[Égypte] Infos du Caire

Vendredi 22 juillet

Veillée d’armes sur la place, dans la nuit les campements similaires à Alexandrie, Suez et Ismailiya (delta) se sont fait dégager.

Les esprits s’échauffent, une manifestation s’ébranle, direction le siège du Conseil suprême des forces armées, à l’arrivée, charges de nervis, tirs de sommation de la police militaire, dispersion… rendez-vous donné pour le lendemain.

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Samedi 23 juillet

Le rendez vous est à 17 heures, place Tahrir. 16h30, des orateurs haranguent la foule du haut de la grande tribune. Les Azharis sont là, ils prêchent plus qu’ils ne déclament. Quelques centaines de personnes font le tour de la place pour rameuter le maximum de monde. On attend, on est pas encore partis, un homme propose un départ immédiat, il est conspué. 16h50, le dernier tour de place finit par partir, on passe devant le musée du Caire, on emprunte l’avenue Ramsès, la manifestation grossit et atteint quelques milliers de personnes. 17h30, la si longue avenue Ramsès… la réception est plutôt bonne quand on borde le centre-ville, plus on avancera plus nous croiserons… de spectateurs, c’est finalement partout pareil… Les manifestants haranguent les centaines d’Égyptiens qui affluent en cette fin d’après-midi sur la place Ramsès, en face de la gare centrale, ils regardent, circonspects, peu rejoignent. 17h45, la manifestation remplit le dernier tronçon de l’avenue, avant de sortir définitivement du centre, elle compte peut-être 5 à 6000 personnes à ce moment-là. Elle s’engage alors dans de grandes artères de la périphérie nord, elle sort surtout des quartiers populaires qu’elle longeait, le décor est planté, idéal pour ce qui va se produire. 19 heures, aux dernières nouvelles ça se disperse, et pas de la meilleure des façons : charges de baltaguia (nervis de l’État), tirs à balles réelles, des manifestants pourtant pacifiques, cassés et bousculés… mais rassurons-nous, à 500 mètres de là, la vie continue…

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23h30, la température est plus clémente, et l’on s’en retourne place Tahrir, les manifestants de l’après-midi arrivent au centre… ils ont marché depuis le lieu de dispersion, disons plutôt le lieu du carnage de la place Abassiah au nord du Caire. 500 personnes, parmis eux des blessés, toujours offensifs, plus déterminés que jamais, et on défile… rue Talaat Harb… Une nocturne bien plus agréable que les manifestations sous le soleil de plomb de l’après-midi… et le peuple « exige la démission du maréchal » (Tantaoui, patron du CSFA, on devrait dire de la nouvelle junte militaire)… un slogan et une manif’ nocturne très bien perçue par les habitants du centre-ville… Nous sommes revenus à la place, elle est noire de monde. Au bilan de 150 blessés on a rajouté, selon les estimations des uns et des autres, de 8 à 18 morts, tués par des militaires infiltrés, à coups de machettes, certains peu nombreux, le nient. L’ambiance est à la révolte, certains sont effondrés, d’autres pleurent au téléphone… l’occupation de la place ne cessera pas, même si Salafistes et Frères musulmans ont promis de venir la « nettoyer » vendredi 29 juillet prochain, le peuple ne s’en va pas…

Le Caire, dimanche 24 juillet, 3h34.

 

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Infos du 19 au 21 juillet

Mardi 19 juillet

Il est toujours difficile d’arriver au Caire pour diverses raisons, sous beaucoup d’aspects, l’Égypte change peu, mais ces derniers mois, une certaine ambiance s’est installée, l’avion atterrit mais ne peut accoster, 20, 30, 40 minutes d’attente, les employés de l’aéroport et le personnel au sol sont en grève… les passagers continueront à pied… On peut s’étendre des heures sur la place Tahrir, ses orateurs, ses tentes, son ambiance… mais partout les choses bougent et les gens remuent, lundi, les ouvriers de la sidérurgie de Helwan au sud du Caire ont voté la grève, à Suez, cela fait déjà plusieurs semaines que les travailleurs du canal ruminent encore ce vieux fantasme innacompli : une bonne grève, se couler un tout beau pétrolier ou porte-containers dans le canal… paralyser le commerce mondial…

