Hier après-midi, une quelconque huissier de justice s’est présenté au squat du 22 rue Duguay Trouin accompagné de « la force publique » (deux policiers municipaux). Il nous a remis un avis d’expulsion et un procès verbal de tentative d’expulsion rédigé d’avance faisant état de notre refus de quitter les lieux.
C’est comme ça que nous avons compris qu’on procès avait eu lieu sans nous le 14 octobre dernier. En principe, et comme ça s’était passé au 30 rue du Lieu de Santé, après le constat d’occupation, l’huissier assigne au tribunal un des occupants dont le nom a été donné, permettant ainsi un procès normal, un procès où les gens concernés sont présents, un procès où leur avocat peut demander des délais. Bien sûr la première fois que les flics sont venus au Garage nous avons donné le nom d’un d’entre nous.
Seulement, quand la plaignant, quoique « sensible au problème du logement », rêve d’un monde où il pourrait expulser les squatteurs sans procès ni délais, et qu’il n’est autre que la mairie de Rouen, son rêve devient possible. Il suffit d’oublier qu’un nom a été donné pour intenter une procédure d’expulsion d’urgence non-nominative, sans qu’aucun des habitants n’en soit averti. Il suffit ensuite d’envoyer un huissier de justice amnésique et paternaliste remettre l’avis d’expulsion, tout jouissant de nous annoncer que non seulement il nous avait fait un procès dans le dos, mais aussi que la police viendrait nous chercher très vite, et au petit matin.
Nous avons décidé de maintenir l’occupation et les activités qui en découlent jusqu’à l’expulsion. C’est-à-dire : rendez-vous Jeudi pour la projection à 20h30 et ce week-end pour la préparation d’une émission de radio sur la prison. Si, d’ici là, nous sommes virés, nous communiquerons les nouveaux lieux et horaires de cette réunion pour qu’elle ait lieu quoiqu’il arrive. D’autre part, nous engageons un pourvoi en référé pour contester le rendu du jugement et obtenir des délais plus longs.
Si expulsion il y a, nous organiserons une manifestation dont les détails seront visibles sur les murs, ainsi que sur notre blog.
Notre expulsion, les expropriations, la traque des sans-papiers, le harcèlement des SDF par les flics, sont intimement liés à la volonté de rendre les villes propres, attractives économiquement. Il en va de même pour la construction d’une nouvelle ligne de TGV reliée à la défense, d’une nouvelle prison loin des regards, d’un écoquartier, et de divers « pôles d’activités ». À Rouen, le boulot est fait par une mairie de gauche.
Pour autant, il n’y a pas à s’en indigner. Toutes les pratiques de solidarité élémentaires, ainsi que les autres façons d’habiter la ville qui brisent l’isolement et entravent l’opération d’avilissement que ce monde met en œuvre quotidiennement, provoqueront toujours l’hostilité de ceux qui nous gouvernent par notre misère et nos dépendances. Historiquement, la gauche n’a jamais dérogé à cette règle. Ses réponses sociales (en l’occurrence les logements sociaux, les mêmes qui sont par exemple violemment imposés aux habitants des foyers de travailleurs immigrés) ne font que creuser notre tombe : le traitement individuel de tous les problèmes et la nécessité pour chacun d’entre-nous de se présenter comme des victimes parfaitement dépendantes de la bienveillance et de la disponibilité des institutions qui font notre quotidien. Aussi, on aurait tort de vouloir réduire notre expulsion à l’affaire des squatteurs du 22 rue Duguay-Trouin. Elle relève du même ensemble de décisions et de pratiques du pouvoir qui nous tiennent dans cette vie faite de mille petits renoncements sans que jamais rien n’éclate. Il faut maintenant rebondir sur cette situation et dégager un certain nombre de possibilités avec ceux pour qui notre sort fait écho au leur ou à leurs préoccupations. Que nos envies ne se trouvent plus aplaties pour tenir dans des formulaires de demandes individuelles mais qu’elles constituent des fronts pour maintenir un rapport de force qui nous permette de relever un peu la tête et d’entrevoir des jours plus désirables.
Nous appelons tous ceux que ça a cessé de surprendre, qui seraient sensibles à notre lutte, à venir nous voir, nous filer des coups de mains, et d’exprimer leur soutien de toutes les manières possibles.
Les habitants du 22 – le 15 décembre 2011.