ne résout pas les problèmes de surpopulation. Aujourd’hui, la prison compte plus de 580 pensionnaires pour 370 places officielles. « On a toujours trop de monde dans un même périmètre carcéral. Le vrai problème est là. Au-delà de la surpopulation carcérale, on n’a plus la place pour augmenter le personnel. »
60 détenus se rebellent
Le 17 août, un nouveau feu de cellule ravive les hostilités. Cinq employés de la prison sont hospitalisés pour une intoxication à la fumée. L’auteur de l’incendie de matelas est mis en cellule forte. Deux jours plus tard, une mutinerie éclate. Vingt-cinq détenus refusent de regagner leur cellule et réclament la libération de plusieurs instigateurs de troubles, enfermés aux cachots. « Les bagarres entre détenus sont quasi quotidiennes. Les agressions verbales envers le personnel aussi, regrette le syndicaliste. Des sanctions sont prises régulièrement à leur encontre. Mais il y a ceux qui en tirent les conséquences et changent de comportement et une partie de nos pensionnaires qui se fichent éperdument de toutes les règles et n’ont aucun respect ni pour leurs codétenus, ni pour nous. » La mutinerie se termine sans heurts et sans concession.
Le 12 septembre, une nouvelle cellule s’embrase, mais le personnel maîtrise l’individu et le feu très rapidement, sans conséquence. La rébellion du 31 octobre, en revanche, prend de l’ampleur. Soixante détenus des ateliers refusent de regagner leurs cellules dans l’aile est. « Ils étaient heureusement plutôt calmes, mais intransigeants sur leurs revendications. » Cause de leur courroux ? Le nouveau bâtiment carcéral, trop moderne, trop aseptisé. Une revendication truculente à laquelle s’ajoute la demande d’accès à la salle de sport, impossible pour tous, en raison du surnombre de détenus.
Là encore, la mutinerie se solde par un retour au calme après plusieurs heures de discussion et un nombre important de forces de sécurité déployées. « Le citoyen paie les frais de tout ça, déplore Éric Schmid. Les forces de police que nous devons appeler en renfort ne sont, dès lors, plus disponibles en ville. » À l’heure où les Genevois réclament à cor et à cri plus de policiers dans les rues, on s’interroge sur cet appui, alors que la prison a un service de sécurité. « Nous ne sommes pas formés pour ça, insiste Éric Schmid. Les agents de détention sont prêts à intervenir lors de rixes ou de problèmes simples en cellule. Nous ne sommes pas armés. » Une mesure que le syndicaliste défend : « Il est important que ce soit d’autres personnes qui interviennent. On ne peut pas demander à un gardien de maîtriser un mutin et de lui apporter son plateau-déjeuner le lendemain matin. Nous devons instaurer un rapport d’autorité avec eux, tout en créant un lien de confiance. »
« On pare l’urgence »
« Le métier a changé, on n’est plus là pour accompagner les détenus, on ne fait que parer l’urgence. » Une situation qui, outre détériorer les conditions de travail des employés, attise les tensions dans les cellules. « Qu’on ne puisse plus répondre à des demandes très simples, comme faire suivre une autorisation de téléphoner ou apporter quelque chose, rend la personne en détention plus nerveuse, assure Éric Schmid. Imaginez quelqu’un qui n’a rien à faire de sa journée et attend de pouvoir prendre une douche ou aller à l’infirmerie. Ça les rend cinglés et souvent très agressifs. » Mais cette réalité quotidienne difficile n’entrave pas l’enthousiasme des troupes. « Il faut toujours rester optimiste, mais se battre aussi pour le respect de la fonction. »
Leur presse (Isabel Jan-Hess, Tribune de Genève), 26 décembre 2011.