Un des fondateurs du mouvement Écologie humaine aide Center Parcs à bétonner
Pierre et Vacances a commandé une étude au cabinet de conseil Mutadis pour son projet de Center Parcs dans le Jura à Poligny. Ce cabinet est dirigé par Gilles Hériard Dubreuil, un des fondateurs du « courant Écologie humaine », et sert à faire accepter des risques ou des projets d’infrastructure aux populations.
Qui a dit que Center Parcs n’était pas développement durable ? Le groupe choisit « les sites les moins sensibles en matière de biodiversité », utilise les énergies renouvelables, prône l’utilisation de matériaux éco-responsables et va même jusqu’à promouvoir les produits bio et locaux dans ses restaurants, affirme son site internet. Et pour son projet à Poligny, dans le Jura, il va même jusqu’à consulter les acteurs locaux !
C’est l’objet d’une étude commandée au cabinet de conseil Mutadis pour étudier « les conditions et les moyens d’une contribution effective du projet de centre de loisirs Center Parc de Poligny au développement durable de son territoire d’implantation », indique le document descriptif de l’enquête. Celle-ci consiste à interroger les acteurs locaux sur le projet, sachant que « la diffusion des conclusions du processus reste sous le contrôle du commanditaire ».
En clair, « ils veulent rendre leur projet acceptable par les écolos », dénonce Éric Durand, conseiller régional Europe Écologie Les Verts en Franche-Comté. « On a très rapidement compris qu’ils veulent nous enfumer », ajoute Véronique Guislain, de l’association d’opposition au projet de Center Parc à Poligny.
Le cabinet Mutadis explique quant à lui qu’il intervient sur « les problématiques de développement durable et de gouvernance des activités porteuses d’enjeux complexes pour la société. » Son créateur est Gilles Hériard Dubreuil, un des co-fondateurs de « l’écologie humaine », ce mouvement dont Reporterre vous parlait il y a quelques jours. L’un de ses deux autres « co-initiateurs » n’est autre que Tugdual Derville, ex-porte-parole de la Manif Pour Tous (le mouvement d’opposition au mariage homosexuel). Interrogé sur Notre-Dame-des-Landes, cet apprenti penseur de l’écologie n’a pas su se positionner.
Désamorcer les contestations aux projets
Gilles Hériard Dubreuil, quant à lui, s’est fait un nom avec ses travaux autour de l’accident de Tchernobyl : il a coordonné le programme Ethos, étudiant dans quelles conditions les populations alentours pourraient continuer à vivre dans des zones irradiées. Une activité dénoncée par le réseau Sortir du nucléaire, pour qui ce programme était une façon d’instiller l’idée que « les conséquences de Tchernobyl n’étaient pas aussi graves que l’on avait pu le dire. »
Pour l’association, la spécialité du cabinet Mutadis serait en fait de « développer des stratégies pour désamorcer les risques de manifestations et de refus des populations face à des projets d’activités « à risque ». »
Il semble que les villages touristiques du groupe Pierre et Vacances appartiennent à cette catégorie de projets. Dans la description de sa démarche (il s’agit du même document que celui publié au début de cet article), Mutadis explique qu’il s’agit essentiellement d’effectuer des entretiens avec les acteurs locaux autour du projet de Center Parcs : agriculteurs, élus, associations, professionnels du tourisme, de la construction ou de l’énergie, etc. Le tout est ensuite compilé dans un document de synthèse, remis au commanditaire de l’étude, accompagné de propositions d’actions.
L’association le Pic Noir a carrément refusé de répondre. « Ils sont venus il y a deux mois », se rappelle Véronique Guislain, une des membres de l’association. « Ils nous ont proposé de participer à un audit dont l’objectif serait d’améliorer la pratique de Pierre et Vacances en matière de développement durable. Mais on n’avait pas envie de donner des arguments à Pierre et Vacances ! »
Elle préfère rappeler les raisons de son opposition au projet : peu d’informations sont disponibles, il aura une emprise de 150 hectares sur la forêt de Poligny, les emplois créés seront principalement des postes de femme de ménage à temps partiel, le financement est en grande partie public alors qu’il s’agit d’un projet privé, etc.
Arnaque et consultation de façade
Éric Durand, lui, a accepté de répondre à Mutadis. L’élu écolo s’est dit que ce serait l’occasion de leur donner « un avis différent sur le projet ». La première question a porté sur les conditions pour que le projet de Center Parc soit développement durable. « J’ai répondu que le projet ne respectait aucun des trois piliers : ni social, ni environnemental, ni même économique car Pierre et Vacances propose un modèle de tourisme qui ne correspond pas du tout au climat plutôt froid du Jura, on risque donc d’ici quelques années de se retrouver avec un village vacances vide sur les bras », raconte le conseiller régional de Franche Comté.
Il flaire l’arnaque, car l’audit vise à faire accepter le projet, mais n’envisage pas de le remettre en cause. On « on a beau faire toute la concertation possible, quand un projet est mauvais, il le reste », estime l’élu.
Joint par Reporterre, Gilles Hériard Dubreuil refuse d’expliquer le but de cette consultation.
« Après la mort de Rémi Fraisse au Testet et l’opposition au Center Parc en Isère, ils flippent », analyse Éric Durand. « Ils veulent connaître l’état d’esprit des gens, savoir jusqu’où ils sont prêts à s’opposer, ou au moins comment les collectivités locales vont réagir. » Mais pour en savoir plus il attend la restitution de la consultation de Mutadis, attendue pour la fin décembre ou début janvier.
Dans le même temps, Pierre et Vacances insiste dans ses velléités de consultation de la population locale : le groupe a lui même saisi la Commission nationale du débat public. « C’est encore une stratégie pour faire accepter le projet », dénonce l’association du Pic Noir.
Marie Astier, Reporterre, 23 décembre 2014