Motion antipatriarcale de la Coordination des Groupes Anarchistes adoptée le 11 novembre 2011

http://pix.toile-libre.org/upload/original/1305316080.jpgLa CGA parce qu’elle entend lutter contre toutes les dominations se définit aussi contre le système de domination masculine et dans la lutte anti-patriarcale.

La construction genrée de la société

Le genre est, pour nous, une construction sociale hiérarchique, qui repose sur un partage construit sur le postulat de deux sexes biologiques strictement différenciés. Cette construction binaire est présentée comme naturelle (ce qui la protège des contestations et remises en cause). Le rejet de l’hermaphrodisme, à travers une intervention chirurgicale imposée à la naissance pour définir un sexe, témoigne de la prégnance de cette idéologie. Cette supposée binarité biologique fonctionne comme marqueur de la domination. C’est la hiérarchie, autrement dit les rapports de pouvoir, qui induit la division sexuée de la société, et non l’inverse. Les catégories « masculin/féminin » et « hommes/femmes » n’existent donc qu’en fonction l’une de l’autre et dans le cadre de la domination de genre. Ce qui est désigné comme féminin ou masculin est socialement construit par des techniques de dressage perpétuées par l’éducation (de la famille, de l’école, l’industrie du jouet…), les médias, un certain discours scientifique, les institutions et les religions.

Cette séparation est maintenue, avec la participation plus ou moins consciente et volontaire de tous et toutes, par des rappels à l’ordre permanents qui renforcent ce système inégalitaire.

Il n’y a pas plus d’essence ni de spécificité féminine naturelle ou biologique qu’il n’y en a de masculine. Les femmes ne sont pas du côté de la douceur sous prétexte d’une potentielle maternité et les hommes du côté de la violence sous prétexte d’un taux particulier de testostérone.

L’oppression des femmes n’est pas due à la dévalorisation de leurs « aptitudes naturelles ». En revendiquant l’existence d’une identité féminine et sa revalorisation, les théories différentialistes tendent à naturaliser les différences entre hommes et femmes. Les rôles attribués aux femmes et aux hommes n’ont rien de « naturels » : ils ne découlent pas de leurs différences morphologiques, mais sont le fruit d’une construction sociale qui n’est pas neutre dans l’organisation globale et inégalitaire de la société. Nous nous opposons donc à toute vision essentialiste des sexes.

Un système social organisé : la domination masculine ou patriarcat

Le système de genre véhicule la norme hétérosexuelle, l’impose et dénigre les autres sexualités. Cette idéologie induit notamment l’homophobie, la lesbophobie, la biphobie et la transphobie. L’instauration de la norme hétérosexuelle comme norme dominante entraîne l’oppression des personnes refusant cette norme ou n’y correspondant pas et cloisonne nos désirs à tou-te-s.

Malgré des avancées, ce système perpétue l’oppression des femmes notamment à travers :

— Le travail domestique gratuit et l’éducation des enfants, comprenant la prise en charge affective des personnes ;

— L’appropriation des corps des femmes aux fins de la reproduction ou non, notamment par des politiques visant à ériger la famille comme modèle unique et indépassable et les entraves au droit de disposer librement de son corps ;

— Le continuum des violences exercées contre les femmes, différentes dans leur degré mais non dans leur nature, allant de la prostitution aux violences physiques et psychologiques, en passant par les publicités sexistes et la réquisition de l’espace public au profit des hommes notamment la nuit ;

— La monopolisation masculine des armes, des outils, des compétences, de l’espace et de la parole ;

— Le travail, à travers les différences de salaires, une précarité accrue, des temps partiels imposés pour allier travail et tâches domestiques gratuites, et un taux de chômage plus élevé ;

— L’éducation différenciée selon les destinataires : « garçon » ou « fille ». Le contenu est différent et le formatage commence la plupart du temps dès la conception.

Le patriarcat positionne les hommes comme dominants dans l’ensemble des sphères de la vie. Les hommes jouissent de cette domination en profitant des privilèges liés à leur place dans ce système, et la très grande majorité participe à son maintien par des comportements d’oppression à des degrés divers. En revanche, ce système malmène les hommes qui refusent de se comporter dans la « normalité sociétaire ».

La lutte contre le système de domination masculine en interne de la CGA

On ne naît pas anarchiste et on ne le devient pas en considérant uniquement que le capitalisme et le système de domination masculine sont des « ennemis » à abattre. Être anarchiste est un combat quotidien qui ne s’arrête pas au moment où l’on a identifié les rapports de dominations. C’est la même chose dans la lutte contre le patriarcat et la déconstruction du genre : personne n’est à l’abri des rapports de pouvoirs, de l’éducation qu’il/elle a reçue, et chacun-e a donc un travail permanent à mener sur lui/elle-même pour changer les rapports de dominations. Il est aussi difficile pour une femme que pour un homme (bien qu’elle n’ait pas les mêmes privilèges) de se débarrasser des réflexes genrés que l’on a construits pour elles/lui.

Nous considérons que « le privé est politique ». La sphère privée et la sphère politique ne peuvent pas être abordées de manière différenciée quand les agissements et les comportements repérés dans le privé sont antinomiques avec les engagements politiques qui sont ceux des anarchistes/libertaires. L’engagement politique ne s’arrête pas à la porte de la maison ou de la chambre à coucher. C’est à chacun-e d’y chercher la cohérence avec son analyse politique.