Le Caire, place Tahrir, 23 heures, le village de tentes est toujours là, au milieu, sur les côtés, devant le Mogammaa’ (immense et kafkaien complexe administratif qui fut bloqué une journée récemment). Il y a plusieurs milliers de personnes, dispersées sur la place. On parle, on se promène, on écoute les orateurs des diverses tribunes… ici les nassériens, là le parti des travailleurs, ailleurs des socialistes, plus loin une officine soi-disant libre et islamique, en réalité l’un des 15 paravents légaux de la confrérie des Frères musulmans, un petit aspect kermesse, aucun flic à l’horizon, la tension est diffuse, le plus souvent absente. Les flics ont de toute façon disparu, ils sont réduits à la portion congrue, d’un centre-ville du Caire, où passé 22 heures, on se tapait généralement trois checkpoints de police militaire avant de rentrer chez soi, l’armée non plus n’est pas là… Le mouvement a son propre service d’ordre, autogéré, la place est barricadée, à chaque entrée quiconque doit montrer : papiers et présenter son sac, fouille plutôt symbolique ; pas très zélée mais tout de même sérieuse, les flics en civil, les nervis de toutes sortes leur en ont fait trop voir… la place a même eu sa propre prison : et l’on raconte l’histoire du flic infiltré pris et pendu à un arbre par les pieds durant deux jours… à moins d’un kilomètre de là, l’ancienne station de métro Moubarak, a été rebaptisée « al Shohadaa » (les Martyrs)…

Mercredi 20 juillet

Toujours les mêmes tentes, et ces quelques poignées de personnes, ils sont tout de même 2 à 3000, mais dispersés sur une place gigantesque. On respire place Tahrir, cet ancien carrefour, royaume de la bagnole, a été rendu aux piétons, la nouvelle agora, politique et militante du Caire… À quelques bornes d’ici, dans la banlieue nord du Caire (Héliopolis), sur une place similaire et dans un campement similaire, la « jeunesse » bourgeoise et conservatrice s’est réunie pour apporter son soutien aux séides du régime déchu, à peine quelques dizaines, place Tahrir ils sont encore des milliers, mais des milliers épuisés, et seuls… 200 mètres plus loin, la vie continue dans le centre-ville du Caire, et avec l’approche du mois de ramadan la situation commence à sérieusement pourrir…

Jeudi 21 juillet

Il est 23 heures, il y a beaucoup de monde, peut être 10 à 20’000 personnes, en cette veille de week-end (vendredi-samedi) en soutien à un mouvement qui ne veut, rappelons-le, gêner personne, ou, le moins possible, de façon générale, malgré ceux qui poussent à aller de l’avant. Près de 200 personnes, emmenées par le mégaphone d’un jeune font le tour de la place en entonnant les slogans de février dernier, exigeant la chute du régime, d’autres les suivent. Ils disent aussi : nous ne partirons pas. Nous ne partirons pas ! C’est ce que disait deux heures auparavant une jeune femme en voile noir, montée à la tribune principale. Elle est venue de Suez, elle a parlé de pauvreté, de misère, elle a exigé aussi un communisme immédiat, devant une assemblée à la fois rétive et séduite par ses propos, elle a terminé par une chanson… Demain vendredi, ils seront sans doute plus nombreux.

Mercredi 27 juillet 2011.

 

Heurts entre adversaires et partisans du régime au Caire

Des dizaines, voire une centaine d’Égyptiens ont été blessés samedi au Caire lors de heurts entre des milliers de partisans et adversaires du régime militaire provisoire qui a, dans le même temps, promis d’instaurer un gouvernement démocratique.

Selon des témoins, la plupart des blessés l’ont été par des voyous en civil, croit-on, qui ont bombardé à l’aide de pierres et d’engins incendiaires des manifestants qui ont riposté à coup de pavés arrachés sur les trottoirs.

Les gendarmes, armés de pistolets Taser et de matraques, sont intervenus en tirant en l’air pour empêcher la foule de s’approcher du bâtiment abritant le ministère de la Défense.

Le ministère de la Santé a publié à la télévision nationale un bilan global faisant état d’au moins 143 blessés.

