[Égypte] Dernières nouvelles du Caire

[Jeudi 24 novembre] Tahrir est calme du côté de la rue Mohammad Mahmoud, un mur a été élevé par l’armée mais réduit de moitié par les manifestants pour permettre de voir ceux qui viennent de l’autre côté.

Hier soir j’ai passé deux heures sur la place, entre 10h et 12h, j’ai pu voir des dizaines de blessés transportés dans les hôpitaux sur place, et d’autres blessés plus graves évacués sur des motos ou par les ambulances vers d’autres hôpitaux extérieurs.

Je me suis rendue ce matin à l’hôpital installé dans l’église de Garden City, il y avait des blessés dont le corps était criblé par les balles des cartouches et qu’il fallait extraire.

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Des corps de manifestants égyptiens gisent par terre sur la place Tahrir au Caire, peu après l'intervention de la police militaire pour mettre fin à un sit-in, le 20 novembre 2011.

Au cours de la conférence de presse qui a eu lieu ce matin dans la grande salle de Madinet Nasr, Chahine et Fangari ont déclaré que ceux qui sont sur toutes les places de l’Égypte ne représentaient pas le peuple égyptien et que demain ceux qui sortiront à Abasséya en sont les vrais représentants.

Notez donc, demain vendredi 25, le Askari mobilisera des milliers d’égyptiens, à Abasséya, contre Tahrir, un scénario ignoble à la yéménite et à la syrienne se prépare.

Demain sera une journée décisive.

En parallèle nous avons la bataille des élections du syndicat des ingénieurs, nous pouvons craindre que la mobilisation menée depuis des mois ne porte pas ses fruits et que les gens préfèrent aller à Tahrir laissant la place libre aux frères qui n’y participent pas, c’est un enjeu important.

Concernant l’état des élections, certains partis de la Kotla et de El Sawra Mostaméra, ont déclaré suspendre leur campagne, mais sont encore incapables de prendre une décision ferme pour le boycot des élections. Une telle décision laissera les frères et les salafistes et les ex-PND seuls dans la bataille ce qui les isolera davantage.

La situation est grave, tant les forces démocratiques que le SCFA sont dans l’impasse. L’absence d’un conseil de la révolution issu de la place Tahrir et de toutes les autres places de l’Égypte, risque de minimiser les acquis de cette nouvelle mobilisation face à un conseil militaire intransigeant, for du soutien de la CIA, les frères musulmans et les salafistes. Le scénario futur n’est pas très rassurant.

Je sors du parti du Tahalof Echteraki et on sent une confusion et une paralysie étonnantes. Absence de stratégie et de réaction immédiate sur le terrain, que des communiqués qui masquent incompétences et faiblesses réunies.

Seule l’extraordinaire détermination des jeunes révolutionnaires et la solidarité sans précédent du peuple, les hôpitaux n’ont plus besoin de médicaments tellement ils en ont reçu me rassurent.

Ce matin à Rawabet, à proximité du Town House, des équipes faisaient des paquets de couvertures, des caisses d’eau , de jus et de vivre ainsi que des bouteilles remplies de levure à l’eau pour neutraliser l’effet des nouvelles bombes lacrymogènes et les transféraient à Tahrir. Ceci sans parler de l’afflux des vivres que j’ai constaté de mes propres yeux hier soir.

J’ai rencontré hier soir à Tahrir, des jeunes femmes, n’appartenant à aucune formation politique, qui dorment sur l’asphalte depuis quatre jours, et sont déterminées à ne pas quitter la place, s’exposant à toutes sortes de dangers, prêtes à mourir, en plus de familles entières venant des quartiers informels, sont là pour dire non, et arborent un autocollant : Chahid taht El Talab ; martyr à la demande.

Dans son article hebdomadaire dans le quotidien Al Shorouk, le romancier Moahammad El Makhzangui, a comparé ce qui se passe actuellement à la mythologie d’Isis et d’Osiris : le peuple ayant réussi à ramasser les partie du corps de sa révolution, dépecée par Set, SCFA, et dispersées dans le Delta et la vallée, et les a reconstituées, la métaphore est très belle.

Hommage à la détermination et au courage des jeunes révolutionnaires égyptiens
No pasaran

Galila El Kadi
24 novembre 2011.


[Vendredi 25 novembre] Ce matin j’ai voté aux élections du syndicat des ingénieurs, la participation était très élevée, et la fermeture des bureaux de vote a été reportée à 19h.

Nous aurons les résultats pour le syndic demain soir.