L’organisation collective et la discussion permettent à tou-te-s d’acquérir des outils d’analyse pour penser les rapports de domination des hommes sur les femmes, et d’éviter de reproduire les logiques qui la perpétuent, de la violence domestique à l’occupation de l’espace public. Une réflexion collective sur la norme hétérosexuelle permet aussi de se poser individuellement la question de l’influence du genre sur ses propres pratiques de vie.

Nous intégrons cette réflexion à nos pratiques collectives. L’analyse politique de la place des femmes au sein de l’organisation, de la parole dont elles peuvent se saisir et de leur nombre permet de remettre en question nos pratiques afin de ne pas reconduire des logiques de domination plus ou moins violentes, de l’invisibilisation à l’intimidation. L’abandon d’un vocabulaire et d’une vision viriliste de la lutte sociale fait aussi partie de notre travail. Aussi, la CGA s’engage dans un travail de déconstruction au niveau collectif qui vise également à alimenter la réflexion et un positionnement individuels dans ce système de domination.

Nous nous engageons collectivement à :

— Mener une réflexion permanente et autonome au sein des groupes sur le système de domination masculine, la norme hétérosexuelle et l’anarchaféminisme ;

— Déconstruire le genre au niveau collectif pour également alimenter la réflexion et un positionnement individuel dans ce système de domination ;

— Être vigilant-e-s à ne pas décharger ce travail sur des volontaires, finissant par créer des spécialistes et un décalage dangereux entre militant-e-s du groupe. Cette spécialisation entraînera de plus la non-possibilité pour les militant-e-s concerné-e-s de s’impliquer dans d’autres luttes ;

— Intégrer une grille de lecture féministe par une approche de genre à tous les thèmes abordés par la CGA, dans la mesure où ils ont tous un lien avec le patriarcat (élections, sans papiers, antifascisme, précarité, société de consommation, prostitution, monde du travail, syndicalisme, militantisme, éducation, école, guerre, laïcité, religion, famille, médias…) ;

— Travailler à l’abandon d’un vocabulaire et d’une vision viriliste de la lutte sociale.

La pertinence de la lutte féministe dans nos idées et nos combats anarchistes

Le système patriarcal en établissant les catégories hommes-femmes, les a associées à des lieux, fonctions et moments non-mixtes imposés. Les luttes contre le patriarcat ont pris et prennent toujours la forme d’un mouvement autonome des femmes, dans lequel la non-mixité choisie peut être un outil de lutte comme dans toute lutte d’émancipation.

L’égalité à laquelle nous aspirons concerne tou-te-s les individu-e-s et n’est donc pas envisageable sans égalité réelle et effective entre femmes et hommes au delà des divisions et des différences de genre qui nous sont imposées. Idem pour notre aspiration à la liberté, laquelle est entravée par des rapports de domination et de soumission à abolir.

Cette égalité effective entre hommes et femmes ne peut s’envisager comme un exercice de rattrapage du pouvoir qu’ont les hommes ou d’un quelconque partage du pouvoir entre hommes et femmes, ni d’une manière de définir des critères de parité dans l’exercice du pouvoir. Il s’agit bien de viser la destruction de tout pouvoir et donc du pouvoir masculin au profit de rapports sociaux égalitaires. La seule destruction du capitalisme n’y suffira pas.

Le capitalisme et le patriarcat sont deux systèmes de domination « qui se nourrissent l’un l’autre » et qu’il convient d’abolir. Nous ne donnons pas la priorité à un domaine de lutte plutôt qu’un autre et préférons nous battre sur tous les fronts. La lutte contre le système de domination masculine a ainsi toute sa place dans nos activités, ni plus ni moins que notre implication dans les mouvements sociaux, le syndicalisme l’antifascisme, l’antimilitarisme, l’anti-électoralisme, la lutte contre les religions…

La CGA parce qu’elle est anarchiste et lutte contre tout système de domination se reconnaît dans la lutte anarcha-féministe. Elle s’inscrit dans les luttes féministes et les soutient. Pour ces luttes comme pour les autres, la CGA estime que les moyens ne doivent pas être en contradiction avec les finalités. Par exemple, la CGA ne se reconnaît pas dans la lutte pour la parité hommes-femmes dans les institutions quelles qu’elles soient.

La lutte contre le patriarcat de la CGA dans ses relations externes, c’est :

Proposer une alternative dans le mouvement féministe en introduisant nos référents antiétatiques, anticapitalistes, antiracistes et anti-patriarcaux ;

Prendre en considération notre investissement dans les structures féministes extérieures aux groupes comme dans d’autres structures du mouvement social ;

Faire prendre en compte dans les mouvements sociaux la question du genre et la nécessité de lutte contre la domination masculine.

La CGA revendique :

— L’abolition du système de genre : le sexe biologique ne détermine pas la place des individu-e-s, et les catégories hommes – femmes cessent d’être la norme de référence pour l’organisation de la société ;

— La liberté du désir et de la sexualité ;

— La maitrise de nos corps et le respect de nos choix de vie.

Pour cela, la CGA soutient et s’inscrit dans les luttes féministes

— Suppression des politiques natalistes ;

— Lutte contre les violences faites aux femmes, dans la sphère publique ou/et privée ;

— Lutte contre les publicités sexistes ;

— Lutte contre les inégalités salariales genrées ;

— Lutte contre l’homophobie, la lesbophobie, biphobie et la transphobie ;

— Accès à une éducation sexuelle non basée sur la norme hétérosexuelle ;

— Accès à une éducation non sexiste ;

— Accès à la contraception masculine et féminine et à l’avortement libres et gratuits ;

— Respect de nos choix de vie.

Motion adoptée le 11 novembre 2011
par la Coordination des Groupes Anarchistes.

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