Auparavant, des milliers de personnes avaient marché dans le calme sur le ministère de la Défense pour exiger de l’armée au pouvoir une accélération du processus de réformes au lendemain de la dispersion par la force d’une manifestation à Alexandrie.

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Quelques heures auparavant, le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, président du Conseil suprême des forces armées (CSFA, au pouvoir depuis le renversement, le 11 février, du président Hosni Moubarak), a promis l’organisation d’élections pour faire de l’Égypte un pays démocratique.

Quant au Premier ministre, Essam Charaf, il a invité sur Facebook ses compatriotes à travailler « dans le calme et la stabilité, en respectant le principe du dialogue pour permettre au gouvernement de remplir sa mission ». « Le gouvernement est tout à fait désireux de mettre en œuvre les exigences de la population en faveur de la liberté, de la démocratie et de la justice sociale », a-t-il affirmé.

Des véhicules de l’armée avaient bloqué l’accès principal au ministère de la Défense où siège le CSFA, et des gendarmes avaient pris place pour faire face aux manifestants.

Le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui a quitté son ministère avant l’arrivée des manifestants.

« Le peuple veut le départ du maréchal Tantaoui », scandaient les manifestants qui marchaient sur le ministère de la Défense tout en paralysant la circulation.

Les jeunes Égyptiens qui campent depuis deux semaines sur la place Tahrir, épicentre de la contestation politique, ont juré de rester jusqu’à ce que leurs revendications soient satisfaites.

Vendredi, des violences ont éclaté dans plusieurs villes du pays entre gendarmes et manifestants, faisant 14 blessés, dont quatre parmi les forces de l’ordre.

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« UN ÉTAT CIVIL MODERNE »

Dans son discours télévisé prononcé samedi à l’occasion de la Fête de l’armée qui commémore le renversement en 1952 du roi Farouk par les « officiers libres » emmenés par Gamal Abdel Nasser (1918-1970), le maréchal a souligné que son mandat était de faciliter l’avènement d’un gouvernement élu en Égypte.

« Nous sommes attachés à faire de l’Égypte un État civil moderne », a-t-il dit lors de ce discours, son premier à la nation depuis la chute d’Hosni Moubarak.

« Nous irons de l’avant pour consolider la démocratie en garantissant les libertés et les droits des citoyens par le biais d’élections libres et équitables. »

Mohamed Hussein Tantaoui, qui a été deux décennies durant le ministre de la Défense du « raïs » déchu, n’a pas avancé de réponses particulières aux revendications des révolutionnaires.

À la veille du 23 juillet, la gendarmerie a tiré en l’air et battu des manifestants qui bloquaient une rue d’Alexandrie vendredi, selon des témoins.

Un autre accrochage dans la ville portuaire de Suez a alimenté la colère des jeunes révolutionnaires.

Dans un communiqué publié sur sa page Facebook, le CSFA a nié avoir utilisé la force et accusé le Mouvement du 6-Avril, un des groupes qui avaient appelé au soulèvement contre Hosni Moubarak, de chercher à semer la division entre l’armée et le peuple.

Le Mouvement du 6-Avril a dénoncé des « allégations mensongères » et promis de « ne pas se laisser intimider ».

« Nous serons les derniers à quitter Tahrir, soit vivants et la tête haute après avoir obtenu triomphalement la réalisation des demandes du peuple égyptien, soit en martyrs pour le bien de Dieu et du pays », a ajouté le groupe.

Les jeunes révolutionnaires de la place Tahrir, qui réclament une rupture plus rapide et plus complète avec l’ancien régime, n’ont pas été satisfaits par le remaniement du gouvernement annoncé jeudi, jugeant celui-ci insuffisant en raison notamment du maintien de ministres contestés.

Pour quitter Tahrir, ils exigent également le transfert d’une partie des pouvoirs de l’armée au gouvernement de transition, l’abandon des tribunaux militaires pour juger les manifestants, le jugement rapide des responsables du régime Moubarak et des policiers accusés d’avoir tiré sur les manifestants pendant la révolution, ou encore la hausse du salaire minimum.

Leur presse (Reuters), 24 juillet 2011.

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