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Je suis ensuite allée à Tahrir, cette manifestation de la dernière chance, était colossale, sans la présence des frères musulmans, qui ont organisé une autre manifestation à EL Azhar baptisée le vendredi de la défense de la mosquée d’El Aqsa, à Jérusalem (même les Palestiniens se sont moqués d’eux). En même temps, le SCFM a organisé une troisième manifestation à la place Abasséya, qui réunit plusieurs centaines de manifestants, amenés par l’Armée des différents gouvernorats d’Égypte, pour soutenir le maintien de l’armée au pouvoir.

La nomination confirmée du Dr Kamal El Ganzouri, ex-premier ministre sous Moubarak et membre de l’ex-PND, âgé de 78 ans, a mis de l’huile sur le feu. Les manifestants dans toute l’Égypte, ainsi que la plupart des partis et des forces politiques le refusent. Seuls les adeptes du Askari à Abasséya, lui sont favorables. Tous les noms autour desquels il y a eu consensus dans toutes les places de changement en Égypte, tels que : Baradei, Hamdin Sabahi et Aboulfotouh, trois candidats au poste de président de la république, ont été éliminés à cause de leur exigence de jouir des pleins  pouvoir d’un premier ministre. Le Askari a préféré passer outre la volonté exprimée par des millions d’Égyptiens à Tahrir et dans les autres villes, et sortir une momie pharaonique de son cercueil, comme disent les Égyptiens, pour continuer à dominer.

À l’heure actuelle une partie des manifestants encerclent le conseil des ministres pour y interdire l’accès au nouveau premier ministre.

Une réunion entre les partis politiques s’est tenue à 19h pour décider du sort des élections, report ou boycot. En fait, si le SCFM a perdu sa légitimité en participant au massacre de Tahrir qui  a fait 37 morts et 3500 blessés, la tenue des élections lui feront recouvrir une nouvelle légitimité, ce qu’il faut éviter à tout prix. Le problème est que les partis politiques sont divisées sur la position à adopter, l’ensemble des coalitions de la jeunesse appellent quant à elles au boycott des élections.

L’attitude du SCFA, organisation d’une contre-manifestation, et choix d’un ex-PND septuagénaire comme premier ministre, suite aux massacres commis directement par ses forces et avec son absolution, représentent un tournant dans  la révolution égyptienne. La polarisation des forces en présence s’est confirmée : d’un côté la coalition des islamistes et du SCFA, de l’autre les libéraux, les socio-démocrates et la gauche, les jeunes se détachant clairement à l’aune de ces deux groupes. Au refus du SCFA s’est ajoutée sa condamnation et sa mise en cause. J’ai été frappée aujourd’hui à la place Tahrir par la présence d’une énorme banderole portant les portraits de tous les membres du SCFA les accusant des mêmes délits attribués à Moubarak. Dégage, et le peuple veut la chute du SCFA ou du Mouchir Tantawi, sont devenus les slogans les plus courants.

Sachant que les manifestants sont plus que jamais déterminés à ne pas se laisser faire et à défendre leur révolution, que le SCFA reproduit sans vergogne les pratiques répressives de Moubarak, et reste sourd aux revendications de Tahrir, la confrontation est devenue inévitable, et cette fois-ci elle sera sanglante. Le scénario syrien ou yéménite nous hante de plus en plus.

Demain samedi est jour férié, l’occupation de Tahrir et des autres places des grandes villes va se poursuivre, mais il va falloir dégager la place Tahrir, épicentre de la capitale, occupée depuis 7 jours pour faciliter la circulation et affirmer l’autorité du Askari, sans oublier les élections législatives  prévues pour lundi.

S’il n’ y a pas de solutions politiques avant lundi, un nouveau bain de sang est à craindre.

Galila El Kadi
Le 25 novembre 2011.


[Samedi 26 novembre] Un manifestant a été tué samedi matin au Caire dans des heurts entre la police égyptienne et des militants qui bloquaient l’entrée du siège du gouvernement, première victime après deux jours d’accalmie dans la capitale, a affirmé à l’AFP une source médicale.

L’incident s’est produit vers 07H00 (05H00 GMT) lorsque, selon des témoins, la police anti-émeutes a attaqué à coup de grenades lacrymogènes des manifestants qui ont campé toute la nuit devant le siège du gouvernement pour protester contre la nomination d’un nouveau Premier ministre par l’armée.

Des renforts de manifestants sont arrivés de la place Tahrir et ont répliqué avec des pierres et cocktails molotov. (…)

Leur presse (Agence Faut Payer), 26 novembre 2011 – 10h30.

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