Un ex-commissaire de la Brigade des fraudes pris la main dans le sac
Patrick Moigne comparaît depuis jeudi au tribunal correctionnel de Paris pour des faits de corruption. Il affirme avoir juste « rendu service ».
« Le mec, il est prêt à te donner 5, 10, 15 ou 20’000 euros », soutient une interlocutrice. À l’autre bout du fil, Patrick Moigne coupe précipitamment la conversation et raccroche. Le juge n’aura eu qu’à citer quelques extraits des écoutes téléphoniques pour retenir l’attention de son auditoire. Patrick Moigne, 48 ans, ex-commissaire à la Brigade des fraudes aux moyens de paiement (BFMP), comparaît depuis jeudi au tribunal correctionnel de Paris pour des faits de corruption.
« Je suppose que vous savez ce qu’est une contrepartie financière ? » sourit le juge. Au vu de ses anciennes fonctions, Patrick Moigne ne peut effectivement l’ignorer. Dirigeant un service d’une centaine de personnes, Patrick Moigne fait une carrière brillante et devient commissaire divisionnaire à l’âge de 44 ans. À l’audience, il apparaît empâté dans un costume noir à fines rayures, les cheveux bruns coupés court, le visage bouffi. L’ex-commissaire bafouille : « Je suis une personne serviable. »
Ce que personne ne conteste. De 2005 à 2008, Patrick Moigne est suspecté d’avoir annulé des contraventions et des retraits de points, fourni des renseignements sur des procédures en cours, consulté des fichiers de la police nationale et donné des informations sur des dossiers de naturalisation. Le tout pour le compte de « vieilles connaissances », en échange de quelques liasses de billets. « Je ne l’ai pas fait par appât du gain. Je l’ai fait par amitié, par copinage, par camaraderie. (…) J’ai fait une connerie », soupire l’ex-commissaire. Le juge le coupe : « Non, ce n’est pas une connerie. C’est une infraction pénale punie de dix ans d’emprisonnement. » Silence dans la salle. En l’espace de six mois, de janvier à juillet 2007, il aurait consulté 140 fois le Stic (fichier qui recense des informations sur les auteurs d’infractions et les victimes). « Aucun des noms consultés ne faisait alors l’objet d’une procédure », insiste le juge.
Pour le compte d’enquêteurs privés…
Ces consultations de fichiers, Patrick Moigne les fait en grande partie pour d’anciennes connaissances qui officient désormais en tant qu’enquêteur privé. En particulier pour un dénommé Jacques Leroy. Petit et mince, les cheveux mi-longs tirés en arrière, la tempe grisonnante, l’enquêteur s’approche à la barre. De 2005 à 2008, il aurait demandé 80 fois à Patrick Moigne de consulter des fiches pour lui, pour environ 30 euros à chaque fois, affirme-t-il. « Pendant son audition, Patrick Moigne avait parlé de 100 à 200 euros par fiche », remarque la procureur, aussitôt contredite par l’ex-commissaire. L’assesseur est dubitatif : « Trente euros par fiche avec le risque de briser une carrière ? Ce n’est pas logique. »
Un certain Montanger rejoint les deux hommes à la barre. Enquêteur privé, il a lui aussi eu recours aux services de Patrick Moigne. « Pour les Stic, je n’ai jamais donné d’argent à M. Moigne, tranche-t-il d’une voix ferme, bien qu’un peu hachée. Seulement pour les Ficoba (fichier de recensement des comptes bancaires, NDLR). » L’ex-commissaire a en effet à plusieurs reprises signé des réquisitions bancaires de sa propre main, pour obtenir des renseignements sur le patrimoine de particuliers. Cependant, Patrick Moigne nie avoir fixé les tarifs. « J’ai accepté ce qu’on m’a donné, mais je n’ai jamais rien demandé », lance-t-il au tribunal. Les deux enquêteurs disent le contraire. Nerveux, l’ex-commissaire noue ses mains derrière son dos, entremêlant sans cesse son index et son majeur entre ses paumes.
Violation du secret professionnel
Patrick Moigne est également soupçonné de violation du secret professionnel. Jacques Leroy lui aurait demandé des informations dans l’affaire Pétrole contre nourriture. L’ex-commissaire assure qu’il n’a fait que confirmer ce qui circulait déjà dans la presse. Un argumentaire qui ne convainc pas le juge. Un quatrième homme, d’origine cambodgienne, est appelé par le tribunal. Vieille connaissance de Moigne, il l’aurait sollicité pour se renseigner sur des dossiers de régularisation et faire sauter quelques retraits de points de permis. Cent euros le point, deux cent cinquante les quatre, explique monsieur Hô. « On n’est pas d’accord », l’interrompt Patrick Moigne, qui nie avoir établi un tel barème. « Alors, vous êtes constamment sollicité par le corrupteur ! » s’agace le juge. « Non, j’ai rendu beaucoup de services sans jamais avoir rien demandé », répond l’ex-commissaire.
Les dossiers de naturalisation ? Il n’a fait que se « renseigner sur l’état des dossiers », mais n’est en aucun cas intervenu dans la procédure, soutient-il. « Pourquoi les intéressés n’ont-ils pas tout simplement appelé la préfecture ? » questionne le procureur, qui peine à croire que Moigne n’est pas intervenu pour accélérer les procédures. Une fois encore, la réponse se fait bégayante. « Tout le monde est pressé de savoir », balbutie monsieur Hô. Annabelle Philippe, le procureur, soutient que Patrick Moigne pourrait avoir touché jusqu’à 43’000 euros, même si la somme perçue par l’ancien commissaire « reste la grande inconnue de cette audience ». Elle requiert 3 ans de prison, dont 18 mois avec sursis, et 50’000 euros d’amende.
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Marc Leplongeon, LePoint.fr, 5 avril 2013)