Vague de manifestations en Tunisie
REPORTAGE. La Tunisie a été secouée par de violentes manifestations, jeudi, après l’assassinat du député de l’opposition, Mohamed Brahmi, moins de six mois après celui de l’opposant Chokri Belaïd.
Sur l’asphalte encore chaud, Rim est assise en tailleur devant le ministère de l’Intérieur, un drapeau tunisien noué autour du cou. Cette dentiste de 34 ans a « fermé son cabinet et annulé tous ses rendez-vous » pour venir protester sur l’avenue Bourguiba, artère principale de Tunis. « Si on ne bouge pas maintenant, on est foutu », souffle-t-elle. « L’assassinat de Chokri Belaïd se banalise de jour en jour. Et là, un député se fait cribler de balles le jour de la fête de la République tunisienne. On dirait un cauchemar. Il faut que ça s’arrête », se lamente-t-elle, un verre de lait à la main, alors que la centaine de manifestants rompt le jeûne devant les barbelés qui encerclent le ministère.
En fin de matinée, jeudi 25 juillet, Mohamed Brahmi, 58 ans, député de l’Assemblée nationale constituante, a été abattu de 14 balles devant son domicile, à Cité El-Ghazala, un quartier résidentiel d’une banlieue de Tunis. Un assassinat condamné par Moncef Marzouki, le président de la République, à l’instar de Paris, Londres, Washington ou encore Alger. Le Premier ministre, Ali Laarayedh, a lancé des appels au calme, tandis que Rached Ghannouchi, le leader du parti Ennahda et cible principale des manifestants, a estimé que « ceux qui sont derrière ce crime cherchent à plonger la Tunisie dans l’instabilité qui sévit dans le reste de la région », déclarant que « c’est un meurtre contre l’État tunisien et la démocratie ».
« On n’en peut plus de la violence politique ! »
Sous le choc, des centaines de Tunisiens protestaient, sous un soleil de plomb, devant l’hôpital Mahmoud el-Materi où la dépouille était arrivée à 12h25, selon les médecins. Ex-coordinateur du Mouvement populaire, à tendance nationaliste arabe nassérienne, et farouche opposant à Ennahda, cet homme au visage rond barré d’une épaisse moustache noire avait annoncé rejoindre les rangs du Front populaire peu après l’assassinat de Chokri Belaïd, en février. Intervenant sur Nessma TV jeudi soir, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Mohamed Aroui, a par ailleurs indiqué que l’arme utilisée dans l’assassinat du député provenait de Libye, annonçant que « de nouveaux éléments » seraient révélés ce vendredi, concernant ces deux assassinats.
« On n’en peut plus de la violence politique, on n’en peut plus de ce gouvernement. Il faut qu’il dégage maintenant. En six mois, deux hommes politiques ont été assassinés, on n’a jamais vu ça ! », s’exaspère Sadri, 36 ans, en se dirigeant vers le ministère de l’Intérieur, boîte noire du régime de Ben Ali. Le cortège de quelques centaines de personnes crie « le peuple veut la chute du gouvernement » et « Ghannouchi assassin » quand une pluie de gaz lacrymogènes s’abat sur eux. Dans les rues, les manifestants resserrent les rangs avant de revenir à la charge. Selon des témoignages, certains ont été frappés par les forces de l’ordre. Des échauffourées ont aussi éclaté devant le siège de la centrale syndicale de l’UGTT, avant que les manifestants ne regagnent les abords de l’Assemblée nationale constituante vers 2 heures du matin.
Dissolution de l’Assemblée ?
« On est là pour faire pression sur les députés et les obliger à démissionner. Ils avaient un mandat d’un an. Cela fait bientôt deux ans qu’ils sont élus et il n’y a toujours pas de constitution », regrette Yasmine, 20 ans, étudiante en droit. Autour du palais beylical, un important dispositif policier est en place. « L’opposition n’a pas su profiter de l’assassinat de Chokri Belaïd. Ils ont préféré négocier avec la troïka plutôt que de couper tout lien avec eux. Maintenant, on veut la dissolution de l’Assemblée, la mise en place d’un comité d’experts pour terminer la constitution, celle d’un gouvernement de technocrates avec une feuille de route claire pour emmener le pays vers des élections libres et transparentes », plaide la jeune femme.
Et les défections commencent à l’ANC. Les députés du Front populaire ont annoncé leur démission, tout comme Mourad Amdouni du Mouvement du peuple, Hattab Barakati du Bloc des travailleurs et Iyed Dahmani du Parti républicain. Cent cinq membres de ce parti ont en outre démissionné jeudi soir, dont Saïd Aïdi, ancien ministre de l’emploi en 2011. Ils appellent à occuper les places et les rues jusqu’à la chute du gouvernement et de l’ANC.
Alors que les appels à la désobéissance civile se multiplient, le reste du pays s’est aussi soulevé jeudi. À Bizerte (nord), des centaines de citoyens ont manifesté devant le gouvernorat (préfecture). À Gafsa (centre), des affrontements se sont poursuivis jusque tard dans la nuit. À Sidi Bouzid, centre du pays et berceau de la « révolution », des locaux d’Ennahda ont été brûlés et le siège du gouvernorat a été pris d’assaut. Un « comité citoyen » pourrait être mis en place dans cette région. D’autres manifestations ont eu lieu un peu partout dans le pays : à Siliana, Béjà (nord-ouest), Kasserine, Redeyef (centre-ouest), à Sfax (est) ou encore à Djerba (sud). Ce vendredi 26 juillet, une journée de deuil national a été décrétée par le président de la République, tandis que l’UGTT a annoncé une grève générale sur tout le territoire. Une manifestation devrait être organisée dans la matinée devant le siège de la centrale syndicale.
Presse terroriste (Julie Schneider, correspondante à Tunis, LePoint.fr, 26 juillet 2013 – 7h37)
(…) à Menzel Bouzaïane, les manifestants ont saccagé les locaux du parti islamiste en criant « À bas les obscurantistes, Ennahda et salafistes », en référence aux groupes islamistes radicaux. (…)
Presse terroriste (LeMonde.fr avec l’Agence Faut Payer, 26 juillet 2013 – 9h09)